Les experts internationaux sont unanimes: la Suisse doit mettre à jour sa défense aérienne. «Investissez massivement dans ce domaine», a conseillé l'Américain Ben Hodges, ancien lieutenant-général, dans le SonntagsBlick.
Hodges en sait quelque chose: il a été commandant en chef des forces terrestres américaines en Europe de 2014 à 2017.
L'historien militaire allemand Stig Förster a été encore plus clair ce week-end. «La Suisse s'appuie toujours pour l'essentiel sur une technologie d'armement datant de la Seconde Guerre mondiale», a-t-il critiqué dans la SonntagsZeitung.
Il vient de publier Deutsche Militärgeschichte (Histoire militaire allemande), et va jusqu'à affirmer que la Suisse serait «à peine en mesure de se défendre seule» en cas de guerre.
La commission de la politique de sécurité du Conseil national a pris la question à bras-le-corps. Elle entend y répondre par des investissements majeurs. Cela passera par un milliard supplémentaire pour le programme d'armement 2025 (de 1,5 à 2,5 milliards). Cette manne servira à l'achat de munitions – pour la défense aérienne basée au sol (sous l'acronyme «Bodluv» en allemand) de moyenne et longue portée surtout. Mais aussi pour le nouveau système d'artillerie, prévu avec le programme d'armement 2025.
La proposition émane du libéral-radical schwytzois Heinz Theiler. Il l'a fait passer en commission avec l'aide des membres du Centre, du PLR et de l'UDC, et malgré l'opposition des Verts et du PS – par seize voix contre neuf.
«La demande de munitions Bodluv est énorme dans le monde, les délais de livraison et les prix augmentent massivement», explique le conseiller national. Il a par conséquent demandé un crédit d'engagement pour commander immédiatement les munitions si le message sur l'armée était accepté. Jusqu'à présent, celle-ci n'a acheté que des munitions pour les besoins de l'instruction, poursuit Theiler. Les munitions d'engagement – chères – n'ont été acquises qu'en petites quantités. La défense aérienne est donc, en l'état, incapable de tenir bien longtemps.
«Nous n'aurions pas à payer immédiatement», souligne-t-il encore.
Les munitions seraient d'une part destinées aux cinq systèmes Patriot à longue portée que la Suisse a commandé aux Etats-Unis. La distance d'engagement des missiles Patriot PAC-2 GEM-T est d'environ 160 kilomètres, et leur altitude maximale d'environ 24 kilomètres. Ces armes téléguidées permettent principalement la défense contre les avions, les drones et les missiles de croisière. Pour chaque tir avec un Patriot, il faut compter environ quatre millions de dollars. La Suisse devrait recevoir ces cinq systèmes en 2026.
Elle est aussi en train de commander des systèmes de défense aérienne au sol de moyenne portée dans le cadre du programme d'armement 2024. L'armée prévoit de le faire par le biais d'une convention-programme dans le cadre de la «European Sky Shield Initiative». Elle élargit les possibilités de coopération internationale - notamment dans le domaine de l'acquisition d'armes.
Le département de la Défense veut encore se doter de quatre à cinq systèmes Iris-T-SLM du fabricant allemand Diehl Defence, pour un montant de 660 millions. Les négociations sont «dans une phase avancée, mais pas encore terminées», précise Armasuisse. Ces missiles air-air à tête chercheuse infrarouge ont été développés par l'Allemagne et cinq autres pays. Les missiles ont une portée de 40 kilomètres et atteignent une altitude maximale de 20 kilomètres. Le prix d'une pièce est estimé à 400 000 euros. Ces engins combattent les avions, les hélicoptères, les missiles de croisière et les armes guidées ennemis.
Pour le conseiller national du Centre Reto Nause, responsable de la sécurité de la ville de Berne de 2009 à 2024, la protection de l'espace aérien est «l'une des tâches les plus urgentes pour rétablir la capacité de l'armée». Il prévoyait donc de proposer, soit à la commission de la politique de sécurité du Conseil national, soit lors du débat sur le budget en décembre, d'augmenter de 200 à 300 millions de francs le budget des systèmes de défense aérienne.
Mais il a désormais changé d'avis, puisque sa proposition se calque pour ainsi dire sur celle d'Heinz Theiler. «Il s'est avéré que l'armée a surtout besoin de plus de munitions pour ce domaine», justifie le conseiller national du Centre.
Il part du principe qu'il faudra s'armer au plus tard à partir de 2028 contre d'éventuelles attaques aériennes russes visant l'infrastructure. C'est ce qui se dit dans les milieux du renseignement, selon lui.
Contrairement à d'autres pays européens, la Suisse se retrouverait seule en cas d'attaque contre ses infrastructures. Cela ne déclencherait en effet pas l'article 5 de l'Otan sur le devoir d'assistance, car notre pays n'est pas membre de l'Otan.
Il est donc d'autant plus important de pouvoir défendre l'espace aérien le cas échéant. «Nous devons nous préparer à une escalade à différents niveaux», assure Reto Nause.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)