«Chaque traversée est une aventure», confie Joel Senn en esquissant un sourire et en se concentrant aussitôt sur le tableau de bord. Il engage son navire de 240 tonnes du lac de Morat vers le canal de la Broye. Ce capitaine ne commande pas un simple bateau, mais le tout premier bateau de croisière de Suisse: l’hôtel flottant Attila.
Oui, la Suisse sait faire des croisières — même sans accès à la mer. Depuis quelques années, ce mode de voyage prisé, qui attire chaque année près de 200 000 Suissesses et Suisses vers les flots à l’étranger, est également proposé dans le pays. A bord de l’Attila, on glisse sur les eaux scintillantes des lacs de Morat, de Neuchâtel et de Bienne, en admirant les paysages pittoresques de la région des Trois-Lacs, entre vignobles à perte de vue et charmantes villes historiques.
C’est par un week-end d’automne brumeux que notre croisière viticole a commencé à Morat. Le départ était initialement prévu à Montilier, mais le niveau de l’eau était trop bas pour permettre à l’Attila d’y accoster:
C’est aussi ça, l’aventure. Rapidement, la vingtaine de passagers s’installe dans le Captain’s Lounge, un rafraîchissement à la main, et savoure ce mode de voyage tout en douceur.
Rien à voir avec les bateaux de croisière géants à plusieurs étages qui transportent des milliers de passagers à travers les mers et les océans. L’Attila était autrefois un navire pour le transport de marchandises aux Pays-Bas. C'est le Moratois Richard Hurni qui a voulu transformer le bateau en péniche pour son usage privé, mais il n'a pas obtenu d'autorisation.
Alors il a décidé d'en faire un bateau-hôtel. Avec l’aide d’investisseurs, il a fondé une société anonyme et fait transformer le navire dans le chantier naval de Vully, à Sugiez, pour en faire le «Boutique Boatel Attila», un projet de 4,4 millions de francs. L’aspect durable n’a pas été négligé: le MS Attila fonctionne avec un moteur hybride et de l'énergie renouvelable.
Là où, autrefois étaient entreposées les marchandises, se trouvent aujourd’hui d’anciens conteneurs. Ils abritent des cabines qui offrent le confort d’un hôtel haut de gamme. Ces espaces ont été conçus par le prestigieux atelier Oï, basé à La Neuveville. L’Attila dispose de neuf élégantes cabines doubles de 14 mètres carrés, pensées selon le concept des tiny houses et équipées de tout le confort moderne: salle de bain et douche privatives, coin salon, télévision, réfrigérateur et climatisation.
En ouvrant la porte de la cabine, on se retrouve directement dans l’espace douche et toilettes, habillé de bois de chêne et de revêtements noirs. L’espace nuit, avec son parquet et son système d’éclairage moderne, est, lui aussi, aménagé avec ingéniosité. A l’avant, on trouve un coin salon, un bureau escamotable et même un petit balcon.
Mais bien souvent, on passe peu de temps dans sa cabine. A l’étage, dans le Captain’s Lounge, l’hôtesse Cornélia propose des encas et boissons de saison issus de la région. Même si les températures sont un peu fraîches à cette période de l’année, le pont donne envie de s’y installer, avec ses fauteuils lounge et ses chaises longues confortables. Emmitouflé dans une couverture chaude, on s’y sent encore plus proche de la nature qui défile en silence.
Nous voilà désormais au cœur du canal de la Broye, qui symbolise également le Röstigraben — à droite, Berne, à gauche, Fribourg. Les arbres bordent étroitement les rives de l'eau. Des canards et des hérons y défilent, comme s'ils voulaient nous accompagner dans notre voyage:
Et le paysage devient encore plus beau lorsque à l'embouchure du lac de Neuchâtel, près de La Sauge, nous naviguons lentement à 8 kilomètres par heure, passant devant les réserves naturelles de Cudrefin et Fanel. Les vastes étendues de roseaux et de marécages offrent d'importants points de repos pour de nombreux oiseaux migrateurs et aquatiques.
Rapidement, on engage la conversation avec les autres passagers et l’on découvre qu'il y a plusieurs habitués. Un couple âgé du Valais est actionnaire de l'Attila et fait régulièrement cette croisière. Sonja, 30 ans, voyage avec sa marraine et elle aussi n’en est pas à son premier week-end sur l’Attila:
Après tout, le slogan du Boutique Boatel est: ralentir, découvrir, savourer.
Avant de s'immerger complètement dans l'aventure, un autre moment marquant nous attend. Le capitaine vient de quitter le lac de Neuchâtel dans le canal de la Thielle. Bientôt, nous passerons sous le pont de la Thielle. Comme celui-ci est trop bas pour le bateau, le salon et le poste de pilotage du capitaine doivent être abaissés de 1,2 mètre au moyen de supports hydrauliques. Nic, le matelot, prépare l’abaissement, rabat le drapeau suisse et actionne la barre extérieure pour le passage. Est-ce que cela suffira?
«Nous avons tout sous contrôle», rassure le capitaine Senn, métallurgiste et forgeron de formation. Il connaît le bateau sur le bout des doigts, ayant contribué à sa transformation lors de son précédent emploi. Pour lui, diriger ce bateau-hôtel est un véritable rêve. Ce n’est pas une tâche facile:
Nous avons de la chance avec le temps, il n’y a pas de vent. L’amarrage à Lüscherz (Berne), notre première escale, se passe donc sans problème. Il est temps de dîner. Comme l'Attila ne dispose pas de cuisine à bord, nous sommes transportés en bateau jusqu’au restaurant. Pendant le repas, l'Attila s’amarre au quai du Landeron, où nous passerons la nuit à bord de l’hôtel flottant. C’est assez agréable, d'autant plus qu’il n’y a pas de vagues.
A 8 heures du matin, c’est le départ en direction de Douanne. Le petit-déjeuner est servi dans le Captain’s Lounge, avant l’arrivée dans le pittoresque village viticole pour la Trüelete. Lors de cette fête des vendanges sur les rives du lac de Bienne, les producteurs ouvrent leurs caves et leurs charmants carnotzets, proposent des vins ainsi que des spécialités culinaires, telles que la saucisse au marc, la soupe au vin ou les tartelettes à la crème. A ne pas manquer: la fontaine à vin, d’où coule du vin au lieu de l’eau.
Le tour du village se fait rapidement. C’est pour cela que nous partons pour une courte randonnée à travers les vignobles teintés d’or, avec une vue splendide sur le lac et l’île Saint-Pierre. Notre bateau ne tarde pas à accoster de nouveau pour nous emmener sur cette longue presqu’île. En octobre, lorsque le restaurant est fermé, on y est presque seul, et l’on peut, à l’image de Jean-Jacques Rousseau autrefois, s’adonner pleinement à la méditation et à l’art de ralentir.
Ce type de croisières à thème rencontre un franc succès, explique le président du conseil d’administration, Richard Hurni. En plus des escapades week-end et des croisières détente, déjà bien réservées, l’équipe souhaite proposer davantage de séjours autour d’un thème précis, comme la musique, l’humour ou encore le golf.
Le temps file à toute vitesse, même si l’on avance lentement. Et lorsque nous regagnons la terre ferme à Morat le lendemain, on se surprend à souhaiter que le voyage ne soit pas encore terminé. Joel Senn est déjà sur le quai, tout sourire, serrant la main de chaque passager:
Le voyage a été subventionné par le Boutique Boatel Attila.
Traduit et adapté par Noëline Flippe