Les CFF ont «secrètement» supprimé leurs trains-prison
Ces vingt dernières années, de curieux trains ont sillonné le territoire suisse. Leur particularité: ils n'étaient constitués que d'une locomotive et d'un seul wagon, sans fenêtres. Ce détail est révélateur quant à leur cargaison, puisque ces convois étaient affectés au transport des prisonniers.
Le «jail-train», comme il était officiellement appelé, était un système unique en Europe. Les CFF ont supprimé ce service il y a deux ans déjà, mais l'opération a été «gardée sécrète pendant longtemps», révèle ce jeudi le Tages-Anzeiger. Les autorités compétentes ont fini par confirmer l'info au quotidien zurichois, après ses nombreuses demandes.
Le passage d'un train pénitentiaire à la gare de Roggwil-Wynau (BE), en 2012 👇
Le train-prison des CFF a été lancé en 2001, retrace le site alémanique Plattform J, le premier ayant eu vent de la fin de ce service, en avril dernier. Pendant longtemps, les détenus étaient transportés dans des cellules exiguës et dépourvues de toilettes, à l'intérieur de wagons à bagages. Suite à une réprimande du Conseil de l'Europe, les autorités helvétiques décident de mettre en place un système plus respectueux de la «dignité humaine» des prisonniers.
Le nouveau système, appelé «Jail-Train-Street», combine la route et le rail. «Grâce à 12 véhicules automobiles comprenant chacun 5 cellules individuelles, Securitas assure le transport par la route et la conduite des détenus au train pénitentiaire», lit-on dans un bulletin de l'Office fédéral de la justice, datant de 2005. Une fois que les fourgonnettes arrivent à la gare, un train CFF «transformé» prend le relais.
18 cellules, vidéosurveillance et clim'
Chaque «jail-train» est doté de 18 cellules, ajoute la publication. Il est équipé de toilettes, d'un système de vidéosurveillance et de climatisation. Une équipe de «spécialistes» formés par la police du canton de Zurich accompagne les détenus.
Au printemps de cette année, un particulier est parvenu à se faufiler dans un train pénitentiaire désaffecté. La vidéo de son action, partagée sur Youtube, nous donne une idée de l'intérieur du wagon. Ce dernier est traversé par un étroit couloir; sur les deux côtés, on voit des cellules délimitées par des barreaux métalliques. Un banc bleu est visible dans l'une des cellules.
Les trains-prison circulaient entre Berne et Zurich, indique encore l'Office fédéral de la justice. Les voyages avaient lieu une fois par jour, précise-t-on, selon «un horaire déterminé valable pour toute la Suisse». Entre 9000 et 13 000 personnes ont été transportées de cette manière chaque année à partir de 2001.
Selon le Tages-Anzeiger, il y a une dizaine d'années, une deuxième ligne circulait sur l'axe nord-sud en direction de la Suisse centrale et du Tessin. Ce qui porterait le nombre total de détenus transportés par train à environ 16 000 par an, estime le quotidien.
Wagons vétustes
En 2005, l'Office fédéral de la justice tirait «un bilan positif après cinq ans d'exploitation». Cette solution satisfaisait les exigences du Comité européen pour la prévention de la torture, soulignait-on, et était «constamment améliorée». Le bulletin concluait:
Pourquoi, moins de 20 ans plus tard, ce système a-t-il donc été abandonné? L'exploitation continue du train pénitentiaire était «économiquement non viable», ont indiqué les CFF au Tages-Anzeiger. Cela s'explique par l'âge avancé du matériel roulant et sa durée de vie restante, probablement courte.
L'utilisation d'un véhicule plus récent n'aurait pas non plus été rentable, «en raison des coûts élevés d'ingénierie et de conversion», a ajouté l'ex-régie fédérale. De plus, l'une des gares où le «jail-train» faisait halte, près de Zurich, sera entièrement démolie dans le cadre de la construction d'un tunnel, ajoute le quotidien zurichois.
Le transport des prisonniers continue sous l'égide de Securitas, mais se fait exclusivement par la route. Quant aux trains pénitentiaires, ils ne seront pas exposés dans un musée et n'existent probablement déjà plus: leur démolition était agendée pour février 2025.
(asi)