Suisse
Architecture

Des architectes suisses accusés de contribuer à l'esclavage

Le «Beirut Terraces» des célèbres architectes bâlois Herzog & de Meuron à Beyrouth, Liban.
Le «Beirut Terraces» des célèbres architectes bâlois Herzog & de Meuron à Beyrouth, Liban.image: beirutterraces.com

Des architectes suisses accusés de contribuer à l'esclavage avec leur building

Une ancienne employée du bureau d'architecture bâlois Herzog & de Meuron a publié les plans de construction d'un immeuble d'habitation de luxe situé à Beyrouth. Elle accuse l'entreprise de participer au maintien d'une forme d'esclavage moderne.
Cet article est également disponible en allemand. Vers l'article
28.07.2022, 05:52
Dennis Frasch
Dennis Frasch
Dennis Frasch
Suivez-moi
Plus de «Suisse»

«La structure et l'apparence sont marquées par la conscience et le respect du passé de la ville, ainsi que par la confiance en soi et l'optimisme du Beyrouth d'aujourd'hui». C'est ainsi que le bureau d'architectes bâlois Herzog & de Meuron décrit sa prestigieuse tour de luxe «Beirut Terraces» au Liban.

La tour d'habitation de 119 mètres de haut a été achevée en 2017 et comprend 130 appartements dont la superficie peut atteindre 1000 mètres carrés. L'un des appartements est actuellement à vendre. Prix: 2,1 millions de francs.

Les chambres de service sont moins confortables: elles font moins de quatre mètres carrés, n'ont pas de fenêtres et sont isolées du reste de l'appartement. C'est ce qui ressort des plans de construction que l'architecte Valentina Aldo a publiés cette semaine sur Twitter.

«Personne ne devrait avoir à vivre ainsi»

Cette Bâloise de 34 ans a travaillé chez Herzog & de Meuron pendant la phase de planification du projet mais elle n'y a pas participé directement. Les plans de construction n'étaient pas non plus visibles pour elle à l'époque.

C'est au cours de recherches qu'elle est tombée dessus. «Je trouve ce plan inadmissible. Ce sont des cellules indignes de l'être humain. Personne ne devrait avoir à vivre ainsi, même s'ils étaient payés correctement et bien traités», affirme-t-elle.

«De telles chambres ne seraient jamais autorisées en Suisse»

En fait, l'Office fédéral du logement prescrit qu'une chambre pour une personne doive avoir une superficie d'au moins huit mètres carrés. En Allemagne, ce chiffre est de neuf, au Royaume-Uni de sept. Le Comité européen pour la prévention de la torture a également établi une norme minimale pour les cellules de prison: quatre mètres carrés pour chaque occupant d'une cellule occupée par plusieurs personnes, autant que les employés de maison à Beyrouth.

Sur Twitter, les plans publiés suscitent une vague d'indignation. Contacté, Herzog & de Meuron se montre peu loquace: «Pour le projet Beirut Terraces, nous avions projeté et recommandé d'autres concepts au client. Mais ce qui a été réalisé ici était le souhait explicite du maître d'ouvrage et a été exécuté sur ses ordres».

Le bureau bâlois n'a pas répondu à d'autres questions.

Kafala: l'esclavage moderne

Au Liban, comme dans tout le Proche-Orient, il y a beaucoup de bâtiments avec des petites pièces indignes de l'être humain. La raison en est le système dit de la kafala, qui a déjà fait la une des journaux avant la Coupe du monde de football au Qatar.

Dans le système de la kafala, les travailleuses migrantes se retrouvent dans une forme d'esclavage moderne, un employeur local se portant garant pour elles. Selon Amnesty International, il y a jusqu'à 400 000 employées de maison au Liban qui sont prisonnières de ce système. La plupart du temps, il s'agit de femmes originaires d'Afrique et d'Asie.

«Les domestiques vivent généralement dans des conditions très précaires», explique Natalie Wenger d'Amnesty International Suisse. Souvent, ils doivent remettre leur passeport et ne peuvent pas décider librement où elles vont et ce qu'elles font. «L'employeur a de facto un contrôle total sur leur vie». Les agressions sexuelles seraient également fréquentes.

L'ONG ne souhaite pas s'exprimer sur le cas des «Beirut Terraces» car elle n'a pas étudié le cas de plus près. Elle donne juste une précision:

«Si Herzog & de Meuron a construit ces chambres en sachant que des employés de maison devaient y vivre, ils ont contribué au maintien d'un système qui, à notre avis, devrait être aboli. Toute personne a droit à un logement décent».

Herzog & de Meuron aurait dû refuser

Pour Valentina Aldo, il est clair que le bureau d'architectes bâlois aurait dû refuser le contrat. «Il est probable que quelqu'un d'autre l'aurait alors simplement fait, mais Herzog & de Meuron en particulier, avec leur renommée internationale, ne devraient pas légitimer davantage un tel système par leur travail». Le refus de la mandature aurait également pu retenir d'autres architectes de réaliser de tels projets.

L'architecte est généralement convaincue que le secteur suisse de l'architecture est trop apolitique. «Le milieu est assez petit, on se connaît et on ne veut marcher sur les pieds de personne. Les collègues pourraient bien faire partie du prochain jury». Pourtant, les architectes ont une grande responsabilité.

«Ils contribuent à façonner la société avec leurs constructions»

Berne lutte contre le système de la kafala

La lutte contre le système de la kafala au Proche-Orient fait partie d'un programme prioritaire du Département suisse des affaires étrangères. En 2020, un accord avec le gouvernement libanais visant à améliorer la protection des travailleurs domestiques aurait dû entrer en vigueur. Cependant, les agences de recrutement ont obtenu un report devant la Cour administrative suprême.

Depuis, le gouvernement a démissionné et le pays se trouve dans une crise politique. Selon CH Media, la Direction du développement et de la coopération (DDC) négocie actuellement avec le nouveau ministre d'un gouvernement intérimaire. Le contrat n'est pas encore entré en vigueur.

Traduit de l'allemand par Nicolas Varin

D'autres bâtiments crées par Richard Rogers
1 / 7
D'autres bâtiments crées par Richard Rogers
Le Three World Trade Center, à New York.
source: ap / mark lennihan
partager sur Facebookpartager sur X
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
«Quel était le sexe de votre enfant à la naissance?» Des parents romands furieux
Des parents d'élèves d'une école primaire genevoise s'opposent à un questionnaire leur demandant de répondre sur le genre et le sexe de leurs enfants, y compris ceux ayant moins de 7 ans.

Des parents de l’école primaire genevoise Carl-Vogt n’en ont pas cru leurs yeux. La semaine dernière, ils ont reçu un questionnaire à choix multiples les invitant à répondre sur une base volontaire à des questions intimes se rapportant à leur(s) enfant(s) scolarisé(s) dans cet établissement situé sur la rive gauche du Rhône.

L’article