Pour mettre en lumière leur plus grand atout, celui de la durabilité, les entreprises suisses sortent le grand jeu. Le producteur d'eau minérale Valser mise sur le slogan suivant:
Le producteur d'aliments pour bébé Hipp se targue, quant à lui, de proposer des petits pots «climatiquement positifs». Les abonnements mobiles de Swisscom, la visite du zoo de Zurich et même l'énergie fossile tant décriée ne sont, soi-disant, plus du tout nuisibles pour le climat. C'est en tout cas ce que promet la firme alémanique Kübler Heizöl avec son «mazout climatiquement neutre».
Et pourtant: la Fondation pour la protection des consommateurs a déposé plainte contre huit de ces affirmations «enjolivées et sans fondement». Elle demande au Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) d'examiner s'il peut déposer une plainte pénale contre ces entreprises sur la base de la loi contre la concurrence déloyale (LCD).
Interrogé à ce sujet, le Seco indique avoir conclu que six des huit publicités signalées pouvaient induire en erreur. Il a contacté les entreprises concernées pour les inviter à prendre position.
Le Seco peut intenter une action civile ou pénale lors de menace ou d'abus des intérêts collectifs. Pour cela, il doit y avoir plusieurs plaintes contre une même pub. La Fondation pour la protection des consommateurs y a veillé. Après que la Commission suisse pour la loyauté a mis en garde Kübler Heizöl et Hipp en octobre, les défenseurs des consommateurs se sont engouffrés dans la brèche. Ils ont appelé à dénoncer les pratiques publicitaires douteuses auprès du Seco. Suite à cela, la Confédération a reçu plus de 1000 demandes.
Si un tribunal reconnaissait l'illégalité de certaines promesses publicitaires, ce jugement pourrait s'assortir d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement allant jusqu'à trois ans.
Mais cette lutte pourrait encore durer longtemps. La Commission pour la loyauté s'est, dès lors, récemment vue contrainte de clarifier la situation.
L'organe d'autorégulation de la branche publicitaire est l'arbitre suprême des annonceurs en Suisse. C'est elle qui fixe les normes du secteur. Et même si ses recommandations ne sont pas juridiquement contraignantes, sa parole pèse dans la pratique.
Mardi 19 décembre, elle a accru la pression en édictant une directive sur le marketing dit «vert». Celle-ci précise «les exigences à remplir pour faire de la publicité avec des arguments environnementaux». Pour la première fois, les entreprises reçoivent ainsi des consignes concrètes sur ce qu'elles doivent prendre en compte dans leurs promesses publicitaires durables.
Dans les faits, la directive prescrit une «obligation de clarté et de vérité». Il faudra donc justifier de manière claire et transparente les allégations, au moins par des mots-clés. Les mesures de compensation qui donnent droit au label «climatiquement neutre» doivent figurer sur la publicité. En outre, les entreprises ont le devoir d'argumenter ce qu'elles avancent.
La commission donne un exemple:
Ce faisant, la Commission pour la loyauté continue de suivre sa propre ligne de conduite.
Un groupe de travail interne avait conclu que les bases légales actuelles étaient suffisantes pour lutter contre le greenwashing. Néanmoins, la nouvelle directive constitue un pas significatif. La Suisse se doit en effet d'agir, car la commission reçoit de plus en plus de plaintes pointant du doigt des messages publicitaires faussement écologiques. Et au sein de l'Union européenne, les politiques discutent de mesures plus strictes.
Ces événements ont fait réagir le Parlement. Dans le cadre de la nouvelle loi sur le CO2, le Conseil des États propose donc d'ancrer un passage sur le greenwashing dans la loi contre la concurrence déloyale.
Certes, le texte actuel pourrait déjà s'appliquer en cas de besoin. Mais une formulation plus concrète élargirait la marge de manœuvre des tribunaux. La Chambre des cantons prévoit que les indications sur l'impact climatique soient «étayées par des bases objectives et vérifiables». Celui qui ne le fait pas s'expose à des sanctions. Mercredi 20 décembre, le Conseil national a approuvé la modification.
Mais une loi plus sévère ne suffit pas à elle seule pour obliger les entreprises fautives à rendre des comptes. Les autorités doivent trouver le courage de faire appliquer les règles. Or, c'est là que le bât blesse, comme l'a récemment constaté le conseiller national du Centre Stefan Müller-Altermatt (SO) dans un postulat.
En effet, le Seco ne peut déposer une plainte que s'il en reçoit suffisamment. Si personne ne s'insurge, la Confédération a les mains liées, même si une entreprise agit manifestement de manière illégale. Comme les organisations de consommateurs craignent le risque de procès, elles aussi doivent le plus souvent rester les bras croisés – bien qu'elles puissent en théorie directement porter plainte elles-mêmes.
Le conseiller national du Centre Stefan Müller-Altermatt (SO) estime:
Il est donc nécessaire d'éliminer les obstacles à une action en justice. En réponse à cette intervention, le Conseil fédéral a déclaré vouloir renforcer le rôle de la Confédération dans de telles procédures.
Une révision de la loi ne figure pas à l'ordre du jour pour l'instant. Néanmoins, le débat actuel a déjà des répercussions. L'entreprise Kübler Heizöl a par exemple adapté son message publicitaire – «Kübler Heizöl est climatiquement neutre» – de crainte qu'il ne soit «mal compris». Désormais, «Kübler Heizöl est neutre en CO2». Il doit ainsi être clair que l'entreprise réduit ses émissions d'elle-même et qu'elle les compense par des projets climatiques.
L'entreprise veut continuer à réduire ses émissions. A partir de l'année prochaine, Kübler ne souhaite toutefois plus faire de publicité à ce sujet. Et d'expliquer:
Le fournisseur de mazout n'est pas le seul dans ce cas. Une étude de la société zurichoise South Pole, l'a montré l'année dernière: pour ne pas se rendre vulnérables, les entreprises renoncent à afficher leurs efforts de durabilité. C'est ce qu'on appelle le «greenhushing».
Adaptation française: Valentine Zenker