Commentaire
Férocement opposés à la loi anti-terroriste par crainte d'une «surveillance généralisée», ils défendent aujourd'hui le certificat Covid. Ou l'inverse. Commentaire sur ce qui s'apparente à un paradoxe politique.
28.11.2021, 07:3730.11.2021, 19:02
A l'occasion des votations de ce dimanche 28 novembre, il est intéressant de se pencher sur le thème de la surveillance des citoyens. Brandie comme un danger par de nombreux adversaires du Certificat Covid et donc de la loi Covid, elle était déjà au centre d'un tout autre débat il y a seulement cinq mois.
Rappelons-nous. Le 13 juin de cette année, nous votions en Suisse sur la nouvelle loi anti-terroriste. Celle-ci, pompeusement intitulée loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT), visait à renforcer les moyens de la Suisse pour lutter contre le terrorisme. Au centre de ce texte porté par le Conseil fédéral, deux choses importantes:
- La possibilité pour la police fédérale d'agir rapidement quand un acte terroriste est concrètement prévisible, mais qu’aucune infraction n’a encore été commise. Et ce, sans l’intervention d’un juge.
- La redéfinition du terroriste, comme un être suspecté de commettre «des actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves, la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte.»
Si vous souhaitez revenir plus précisément sur ce débat👇
Un illogisme intellectuel,
une logique électorale
L'argument principal auquel étaient sensibles les personnes qui s'opposaient à cette loi était celui selon lequel cette redéfinition du terrorisme et des moyens de le prévenir violait les libertés des citoyens. Ou, du moins, créait le contexte légal pour leur violation. Cette préoccupation, par ailleurs fondée (on peut penser aux réflexions de l'avocat et écrivain français François Sureau dans son brillant essai Sans la liberté), était notamment défendue par ces politiciens, qui pourtant aujourd'hui soutiennent le Certificat Covid:
Virginie Cavalli, co-présidente des Jeunes Vert’libéraux suisses
«Nous ne voulons pas d’une société de surveillance. Je ne minimise pas le problème, mais le Parlement doit revoir sa copie, et je lui fais confiance pour qu’il le fasse rapidement.»
Carlo Sommaruga, conseiller aux Etats PS genevois
«La ligne rouge, c'est la restriction des droits fondamentaux dans notre pays qui se veut un Etat de droit, qui se veut un Etat champion de la défense des droits fondamentaux. Avec cette loi, on change le paradigme.»
Or, ces deux mêmes personnalités défendent aujourd'hui la loi Covid en riant au nez à leurs opposants, qui redoutent l'avènement – à court, moyen ou long terme, peu importe – d'un Etat policier et discriminatoire. Il eût été intéressant qu'ils rappellent leur position beaucoup moins confiante envers l'Etat pour ce qui était de la loi anti-terroriste, et expliquent pourquoi le certificat Covid ne leur procure pas cette méfiance. Après tout, même si le QR code sanitaire ne permet pas une traque aux citoyens déviants, ce genre de traques a toujours résulté de la manigance d'un outil a priori inoffensif.
Mais l'attitude inverse doit aussi être questionnée. A savoir celle des élus, majoritairement UDC, à avoir ardemment défendu la loi sur les MPT, en affirmant que la Suisse n'aurait aucun intérêt ni de possibilité de chercher des poux à l'honnête citoyen, mais qui aujourd'hui voient dans le certificat Covid la porte ouverte à ce genre d'activités fascisantes. Un exemple:
Jean-Luc Addor, conseiller national UDC valaisan
Sur les MPT: «Ce qui nous préoccupe, c’est la sécurité des Suisses. Si avec ce projet, nous réussissons à empêcher un seul attentat, à épargner une seule victime, nous n’aurons pas travaillé pour rien.»
(Source: Swissinfo) Sur le Certificat Covid: «L’essence de mon engagement est liée à mon souci pour les libertés dans ce pays. On divise la société entre les vaccinés à qui on donne bonne conscience et les non-vaccinés qu’on criminalise.»
(Source: Swissinfo) Un thème qui mérite mieux que de l'opportunisme
Même si le terrorisme et la santé ne sont pas à mettre sur le même plan (l’un concerne indirectement tout le monde, l’autre concerne directement tout le monde), ce paradoxe politique doit être souligné. Il est d'autant plus nécessaire de le pointer que nous parlons là d'un thème important. Avec les possibilités technologiques et les problèmes sécuritaires que nous connaissons actuellement, la surveillance des citoyens par des pouvoirs publics, mais aussi privés, est l'un des grands enjeux de notre siècle.
Ce dossier mérite donc mieux que de l'opportunisme. Il s'agit d'être honnête et conséquent face à ce qui est bel et bien un risque permanent de glissement liberticide, au départ avec de bonnes intentions, comme l'a défendu le journaliste Anouch Seydtaghia du Temps, spécialisé dans les questions de technologie:
«Chacune de ces idées, chacune de ces technologies doit être analysée avec soin. Est-ce nécessaire? Quel est le but recherché? Ces mesures sont-elles temporaires et à quelles conditions? Nous devons, en permanence, être extraordinairement attentifs face à ces innovations. Il est si facile, que ce soit pour l’Etat ou des entreprises privées, de lancer des services sous le couvert d’une protection accrue de la société. Parfois, les mesures envisagées sont inadéquates, disproportionnées ou détournables à des fins malveillantes.»
Plus généralement, avec des hommes et des femmes politiques qui seraient un minimum cohérent en l'espace de six mois, on gagnerait aussi au change sur le plan de la confiance de la population envers leurs élites. D'une pierre, deux coups!
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