Envisager la vaccination obligatoire de tout un pays est tabou. Absente en Suisse comme dans l'ensemble des démocraties libérales, elle a le grand défaut d'être contraire à notre Constitution, à entendre la grande majorité des politiciens et des observateurs. Même un jour comme le 1er octobre 2021, jamais le Conseil fédéral n’aurait osé évoquer l'idée d'une vaccination obligatoire. Mais en Suisse, on est bien placé pour savoir que, d'une certaine façon, la Constitution, ça se discute.
Il semble d'ailleurs y avoir un désaccord significatif au sein de la population sur la question de la vaccination obligatoire. Un récent sondage Tamedia indique que 2 Suisses sur 5 y sont favorables. Cette idée séduit même une majorité de plus de 65 ans (56%).
Cela nous amène à cette question: pourquoi l'obligation vaccinale est-elle décrite comme anticonstitutionnelle? Comment comprendre les concepts d'atteinte à l'intégrité physique et à la liberté de choix? Et une remise en question des principes en jeu devrait-elle (re)voir le jour?
Aucun parti politique ne propose la vaccination obligatoire. Mais quelques voix indociles se font entendre ici et là. C'est le cas par exemple à gauche de la gauche. La conseillère nationale genevoise Stéfanie Prezioso, du groupe Ensemble à gauche, prône la vaccination obligatoire, avec comme conditions l'abandon des brevets de vaccins et un renforcement drastique de la médecine préventive. Jointe par watson, elle explique:
Très concrètement, il ne s'agirait pas de contraindre physiquement les personnes à recevoir une injection. Mais d'investir de gros moyens dans une information à large échelle, avec du personnel qui se rend sur place, dans les quartiers, pour convaincre la population. La parlementaire est consciente qu'une mise en application de sa solution nécessiterait une révolution copernicienne. Mais elle croit en tout cas que si prise de conscience il y a, elle viendra du bas, observant cette sensibilité dans nombre de syndicats et d'associations.
La conseillère nationale Léonore Porchet (Les Verts/VD), elle aussi de sensibilité très à gauche, est d'un tout autre avis: «Il s'agirait d'une contrainte très intime, qui obligerait les gens à recevoir un produit contre leur volonté», répond-elle au téléphone. «Il y a des peurs, des croyances religieuses, des interrogations qui ont un impact sur ce choix. On a une responsabilité de respecter la conscience de tous». S'ajoute à cela le respect de l'intégrité physique, spécifié dans l'art. 10, al. 2 de la Constitution.
Stéfanie Prezioso est d'avis que les irréductibles du vaccin représentent tout au plus 15% de la population; une atteinte de l'immunité collective avec 85% de personnes vaccinées ne violerait donc aucun droit fondamental selon la parlementaire. Pour elle, d'ailleurs, parler de responsabilité individuelle n'a aucun sens en matière de santé publique, pas plus que de capital santé qui ne soit pas collectif.
«D'un point de vue historique, il n'est pas étonnant que la question de la vaccination obligatoire se pose», observe l'historien de la médecine Vincent Barras. «Ni que cette idée rencontre des hostilités auprès de la population». Sur fond de tension entre la liberté individuelle et la conscience des citoyens de faire partie d'une communauté politique, la question de la vaccination obligatoire, en lien avec la santé publique, s'invite depuis plus de 100 ans en Suisse.
Replaçons-nous en 1882. Le Conseil fédéral, composé de sept radicaux, dont on ne peut soupçonner qu'ils soient hostiles aux fondements juridiques de la Suisse moderne, qu'ils ont forgée, a porté une loi qui veut imposer la vaccination obligatoire contre la variole. Approuvée par le parlement, elle est refusée par le peuple suite au référendum lancé par les conservateurs catholiques, ancêtres du parti Le Centre.
L'historien vaudois de sensibilité radicale Olivier Meuwly, dans une chronique au Temps, racontait 130 ans plus tard l'importance politique de cet épisode:
L'actualité de cette discussion est immense. «Aujourd'hui comme hier, la question de la vaccination obligatoire est liée à notre rapport aux institutions», commente Vincent Barras. «Il existe chez une partie des Suisses une résistance à l'Etat supérieur qui nous dicte une manière de faire». Mais le professeur à l'Université de Lausanne reconnaît aussi le caractère inédit du Covid et des discussions qu'il a engendrées: