Heureusement que les négociations entre la Confédération et l’Union européenne sont achevées! Imaginons que ce ne soit pas le cas: Bruxelles aurait beau jeu d’invoquer le comportement de maquignon de Donald Trump vis-à-vis de la Suisse pour se montrer moins prête au compromis sur certaines dispositions des Bilatérales III. «Voyez comme il vous traite, ne soyez pas si difficiles avec nous!», entendrait-on aujourd’hui.
Enfourchant sans vergogne l’expression populaire «plus c’est gros, plus ça passe», l’UDC se rue d’ailleurs sur le terrain européen en vertu d’une autre expression de circonstance: «La meilleure défense, c’est l’attaque.»
Ce ne serait pas la voie solitaire, le fameux «Alleingang» promu depuis près de 40 ans par le parti nationaliste, ni même la confiance béate de ce dernier en Donald Trump, qui expliqueraient pour partie les 39% de droits de douane infligés aux exportations suisses. Non, ce serait la faute d’une poignée de conseillers fédéraux traitres, qui auraient saboté les négociations avec les Etats-Unis pour favoriser le rapprochement avec l’Europe.
L’UDC est prise en flagrant délit de fabrication d’une vérité alternative. Sauf que cela marchera sans doute. Contre toute évidence: imagine-t-on des ministres fédéraux comploter contre l’Amérique au détriment de millions de salariés suisses?
Mais l’UDC n’est pas seule en cause. Elle est même un bouc émissaire un peu trop évident. Le problème, c’est nous. Culturellement, financièrement, linguistiquement, nous avons fait de la Suisse une petite Amérique sœur de la grande. Pourquoi? Parce que nous avons peur, parce que nous ne nous faisons pas confiance.
Cette fuite en avant américaine s’explique par plein de raisons plus ou moins enfouies. Des raisons liées à notre identité confédérale. L’Amérique avec ses séries à foison et ses business models serait ce ciment de substitution capable de tenir les Suisses ensemble, là où plus grand-chose ne les réunirait, à part la Coop et la Migros.
Des raisons liées à notre environnement proche, ensuite. L’Amérique est un moyen de fuir l’Europe, de s’en émanciper, de la nier. Etre européen, pense-t-on, c’est se retrouver dans la situation du «petit» tenu pour quantité négligeable par les anciennes puissances: la France, l’Allemagne, qui sait, l’Autriche. Et puis, l’Europe, c’est le spectacle de problèmes paraissant insolubles – la criminalité étrangère, l’immigration incontrôlée – dont nous nous figurons être davantage à l’abri que ces pauvres Européens… L’affaire de la piscine de Porrentruy «interdite aux Français» dit bien tout le tourment que cette proximité de l’Europe nous cause.
Pourtant, il va falloir, maintenant, accepter d’être des Européens. Il n'y a pas de honte à cela. Dans le dossier des Bilatérales III, on ne parle pas ici d'adhésion à l’Union européenne, cette dernière s’est montrée bien plus respectueuse de la Suisse que les Etats-Unis de Donald Trump.
Dans l’immédiat, parce que le coup porté à la Suisse par Washington tient de ce que nous avons appelé lundi un Pearl Harbor, la politique suisse s’annonce sanglante, tant la perte de repères est grande et la recherche de coupables a le goût de la vendetta.