Quatre habitants de la petite île indonésienne de Pari poursuivent Holcim, le plus grand producteur de ciment au monde, pour dommages climatiques devant la justice suisse. Une audience préliminaire mercredi décidera si leur plainte est recevable.
Des experts considèrent que la quasi-totalité des 42 hectares de cette île, située à une quarantaine de kilomètres au nord de Jakarta, pourrait être engloutie d'ici 2050. Et selon l'Entraide protestante suisse (Eper), une ONG qui soutient les insulaires, Pari a perdu 11% de son territoire en 11 ans.
Cette affaire s'inscrit dans un mouvement international plus large consistant à demander aux grandes entreprises d'assumer leurs responsabilités face au changement climatique qui affecte les moyens de subsistance de millions de personnes, notamment dans les pays du Sud.
L'audience visant à déterminer la recevabilité de cette plainte, déposée début 2023, se tiendra mercredi à Zoug, où se trouve le siège du géant helvétique du ciment.
Les plaignants réclament chacun 3600 francs suisses à l'entreprise pour des dommages et des mesures de protection telles que la plantation de palétuviers et la construction de brise-lames. Deux d'entre eux sont arrivés en Suisse.
Selon les défenseurs de l'environnement, la fabrication de ciment est responsable de près de 8% des émissions de CO2 dans le monde.
Holcim, qui a revenu ses activités indonésiennes à un cimentier local en 2019, affirme cependant être «profondément engagé à agir pour le climat», tout en maintenant dans un communiqué que «la question de savoir qui est autorisé à émettre des quantités de CO2» devrait relever «du réglementaire et non d'un tribunal civil».
Asmena, une plaignante, s'exprime via un traducteur devant la presse à Lausanne:
Cette mère de trois enfants, âgée de 42 ans, affirme avoir déjà perdu sa ferme d'algues marines à cause des inondations, qui ont également ravagé son élevage de poissons en charriant du pétrole. Cette année, elle avait commencé avec 500 alevins, «et il n'en reste plus que neuf», at-elle déclaré, ajoutant que ses revenus étaient «nuls».
Selon les habitants de l'île, les inondations d'eau salée ont, ces dernières années, augmentées en ampleur et en fréquence, endommageant les habitations et les moyens de subsistance.
Un autre plaignant, Arif Pujianto, 54 ans, est mécanicien et gestionnaire de plage. «La crise climatique est la plus grande menace pour ma vie», a-t-il lancé, via un traducteur.
Il a décrit comment les inondations sévères sur la plage de Star Beach avaient réduit l'étendue immaculée de sable de neuf mètres depuis 2021, détournant les touristes essentiels à ses revenus. Les marées montantes atteignent régulièrement sa maison en bambou, pourrissant les murs et contaminant son puits, le forçant à acheter de l'eau potable à prix élevé pour sa famille. Le petit atelier où il répare des motos et des moteurs diesel a également été inondé à plusieurs reprises, rouillant son matériel, a-t-il dit.
Si le tribunal suisse refuse d'examiner l'affaire, Pujianto a dit qu'il craignait de «perdre sa plage, son île, et aussi sa vie».
Les litiges impliquant des gouvernements et des entreprises fortement consommatrices d'énergies fossiles se multiplient ces dernières années, mais cette affaire marque la première action de ce type contre une grande entreprise de ciment.
C'est aussi la première plainte déposée par des Indonésiens contre une entreprise étrangère pour des dommages liés au climat et la première fois qu'une entreprise suisse est poursuivie pour son rôle présumé dans de tels dommages.
En outre, les plaignants demandent une réduction de 43% des émissions de gaz à effet de serre d'Holcim d'ici 2030 et une réduction de 69% d'ici 2040, l'Eper affirmant que l'entreprise serait ainsi en conformité avec l'objectif de l'Accord de Paris sur le climat de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.