C'est la colère qui les poussera à descendre dans la rue ce mercredi. La colère de voir que l'égalité se fait, en pratique, toujours attendre. Les femmes défileront dans les rues ce 14 juin. La grève féministe s'inscrit dans le prolongement d'une longue lutte. Une lutte qui a permis d'obtenir de nombreux succès.
La Suisse, autrefois lanterne rouge européenne du droit de vote des femmes, se trouve encore aujourd'hui dans les derniers rangs lorsqu'il s'agit de concilier vie professionnelle et vie familiale. Et il reste encore beaucoup à faire dans d'autres domaines de la société:
Enfin: le 7 février 1971, les Suissesses obtiennent le droit de vote et d'éligibilité. Une revendication qui se faisait attendre depuis plus de 100 ans. Le Conseil fédéral aurait lui aussi dû se pencher plus tôt sur la question. En 1918 déjà, il reçoit deux postulats du Conseil national à ce sujet, qui auront disparu dans un tiroir pendant des décennies. Il aura fallu deux tentatives pour obtenir le droit de vote des femmes au niveau fédéral: en 1959, les électeurs le rejettent encore clairement.
Avec leurs nouveaux droits politiques, de premières parlementaires font leur entrée sous la coupole fédérale en 1971. Dix femmes rentrent alors au Conseil national et une au Conseil des Etats. La radicale (désormais PLR) Elisabeth Kopp a été la première femme élue au Conseil fédéral en 1984. Après cette élection historique, le gouvernement est resté dominé par hommes durant plus de 25 ans. Une majorité de femmes n'est apparue qu'entre septembre 2010 et fin 2011, avec Micheline Calmy-Rey (PS), Doris Leuthard (PDC), Eveline Widmer-Schlumpf (PBD) et Simonetta Sommaruga (PS).
Depuis les élections fédérales de l'automne 2019, les femmes n'ont jamais été aussi nombreuses à faire de la politique dans la Berne fédérale. Elles représentent 42% des membres du Conseil national et 26,1% de Conseil des États. Malgré tout, la parité n'est pas atteinte. Au niveau cantonal, les femmes sont par ailleurs nettement sous-représentées dans les parlements et les gouvernements. Seul le canton de Neuchâtel compte plus de femmes que d'hommes au Grand conseil, avec 58%.
La répartition traditionnelle des rôles — la femme à la maison, l'homme au travail qui ramène l'argent — est particulièrement marquée en Suisse et s'explique par notre histoire au 20e siècle. La population masculine n'étant pas partie au front durant les deux guerres mondiales, les femmes n'ont jamais remplacé à grande échelle la main-d'œuvre masculine aux usines et aux champs.
Jusqu'en 1988, si une femme mariée voulait travailler, elle avait besoin du consentement de son mari. Et ce, bien que l'égalité dans la famille, la formation et le travail soient inscrits dans la Constitution depuis 1981. Il a fallu la révision du droit matrimonial, entrée en vigueur en 1988, pour que les femmes puissent disposer, elles-mêmes, de l'exercice de leur profession et de leur fortune.
Dans les faits, l'égalité est loin d'être atteinte. L'exemple de l'inégalité salariale le montre bien. En Suisse, les femmes gagnent en moyenne 18% de moins que les hommes. Cela correspond à 1500 francs par mois. La moitié de cette différence s'explique par le statut professionnel, les années de service ou le niveau de formation. L'autre moitié reste toutefois inexpliquée et contient une possible discrimination salariale.
Toutes les générations sont concernées. Dès l'entrée dans la vie professionnelle, il existe, à conditions égales, une différence de salaire de 7% entre les femmes et les hommes. De plus, les salaires d'entrée dans les professions typiquement masculines sont supérieurs d'environ 200 francs par mois à ceux des professions typiquement féminines.
Jusqu'à la fin du 20e siècle ou presque, le droit civil considérait le mari comme le «chef de l’union conjugale». L'épouse était placés sous sa tutelle. Depuis 1988, le droit matrimonial révisé règle cela différemment: par mariage, on entend un partenariat égalitaire dans lequel la femme et l'homme sont conjointement responsables des enfants et de l'entretien de la famille. La manière dont les tâches sont réparties est laissée à l'appréciation des époux.
Ce n'est que depuis 2005 que les femmes exerçant une activité professionnelle reçoivent une allocation de maternité à la naissance d'un enfant. Il a fallu une vingtaine de tentatives au niveau fédéral pour que cette mesure soit adoptée.
De plus, le mariage a longtemps été une zone de non-droit dans laquelle l'homme disposait d'un droit aux relations sexuelles. Bien que le mouvement féministe des années 1970 ait thématisé la violence domestique et que les premières maisons d'accueil pour femmes ont été ouvertes à ce moment-là, la législation s'est fait attendre. Ce n'est que depuis 1992 que le viol conjugal est punissable. Depuis 2004, ce délit, tout comme la contrainte sexuelle et la violence physique, est poursuivi d'office.
Contrairement à de nombreux pays européens, la Suisse ne connaît pas de congé parental de longue durée. En plus des quatorze semaines pour la mère, les pères reçoivent depuis 2021 dix jours payés pour s'occuper du bébé. Depuis des années, la Suisse est ainsi la lanterne rouge européenne et se situe loin de la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui est d'environ 60 semaines. Malgré cela, les initiatives en ce sens ont du mal à passer la rampe des urnes. Dans le canton de Zurich, les électeurs ont rejeté l'année dernière à une majorité des deux tiers un congé parental de 18 semaines.
Il est vrai que les hommes consacrent plus de temps au ménage et à la famille qu'il y a quelques années. Néanmoins, les femmes en font nettement plus: elles consacrent en moyenne 28,7 heures par semaine aux tâches ménagères et familiales, contre 19,1 heures pour les hommes.
La violence domestique est aujourd'hui encore très répandue en Suisse. Une personne en meurt toutes les deux semaines. De plus, une tentative d'homicide a lieu chaque semaine. Les victimes sont en majorité des femmes et des enfants. Il n'y a pas suffisamment d'espaces de protection pour eux. L'année dernière, les maisons d'accueil pour femmes étaient tellement occupées que les femmes et les enfants victimes de violence ont dû être hébergés dans des hôtels.
Des femmes sur les chaires à prêcher: cela existe en Suisse depuis plus de 100 ans. En 1911, une théologienne allemande a présidé pour la première fois un culte à Zurich. Quelques années plus tard, deux femmes théologiennes ont été ordonnées pour la première fois.
Bien qu'elles prêchaient, mariaient et enterraient, elles n'avaient pas le même statut juridique que les pasteurs masculins. Officiellement, elles travaillaient comme «auxiliaires de paroisse». Pendant longtemps, les théologiennes étaient une rareté dans les paroisses. Pourtant, l'Eglise réformée était en avance sur le reste de la Suisse: en 1963, la loi ecclésiastique régissait le fait que les théologiennes étaient assimilées à leurs collègues masculins et pouvaient travailler comme pasteures.
L'Eglise catholique n'a pas encore atteint l'égalité. Les femmes catholiques ne peuvent toujours pas devenir curés, diacres ou évêques. L'Eglise leur refuse le sacrement de l'ordre.
La première femme au monde à avoir obtenu une licence de football était une Suissesse de 12 ans, Madeleine Boll. C'était en 1965, mais trois semaines plus tard, l'Association suisse de football est revenue en arrière, après un match dans une équipe de garçons à destination de l'Euro. La licence avait été attribuée «par erreur». Ce n'est que trois ans plus tard que les femmes seront autorisées à jouer dans les clubs de football suisses. Le fait que les femmes aient été tenues à l'écart des compétitions sportives n'est pas une exception. Le sport a longtemps été un domaine réservé aux hommes.
Jusqu'au milieu du 20e siècle, le mythe selon lequel le sport de compétition nuisait à la capacité d'enfanter prévalait. Pour pouvoir se mesurer aux autres, les femmes devaient enfreindre les règles. C'est le cas de la marathonienne Marijke Moser, qui l'a fait à plusieurs reprises. Elle s'est inscrite à la course de Morat-Fribourg sous le nom de Markus Aebischer, et a été écartée de la course 100 mètres avant l'arrivée.
Les pionnières du sport ont dû essuyer les pires insultes. C'est le cas de l'organisatrice de la première fête de lutte féminine de Suisse. Avant l'événement, elle a été menacée, recevant un avis de décès portant son nom. Elle a également dû mettre sa sciure sous clé avant la fête de lutte: on l'a menacée d'y cacher des lames de rasoir. Ces événements, d'allure moyenâgeuse, se sont pourtant déroulés en 1980. Les Jeux olympiques de 2026 à Paris devraient marquer l'histoire. Pour la première fois, autant de femmes que d'hommes participeront aux compétitions.
Mais il reste encore beaucoup à faire en matière d'égalité des sexes dans le sport de haut niveau. C'est particulièrement vrai en matière d'égalité salariale. Parmi les 50 sportifs les mieux payés au monde, on ne trouve qu'une seule femme. Selon Forbes, la joueuse de tennis Serena Williams est la sportive la mieux payée au monde. Au cours des douze derniers mois, elle a gagné 45,3 millions de dollars. Durant la même période, l'homme le mieux payé, la star du football Cristiano Ronaldo, a empoché 136 millions de dollars.
Traduit et adapté par Nicolas Varin