Le désengagement américain de la sécurité en Europe force les Etats du Vieux-Continent à redéfinir leur politique de défense. La Suisse n’échappe pas à cette obligation. L’incertitude entourant le recours au feu nucléaire américain pour protéger les Européens d’une attaque extérieure la rend vulnérable. Le bouclier américain, un luxe pour elle comme pour l’ensemble des Etats occidentaux, lui permettait de s’abriter derrière les dernières apparences de sa neutralité. Aujourd’hui, la neutralité n’est pas morte, mais elle n’autorise plus l’ambiguïté, en particulier sur les aspects stratégiques.
Soit la Suisse a une armée et elle ne peut être qu’intégrée opérationnellement à son environnement ami. Soit, elle n’a pas d’armée.
La Suisse doit à présent sortir de la tenaille incapacitante des faux jumeaux, mais vrais alliés que sont ou qu’ont été trop longtemps la gauche pacifiste et l’UDC isolationniste.
Il importe que le Conseil fédéral, sous le contrôle du Parlement, dispose d’une capacité d’action en matière de politique de défense. Pour quelle vision stratégique? Pour la seule vision stratégique envisageable lorsqu’on est un Etat responsable: maximiser la liberté de manœuvre, comme le recommandent les spécialistes des questions de défense. Autrement dit, tout prévoir, ne rien s’interdire. Il s’agit, pour la Suisse, d’utiliser tout l’espace disponible entre deux impossibilités, que sont, d’une part, se débrouiller seul, de l’autre, adhérer à une alliance de défense, ce que lui interdit sa neutralité.
Entre ces deux extrêmes, une défense totalement autonome et une adhésion à l’Otan, l’éventail des possibles est large. Il a pour nom la coopération renforcée avec des Etats européens. De manière à optimiser la formation et les coûts. La Suisse pourrait ainsi participer à des achats conjoints d’armements. De même est-elle amenée à s’entraîner avec ses voisins contre les cyberattaques ou à prendre part à des exercices communs en Europe pour accroître ses capacités opérationnelles. Cela s'appelle l'interopérabilité et cela ne n'oblige pas la Suisse à s'engager dans une guerre qu'elle n'aurait pas choisi de mener.
Demeure la question essentielle du budget. Nous ne sommes plus à l’époque bénie de la croissance sans fin, grâce à laquelle on croyait possible le financement conjoint de l’armée et de l’Etat social alors en développement. La chute de l’URSS nous a fait croire à tous que le temps de la paix s’installait pour longtemps. Cette parenthèse est désormais derrière nous.
Entre-temps, les dépenses sociales ont augmenté, pendant que baissait continument le budget de la défense. Il s’agit à présent de l’élever de 0,63% du PIB, son plus bas niveau, atteint en 2014, à 1% du PIB, quand les milieux militaires le souhaiteraient sans doute à 2%. Si la disparition du bouclier américain se confirme, il n’est pas exclu que l’effort de défense s’élève à 1,5% du PIB. Des arbitrages seront nécessaires. La conseillère nationale PLR vaudoise Jacqueline De Quattro le préconise d'une formule:
Le Conseil national a voté jeudi une déclaration invitant le Conseil fédéral à intensifier la coopération de la Suisse avec l’Europe en matière de politique de sécurité. Sous ses airs d’urgence, ce texte plein de bonne volonté, approuvé par 115 voix contre 66 (seule l’UDC y était opposée), ne prend pas réellement la mesure de la situation. Il se situe en quelque sorte dans le «monde d’avant», celui qui prévalait, en apparence du moins, jusqu’à l’élection de Donald Trump en novembre 2024, en réalité jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
Il n’est plus temps de naviguer dans les instances pensées pour l’après-guerre froide, telle l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, dont on voit tout le mépris qu’elle inspire à une Russie agressive. Il faut admettre qu’un palier vers la possibilité de la guerre a été franchi et qu’il convient dès lors, y compris en Suisse, de se préparer à cette éventualité. C’est ainsi que les valeurs de l’Europe, chères à la gauche et à la droite démocratiques, seront le mieux défendues.