Journalistes, vos papiers! C’est sous une surveillance constante que travaillent les médias couvrant les mouvements d’occupation des universités en lien avec la guerre à Gaza. On sent bien que, s’ils le pouvaient, les organisateurs de ces mouvements se passeraient volontiers de la présence des «têtes» qui ne leur reviennent pas.
Pour la deuxième fois en une semaine, votre serviteur s’est vu prier de remettre les pages de notes qu’il avait prises sur son calepin. Une première fois, vendredi, à l’Unil (Lausanne), une seconde fois, mardi, à l’Unige (Genève). Et ce, chaque fois après qu’une personne de la «team médias», seule habilitée à parler à la presse, fut intervenue lors d’un entretien avec un tiers, alors que l’anonymat de ce dernier pouvait être garanti. Ces procédés sont attentatoires aux usages démocratiques.
Mardi toujours, à l'Unil, Raphaël Jotterand, journaliste au Temps, a eu droit aussi à un traitement «spécial», avant que les choses finissent par s’arranger. Il raconte:
Il poursuit:
Question: un endroit aussi fréquenté qu'un hall d'université est-il indiqué pour y mener des assemblées générales cherchant la discrétion? Ensuite: les mouvements d’occupation des universités de Lausanne et Genève, censément apolitiques, sont-ils sous la coupe de l’extrême gauche? Leur attitude envers les médias – et certains de leurs journalistes en particulier – pose en tout cas question.
En France, il est arrivé au Rassemblement national de ne pas délivrer d’accréditation au quotidien Libération, par exemple, au motif d’une couverture critique de sa ligne politique. L’extrême gauche n'est pas moins procédurière: en certaines circonstances, on connaît sa propension à se comporter en censeur avec tout ou partie des médias.
Cette surveillance vis-à-vis de la presse, quelles qu’en soient les raisons, n’a pas lieu d’être. Certes, un youtubeur, dont le seul objectif serait de prendre des images pour afficher des visages sur sa chaîne, donnerait dans la malveillance, à la limite du comportement harceleur.
S'agissant des médias écrits, des militants sont en droit de refuser de répondre à un titre ou à un journaliste dont la ligne supposée ne leur convient pas, mais rien, selon nous, ne les autorise à dresser des listes de titres ou reporters non grata, ni à se comporter en service d'ordre en exigeant après coup que des propos récoltés sur des feuilles de papier soient remis ou détruits. C’est abuser d’un pouvoir qu’ils n'ont pas.
Les mouvements politiques – les actuelles occupations sont par définition politiques – doivent accepter la contradiction, d’autant plus lorsqu’ils occupent des espaces dédiés au public. La contrepartie, pour les journalistes, comme en toute occasion, est d’être aimable avec les personnes interrogées et de rapporter fidèlement leurs propos.
Spécialiste des médias, Alexis Lévrier, maître de conférence à l’Université de Reims, que watson avait interviewé à propos de CNews, a déploré sur X que des «étudiants radicalisés se réunissent devant la meilleure école de journalisme (de France) pour hurler leur détestation des médias. Lieu de débat, d'ouverture et de formation de l'esprit critique, l'ESJ de Lille mérite mieux que cette intolérance décomplexée.»
Triste symbole. Ces étudiants radicalisés se réunissent devant la meilleure école de journalisme pour hurler leur détestation des médias. Lieu de débat, d'ouverture et de formation de l'esprit critique, l'@ESJLille mérite mieux que cette intolérance décomplexée. https://t.co/5uMJGF758N
— Alexis Lévrier (@Alexlevrier) May 2, 2024
L’attitude des militants propalestiniens de Genève et Lausanne, attirant l’attention sur la situation dramatique dans la bande de Gaza et exigeant que des mesures soient prises contre Israël et son gouvernement, n’est pas celle d’«étudiants radicalisés» fermés à tout contact avec la presse – la presse leur est utile aux fins de propager la contestation. Mais il y a chez eux de la radicalité – chose normale lorsqu’on porte des revendications – et peut-être aussi des éléments radicalisés en leur sein. Sans doute faut-il comprendre la surveillance appliquée aux médias, également comme un moyen d’éviter que ceux-ci ne recueillent des propos qui pourraient nuire à la cause. D’où une claire répartition des tâches au sein du mouvement: médias, sécurité, soins («care»).
Ce mode d'organisation, le déploiement spatial de l'occupation, placée à la vue de tous, avec son atelier banderoles et lettres peintes, fait penser à Nuit debout, un mouvement social qui avait pris possession de la place de la République, à Paris, pendant trois mois, au printemps 2016.
Alors, pour ce qui concerne la presse, «journalistes, vos papiers!», c'est quelque chose qui n’est pas acceptable.