La plus grande foire d'art du monde est suisse. Des marchands bâlois comme Ernst Beyeler et des galeristes bâloises comme Trudl Bruckner décidèrent en 1970 de faire preuve d'audace. Art Basel était née. Les porteurs du projet ont renforcé leur position sur le marché, avec un objectif en tête clair comme de l'eau de roche: le chiffre d'affaires.
L'expansion d'Art Basel au Qatar semble emprunter un chemin similaire, et l'on dispose enfin des premières informations à ce sujet. Le vidéaste égyptien Wael Shawky en assurera la direction artistique.
Il entretient des liens étroits avec la Suisse via Pro Helvetia, mais aussi avec le monde occidental. En 2016, il avait fait sensation au Kunsthaus de Bregenz. Lors de la dernière Biennale de Venise, son travail sur l'influence impériale sur l'Egypte a largement convaincu.
La foire, propriété de la multinationale marketing MCH Group elle aussi basée à Bâle, cherche de nouveaux débouchés. Elle s'est déjà implantée à Hong Kong, Paris et Miami depuis longtemps. Il ne restait alors plus qu'à mettre le grappin sur les pays du Golfe. Le marché de l'art y vit une véritable redéfinition, et l'Inde et ses milliardaires ne sont pas loin. L'émir du Qatar est quant à lui considéré comme la troisième personne la plus riche du monde.
Avec des musées spectaculaires, des collections à plusieurs milliards, des festivals de design et de photographie et des foires d'envergure internationale, le Qatar, comme toute la région, s'impose de plus en plus en tant que centre mondial du commerce de l'art. Entre calcul géopolitique et renouveau culturel, une nouvelle plaque tournante semble prendre forme, qui revendique non seulement le capital, mais aussi la souveraineté en matière d'interprétation.
La première personnalité annoncée est une bonne nouvelle: le vidéaste Wael Shawky est de la partie, et l’ouverture est prévue pour le 5 février. Shawky incarne un art critique et éclairant. Il est politique d’une manière poétique, et émancipateur de façon explicite. Cela donne de l’espoir.
Mais il y a tout de même un «mais». Aux côtés de l'artiste égyptien, on retrouve une société appartenant au gouvernement du Qatar. Elle participe à la curation, et Bâle elle-même exerce également une influence. Sans oublier des galeries locales et occidentales qui, en tant que comité de sélection, ont leur mot à dire sur les participants. Elles défendront leurs propres intérêts.
Mais de quels intérêts s'agira-t-il précisément? «Art goes Doha», qu'est-ce que cela peut bien signifier, au fond? Quelque chose de bien, à n'en pas douter. Malgré un arrière-fond moins reluisant, compte tenu de la situation des droits humains dans le pays et la région.
La liberté de croyance et la liberté artistique pour lesquelles l'art s'engage peuvent-elles avoir un effet positif sur la société qatarie? Admirera-t-on le travail d'artistes homosexuels? L'implantation persistante de l'art dans le pays assouplira-t-elle «l'interdiction des gays» au Qatar?
En politique étrangère, le concept du «changement par le commerce» n'a franchement pas fonctionné en Russie. Cela ne veut pas forcément dire que l'erreur se répètera au Qatar.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)