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Guerre: «Voici ce que l'Europe va faire des 800 milliards»

Des soldats suédois. La Suède fait partie de l'Union européenne.
Des soldats suédois. La Suède fait partie de l'Union européenne.image: watson

Risques de guerre: «Voici ce que l'Europe va faire des 800 milliards»

Chargé du Programme Europe, stratégie et sécurité à l'Institut de recherche international et stratégique (IRIS), Federico Santopinto dit à quoi vont servir les 800 milliards d'euros mis à disposition des Etats membres de l'Union européenne.
05.03.2025, 18:5305.03.2025, 19:54
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Un très gros paquet d’argent, 800 milliards d’euros, est mis à disposition de l’industrie européenne d’armement. C’est ce qu’a annoncé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Concrètement, qu’est-ce qui va se passer?
Federico Santopinto: Ce n’est pas encore très clair. Il n’y a pas vraiment de budget de 800 milliards d’euros à titre de subventions pour l’industrie européenne de l’armement. Ce que l’on sait, c’est que 600 des 800 milliards pourront être dépensés par les Etats membres de l’Union européenne sans être calculés dans les paramètres des déficits qu’ils doivent respecter. A cela s’ajouteront 150 milliards d’euros sous forme de prêts, prélevés sur les dépenses non effectuées de l’Union européenne au cours de l’année écoulée.

Pour être très concret là encore, cet argent doit servir à relancer les chaînes de montage d’armement, c’est bien cela?
Oui, il s’agit de renforcer la production d’armes. En anglais, on parle de ramp up, d’une montée en puissance de la capacité de production dans le domaine de la défense et dans celui de la recherche et développement de nouveaux systèmes d’armes. Cela va permettre de financer des achats conjoints, entre autres.

Ces 800 milliards d’euros sont-ils en plus des budgets nationaux ou les remplacent-ils?

«Ils s’ajoutent aux budgets nationaux actuels. Sinon, on aurait affaire à un jeu à somme nulle»

L’Allemagne annonce des investissements massifs dans la défense, jusqu'à 500 milliards d’euros, sachant que le budget fédéral annuel est de 480 milliards d’euros. Pour cela, l’Allemagne va déroger à son mécanisme de limitation des dépenses. On est toujours ici dans le cadre du budget national allemand?
Oui, on se situe dans le cadre national, pas dans celui des 800 milliards annoncés par Ursula von der Leyen.

«L'Union européenne monte en puissance»

L’entrée en lice de l’Union européenne dans le domaine de la défense, par l'intermédiaire de la Commission de Bruxelles, est-elle quelque chose d’inédit?
Le rôle de l’Union européenne en tant qu’acteur de la politique européenne de défense est relativement inédit. L’UE a commencé à avoir un rôle dans ce domaine à partir de 2016. Elle est en train de monter en puissance sur ces questions. Il n'est toutefois pas nouveau que des pays dépensent beaucoup pour la défense. Durant la guerre froide, les dépenses militaires pouvaient atteindre jusqu’à 3,5% du PIB, puis elles sont fortement redescendues dans beaucoup de pays européens après la chute de l’URSS en 1991, avant de remonter après l'invasion russe de l'Ukraine en 2022.

La part grandissante de l’UE dans la politique de défense est-elle du goût de tous les Etats membres?
Il y a des réticences quant au rôle joué par la Commission européenne. Certains Etats voudraient pouvoir dépenser plus sans que Bruxelles ait son mot à dire. D’autres pensent au contraire qu’il faut donner un pouvoir à Bruxelles dans ce domaine. C’est toujours le même dilemme, celui relatif à plus ou moins d'intégration européenne. Mais, dans les faits, tout le monde est assez favorable à cette aide budgétaire européenne qui permet de dépenser plus pour la défense.

«Il faudrait être fou pour s’y opposer, lorsque l’on voit l’attitude de Donald Trump»

En termes stratégiques, assiste-t-on à une redistribution complète des cartes, pour reprendre l’expression employée par Donald Trump vendredi 28 février face à Volodymyr Zelensky?
C’est l’évidence même. L’augmentation décidée ces jours-ci des budgets de défense européens découle du fait qu’il n’y a plus de garantie sécuritaire américaine en Europe. C’est une nouveauté. De jamais vu depuis 1917. En effet, si l’Otan a été créée en 1948, l’intervention des Américains dans la sécurité européenne date de 1917, avec l’entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés de la France.

«On assiste donc à un schisme dans la doctrine américaine. Donald Trump a brusqué cette tendance isolationniste américaine, mais elle avait commencé à se déployer sous Barack Obama déjà»

La fabrication d’armes sous bannière européenne est une chose. Une armée européenne en est une autre. Va-t-on vers la constitution d'une armée européenne?
Non. L’UE est en train de développer une politique industrielle de défense, mais elle n’est pas en train de développer une capacité d’action en tant qu’armée européenne. Les Européens interviendront à travers des coalitions multilatérales, bilatérales, ad hoc.

«En d’autres termes, l’Union européenne est un sponsor stratégique, mais pas un acteur stratégique»

Quels sont les Etats en Europe les plus disposés à prendre leurs responsabilités militaires face à la nouvelle donne stratégique?
La France. C’est elle qui a introduit la notion d’autonomie stratégique de défense dans le débat européen. C’est la France qui veut que les Européens soient plus autonomes par rapport aux Etats-Unis. Il y a longtemps eu des réticences en Europe face à la France sur cette question.

«Mais à présent que les Etats-Unis se désengagent, les autres, en Europe, viennent sur la position française»

Le Royaume-Uni va-t-il rejoindre le reste de l’Europe dans sa recherche d’autonomie de défense?
On ne le sait pas encore. Avec ce qui se passe en Ukraine, le Royaume-Uni est clairement plus pro-européen. Mais jusqu’à quel point? Cela pourrait dépendre de la décision des Etats-Unis de l’exempter ou non d’une hausse des taxes douanières, alors qu’ils les ont remontées très haut pour les autres pays d’Europe. A terme, on ne sait pas comment le Royaume-Uni va se comporter. Pour l’heure, son intérêt est de s’associer le plus possible aux Européens. C’est l’intérêt aussi de l’Union européenne.

Avec les investissements importants qu’elle consent, l’Allemagne peut-elle devenir un pilier de la défense en Europe?
Oui, elle pourrait en devenir un. Cela dépendra de son évolution stratégique et de sa volonté ou non de déployer des soldats dans de possibles zones de combat. Sur ce point, Français et Britanniques ont une culture stratégique affirmée. Ils se déploient sur des théâtres d’opérations où ils savent qu’ils peuvent avoir des pertes.

«Si l’Allemagne devient sérieuse en matière de défense, ce qu’elle n’a pas été jusqu’à présent et ce qui semble désormais devoir changer, cela pourrait ôter quelques inquiétudes à Paris et à Londres»

A propos de l’Ukraine, sachant que Donald Trump entend négocier avec Vladimir Poutine, est-il illusoire de penser que les Européens puissent jouer ici un rôle?
Les Européens auront un rôle à jouer le moment venu, mais ce sera un rôle secondaire. Les jeux stratégiques seront faits à Moscou et à Washington. Ce n’est qu’ensuite qu’on demandera aux Européens d’intervenir. Les Européens ne sont donc pas déterminants dans la résolution de la guerre en Ukraine. Ils auront plus leur mot à dire sur la question des sanctions économiques frappant la Russie.

Connaissez-vous le «limbo skating»?
Video: watson
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