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Il explique comment la Suisse doit «offrir la victoire à Trump»

Cet expert américain sait comment la Suisse peut renégocier avec Trump.
Double déséquilibre: le professeur Daniel Ames s'exprime sur l'échange entre Keller-Sutter et Trump. Image: Keystone, montage watson

Ce négociateur explique comment la Suisse doit «offrir la victoire à Trump»

Pourquoi l'entretien téléphonique entre Karin Keller-Sutter et Donald Trump a-t-il échoué? Quelle tactique la Suisse peut adopter pour redresser la situation? Daniel Ames, professeur de stratégie de négociation à New York, connaît bien le fonctionnement du milliardaire républicain.
06.08.2025, 11:4906.08.2025, 11:49
Patrik Müller / ch media
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La conversation entre la présidente de la Confédération suisse et Donald Trump a tourné à l'esclandre: il s'est senti sermonné et a critiqué par la suite le manque d'écoute de son interlocutrice. Trump a-t-il simplement joué un jeu de pouvoir?
Daniel Ames: On ignore comment la conversation s'est déroulée, précisément. Mais il y a un double déséquilibre dans cet échange. D'une part, en termes de pouvoir: les Etats-Unis sont beaucoup plus grands et tous les autres pays cherchent à accéder à leur marché; le scénario classique de David contre Goliath. D'autre part, il y a un déséquilibre psychologique: l'approche des Etats-Unis repose avant tout sur une logique de somme nulle.

«Donald Trump estime que dans le commerce extérieur, l'un doit gagner et l'autre perdre»

La logique du jeu à somme nulle contredit toutes les théories des économistes: avec le libre-échange, les deux parties sont gagnantes.
Trump a rompu avec ce concept. Il renverse tout un siècle d'expérience qui a montré que cela profite au monde entier, que tous en profitent, lorsque chaque pays fait ce qu'il sait faire le mieux et que les barrières commerciales tombent.

«Le nouveau gouvernement américain apporte une façon de penser complètement différente, qui complique beaucoup les négociations»

Karin Keller-Sutter voulait peut-être lui expliquer précisément cette logique.
Dans une négociation, je tenterais effectivement, en temps normal, de convaincre mon interlocuteur avec les avantages des solutions communes. Mais pas avec Trump. Sa façon de penser est complètement différente.

Il agit de manière économiquement irrationnelle, mais il a derrière lui la nation la plus puissante. Il peut presque tout se permettre.
L'économie américaine est gigantesque et occupe une place centrale à l'échelle de la planète. Cela confère au président un pouvoir énorme dans les négociations.

«Pour de nombreux pays, le marché américain est vital»
A propos de l'intervenant
Daniel Ames est professeur de gestion à la Columbia Business School de New York, où il enseigne depuis 2002. On le connaît pour ses travaux sur la prise de décision, la négociation, le leadership et le comportement organisationnel. Il a reçu plusieurs distinctions pour son enseignement.
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En Suisse, nous avons toujours pensé que le républicain nous aimait bien. Son comportement brusque envers Karin Keller-Sutter prouve toutefois le contraire.
Il y a de bonnes raisons de penser que les sympathies personnelles jouent un rôle important dans les décisions de Trump. En tant que partenaire de négociation, il faut ainsi essayer de créer un lien personnel. Cela aura pour sûr une influence. Les compliments et les liens d'individu à individu deviennent alors des outils importants.

Trump veut qu'on le flatte, et il veut engranger des succès.
Oui. Cela m'amène à deux conclusions fondamentales qui, à mon avis, priment pour toute négociation. Premièrement, que ce soit entre des individus, des entreprises ou des Etats, il faut se connaître soi-même. Deuxièmement, il faut connaître son interlocuteur. Se connaître soi-même revient à déterminer ce qui est le plus important pour nous. Pour quoi sommes-nous prêts à nous battre le plus ardemment? A quoi pourrions-nous renoncer en cas d'urgence?

«La délégation suisse chargée des négociations doit avoir ces points clairement en tête. C'est absolument essentiel, surtout dans les situations avec peu de marge de manœuvre: si l'on ne peut obtenir qu'une seule chose, qu'est-ce que l'on priorise?»

Que voulez-vous dire par «comprendre son interlocuteur»?
Avant d'entamer une négociation, on détermine les points clés aux yeux de son interlocuteur. On réfléchit aussi à comment l'aider à sortir gagnant de la situation, de son point de vue. Dans un jeu à somme positive, les deux parties peuvent tirer leur épingle du jeu.

«Dans une situation à somme nulle, qui est l'optique de Trump, il s'agit souvent de permettre à l'autre d'obtenir la "victoire" souhaitée tout en préservant ses propres intérêts»

Notre journal a proposé aujourd'hui, à moitié sur le ton de la plaisanterie et à moitié sérieusement, de transférer le siège de la FIFA à Miami et de nommer Trump président d'honneur.
Ce serait une mesure symbolique, sans aucune incidence sur le commerce international, mais qui pourrait compter pour Trump, sur le plan personnel. Ce n'est pas du tout absurde, car la proposition tient compte de la manière d'agir de l'interlocuteur.

Le Conseil fédéral a décidé d'envoyer la présidente de la Confédération et le ministre de l'Economie à Washington. Ils tenteront de conclure un accord de dernière minute. Est-ce judicieux?
La double délégation est une concession procédurale qui pourrait marcher: elle donne justement au gouvernement américain l'image qu'il souhaite renvoyer, celle d'une puissance forte et dominante, respectée par les autres Etats. Bien sûr, il y a un risque que cela ne donne rien, et on se retrouverait alors dans l'embarras. Mais le geste reste symbolique, et ne coûte pas grand-chose.

«Pour la Suisse, il y a un enjeu de taille»
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L'homme qui voulait être flatté.Image: keystone

La manière dont il a traité Zelensky le prouve: après un incident, Trump peut retourner sa veste lors d'une conversation ultérieure avec la même personne.
Exactement. On ne sait pas exactement ce qui s'est dit lors de cet appel téléphonique, mais il semble y avoir des parallèles avec la rencontre avec Zelensky:

«Lorsque Trump se sent offensé ou pas assez considéré, à tort ou à raison d'ailleurs, cela peut rapidement dérailler»

Il peut sembler injuste que David doive louer Goliath. Mais si cela pousse Goliath à penser et à parler différemment, et donc à aider David, alors c'est une technique efficace.

Le Conseil fédéral devrait-il donc promettre des investissements en apparence alléchants, mais qui ne se réaliseront pas, à terme?
La délégation suisse devrait essayer de recueillir un maximum d'informations et déterminer les concessions les plus importantes pour le gouvernement américain. Il s'agit de se rapprocher autant que possible du schéma de pensée de son interlocuteur.

«Si l'on parvient à établir des contacts qui permettent de mieux saisir le fonctionnement de la délégation américaine, on pourra arriver avec des propositions ciblées. Et aussi plutôt audacieuses.»

En Suisse, beaucoup craignent qu'il ne soit trop tard. Le 7 août, c'est littéralement demain!
Il ne faut pas se laisser déstabiliser par ce genre d'ultimatums. Un principe de base dans les négociations, surtout en cas de déséquilibre de pouvoir, reste l'approche proactive. Il est pratiquement impossible de conclure un accord commercial en si peu de temps.

«Je définirais l'objectif différemment: la Suisse devrait d'abord gagner du temps avec Trump»

Gagner du temps, mais comment?
Avec un petit «sussucre»: par exemple des concessions qui permettent au gouvernement américain d'accorder plus facilement sept ou même 30 jours supplémentaires pour parvenir à un accord. Cela s'est déjà vu à plusieurs reprises avec le dirigeant actuel. Il vaut donc la peine de réfléchir aux discussions dans toutes leurs dimensions: les lieux, le calendrier, les processus décisionnels.

Si la présidente de la Confédération et le ministre de l'Economie lisent cette interview, ils sauront à quoi prêter attention…
(Rires) Et je me permets d'ajouter un point. Prévoir des alternatives! Si David dépend de Goliath, il doit également supporter ses exigences et son éventuel arbitraire. Si David a des alternatives, sa dépendance diminue. Cela ne signifie pas qu'il faille se montrer hostile envers Goliath. Mais il faut discrètement et systématiquement trouver d'autres partenaires.

«Je pense que la Suisse et d'autres pays européens y travaillent déjà activement, et c'est un élément important de la stratégie à long terme. Même si on n'en parle pas ouvertement.»

(Traduit et adapté par Valentine Zenker)

Donald Trump est photogénique, la preuve
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source: corbis news / view press
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- Trump évoque son appel avec Karin Keller-Sutter
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