L'histoire de Svitlana est malheureusement commune en Ukraine: son mari Dima part au front et ne revient pas. L'officier, «medic» au sein des troupes de combat, n'a toutefois pas été tué: il a été capturé par les Russes.
L'Ukrainienne prend son mal en patience, espérant son retour. Mais, après deux ans d'attente, c'est une nouvelle inattendue qui lui tombe dessus — et elle vient des Russes, raconte la BBC. Svitlana reçoit un appel. Au bout du fil, un homme lui parle en ukrainien, mais avec un fort accent russe. Il dit s'appeler Dmitri et lui explique que son mari se trouve en prison, dans des conditions misérables. Il lui propose un marché: si elle accepte de travailler pour lui, le traitement pénitentiaire de Dima sera amélioré.
Dmitri est, selon toute vraisemblance, un agent du FSB qui utilise cette méthode ignoble pour faire chanter la femme du militaire capturé. Pour le sauver, elle doit trahir son pays. Les actes de chantage demandés par Dmitri exigent que Svitlana se mettent particulièrement en danger. Quelques exemples:
Mais Svitlana ne se laisse pas impressionner. Elle rapporte la tentative d'intimidation russe aux autorités. C'est le SBU, le renseignement ukrainien, qui la recontacte. Plutôt que de lui demander de directement couper court aux menaces, il lui demande de coopérer. Elle devient, malgré elle, un agent double.
Le SBU lui demande tout d'abord de documenter les échanges. Svitlana prend des screenshots des messages échangés avec Dimitri et installe une application pour enregistrer les appels téléphoniques. Puis, elle doit gagner autant de temps que possible.
Pour ce faire, Svitlana doit rentrer dans le jeu de Dimitri. Elle accepte une mission de sabotage du rail ukrainien. En échange, l'espion russe lui promet un coup de fil avec Dima. Ou mieux, de pouvoir lui envoyer un colis en prison.
Au téléphone, enregistré à son insu, l'espion russe lui explique comment fabriquer un cocktail molotov. Puis, il donne ses instructions:
L'agent du FSB lui demande ensuite de prendre une photo du boîtier électrique qu'elle compte incendier. Une fois le méfait effectué, elle doit prendre une autre photo comme preuve.
Durant toute cette phase, le SBU engrange les informations fournies par Svitlana. Puis, il lui demande de couper le contact avec Dmitri. La femme s'exécute.
Dmitri lui signifie tout d'abord que si elle ne remplit pas sa mission, il fera tuer son mari. Svitlana ne cède pas. Les jours qui suivent, Dimitri rappelle, en lui donnant ce simple message:
'Your husband's being tortured, and it's your fault' https://t.co/phZRG2c2P5
— BBC News (World) (@BBCWorld) January 14, 2025
Ce même message suivra le jour d'après, puis celui d'après encore. Svitlana prie pour que les menaces de l'agent russe ne soient que des paroles en l'air. «Mon Dieu, faites que cela n'ait pas eu lieu», dit-elle à la BBC.
Près de la moitié des proches de prisonniers de guerre ukrainiens en Russie ont ainsi été contactés par des agents du FSB pour les faire chanter. Cela représente près de 4000 familles. «Ils sont dans une position très vulnérable», reconnaissent les autorités. D'autres saboteurs ukrainiens sont aussi approchés par appât du gain et payés par le renseignement russe.
Le SBU, de son côté, ne s'excuse pas d'avoir «retourné» Svetlana: «Coopérer avec les agents russes ne permettra en aucun cas d'améliorer le traitement des prisonniers. Cela pourrait même compromettre leurs chances d'être libérés.»
En effet, si le FSB réussit à mettre à sa botte un citoyen ukrainien par la peur, il sera tenté de faire monter la pression pour le forcer à commettre d'autres attentats. Le SBU explique que si la police attrape un saboteur, la haute trahison peut être prononcée.
Dans ce genre de cas, Kiev n'hésite pas à communiquer publiquement sur l'arrestation et les peines encourues. Car même si une infime partie des proches contactés accepte de coopérer avec les Russes, les dégâts peuvent être conséquents. L'incendie d'un véhicule militaire est considéré comme une perte légère. Mais donner l'emplacement d'un dispositif anti-aérien peut avoir de très graves conséquences. Une fois neutralisés, ils mettent des zones d'habitations entières sous le risque d'être attaquées par des missiles ou des drones de Poutine.
A l'inverse, s'ils dénoncent immédiatement la tentative d'un «Dmitri», leur protection est assurée. Ce fut le choix de Svitlana. Et malgré la peur et les angoisses, son histoire s'est bien terminée: il y a trois mois, Dima a été libéré dans un échange de prisonniers. Il a retrouvé sa femme et leur fils de quatre ans.
Dima n'a, contrairement aux menaces de Dmitri, pas été torturé. Il n'était pas non plus au courant que le FSB avait tenté de faire chanter sa femme, qui a bien fait de tenir le coup.
Les autorités russes assurent, de leur côté, respecter les Conventions de Genève quant au traitement des prisonniers ukrainiens. Mais faire croire à des tortures pour manipuler leur famille n'est pas glorieux pour autant. Moscou accuse justement Kiev d'utiliser les mêmes méthodes pour semer le chaos en Russie.