Lorsque Viola Amherd a annoncé sa démission, plutôt inattendue, on lui a reproché de fuir les problèmes au sein du Département de la défense (DDPS). Et ceux-ci ne manquent pas. La guerre en Ukraine a fait passer le DDPS du statut de «tâche punitive» à celui de portefeuille clé, mais la Suisse a du mal à gérer le changement d'époque.
Le Parlement veut augmenter sensiblement le budget de l'armée, mais même le camp bourgeois regrette l'absence d'une stratégie claire de la part de Viola Amherd pour l'acquisition de matériel de guerre. A cela s'ajoute une liste considérable d'accrocs dans les projets en cours, avec des retards et des surcoûts.
En parallèle, un projet de prestige est menacé d’un atterrissage en catastrophe au sens propre du terme. En 2015, le Parlement a décidé d'acheter six drones de reconnaissance de type Hermes 900 du fabricant israélien Elbit pour près de 300 millions de francs. Le projet devait initialement être achevé en 2019, mais la Confédération table désormais sur 2026.
Les drones devraient être pleinement opérationnels d'ici 2029. Mais pour le Contrôle fédéral des finances (CDF), le projet est en mauvaise posture. Son rapport n'est pas tendre, l'état du projet est:
C'est donc du costaud qui a incité l'Office fédéral de l'armement, Armasuisse, et son chef Urs Loher à organiser mercredi, en amont de la publication, une rencontre avec les médias et des spécialistes. Urs Loher y a alors botté en touche:
La situation est «exigeante, voire difficile, elle ne correspond pas aux attentes», mais le budget et le calendrier restent inchangés, et une certification d'ici 2029 serait «possible», pour le chef de l'armement. Un arrêt de l'acquisition n'est de toute façon pas envisageable, car cinq drones ont déjà été livrés, le sixième suivra dans le courant de cette année. Urs Loher a néanmoins dû reconnaître des problèmes. Ainsi, un drone Hermes a récemment été endommagé en Inde lors d'un vol d'essai.
Une des raisons serait les guerres israéliennes au Proche-Orient, qui absorbe le fabricant. En même temps, il a reconnu que les demandes spéciales de la Suisse sont en partie responsables des problèmes rencontrés.
Dans les faits, un projet d'acquisition s'est transformé en projet de développement, critique le CDF dans son rapport. Les drones de reconnaissance ont pratiquement dû être reconçus. C'est surtout le système de dégivrage qui pose «relativement beaucoup de difficultés», a-t-on appris lors de la rencontre avec la presse.
Mais le plus gros problème est le système «Detect and Avoid» (DAA). Ce système permet au drone de détecter de manière autonome dans l'espace aérien civil les objets qui n'émettent pas de signaux actifs. Cela concerne par exemple les parapentes ou les deltaplanes. Un tel système est également considéré comme très ambitieux dans le contexte international, mais la Suisse pense pouvoir le développer toute seule.
Les drones livrés ont besoin d'une «escorte» d'avions ou d'hélicoptères lors des vols d'essai dans l'espace aérien non contrôlé et pendant la journée. Chez Armasuisse, on reste confiant dans le fait que le DAA sera opérationnel d'ici 2029, mais au final, cela révèle un problème bien connu: le Swiss Finish.
La Suisse a tendance à «helvétiser» les acquisitions - et pas seulement dans le domaine militaire - en formulant des souhaits particuliers. Il n'est pas rare que cela entraîne des retards et des coûts supplémentaires. C'est ce qu'avait déjà montré l'affaire du Mirage dans les années 1960: les «extravagances» de la Suisse avaient entraîné des surcoûts massifs lors de l'achat de l'avion de combat français.
Il semble enfin que les mentalités évoluent. «Nous devons cesser d'helvétiser et d'acheter au pied levé», a proclamé Urs Loher devant les médias. Cela vaut pour toutes les acquisitions, a confirmé le chef de l'armement en réponse à une question de watson. Il a cité en exemple l'initiative «European Sky Shield», à laquelle la Suisse a adhéré l'année dernière.
La Suisse devrait profiter de l'achat commun de systèmes de défense aérienne dans toute l'Europe. L'UDC y a vu une violation de la neutralité, mais il s'agit en fin de compte d'une décision de bon sens. Avec les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, la demande en matériel de défense a «explosé». Il y a de moins en moins de place pour les demandes spéciales.
Tous les problèmes ne peuvent pas être éliminés pour autant. C'est ce que montrent les retards dans les projets informatiques, comme par exemple le remplacement du système de surveillance aérienne Florako, devenu obsolète. Il doit être exploité plus longtemps que prévu, car le nouveau système Skyview se fait attendre. Parallèlement, le DDPS manque de spécialistes capables d'utiliser Florako.
Le grand projet de nouvelle plate-forme de numérisation de l'armée (NDP) doit permettre un échange de données standardisé et adapté aux besoins au sein des forces armées et du Réseau national de sécurité (RNS). Mais ce projet connaît également des retards. Ainsi, l'un des trois centres de calcul prévus n'est pas encore opérationnel.
Les solutions «prêtes à l'emploi» ne sont pas sans effets secondaires, surtout dans le domaine numérique, comme l'a expliqué le chef de projet Luca Antoniolli devant les médias:
Mais dans la plupart des domaines, il est judicieux de renoncer au Swiss Finish et il faut renoncer à une autre particularité très suisse: la tendance au perfectionnisme. «Nous attendons que tout fonctionne parfaitement», selon Urs Loher. Mais en Israël, on ne peut pas se le permettre. Là-bas, il faut prendre ce que l'on peut obtenir.
Le véritable point crucial est une question qui n'a été qu'effleurée lors de la rencontre avec la presse de mercredi: l'armée de milice suisse est-elle vraiment en mesure d'utiliser des systèmes de plus en plus complexes, et pas seulement dans le domaine informatique? C'est presque un tabou, puisqu'il s'agit là d'un principe fondamental de notre pays.
On ne peut que partiellement tenir Viola Amherd pour responsable des problèmes actuels. L'acquisition des drones israéliens a été décidée par son prédécesseur Ueli Maurer. Mais le réarmement de l'armée, poussé par la droite, est à bien des égards un défi que son ou sa successeure devra gérer.
Traduit de l'allemand