On a appris il y a deux semaines que la sécurité autour des conseillers fédéraux avait été renforcée à cause des tensions liées au Covid. Vous qui êtes également exposé, comment est-ce que vous vivez actuellement?
Mauro Poggia: Je vis comme tout le monde, c'est important, je pense. Il y a une caméra de surveillance à l'entrée de mon bureau mais sinon, quand je sors, je suis seul, sans précautions particulières. Je circule en scooter et je vais faire mes courses moi-même. J'ai encore pris le train hier. Cette proximité avec les citoyens fait partie des particularités de notre pays. Jusqu'au jour où cela se passera mal... C'est vrai que c'est un peu la crainte aujourd'hui.
Vous avez reçu des menaces?
Oui, j'ai reçu des lettres de menaces où on disait qu'on aurait ma peau. Ça ne m'était jamais arrivé avant le Covid. Un membre de ma famille a aussi été interpellé par quelqu'un qui lui a dit des choses très méchantes sur moi. Sans compter tout ce qui est écrit sur les réseaux sociaux. Tant que c'est moi, ça va. Si c'était ma famille qui était visée, à l'image de Monsieur Berset, cela m'inquiéterait davantage. Mais la majorité des courriers que je reçois, ce sont des encouragements. C'est pareil avec les gens qui m'abordent dans la rue, la plupart du temps, cela se passe bien même si, il y a trois semaines, quelqu'un m'a traité d'Hitler. Sur le moment, c'est assez dur à vivre. Je pense que les montages qui ont circulé avec la photo de mon visage et d'Hitler ont donné des idées à certains.
Comment vous expliquez ces tensions à votre encontre?
Je suis souvent dans les médias pour parler de la pandémie donc cela augmente ma visibilité et le ressentiment à mon égard. «Le problème, aujourd'hui, c'est qu'on attribue à certains politiciens un rôle qu'ils ne jouent pas seuls et qu'on les désigne comme responsables des problèmes des gens.» Dans un collège d'élus, il n'y a pas une seule personne qui décide de tout. Je regrette cette image de décideur unique dont souffre aussi Alain Berset. On a d'ailleurs vu que les autres membres du Conseil fédéral ont pris sa défense en conférence de presse. Quand on parle de dictature sanitaire, il y a quand même le mot dictature qui n'est pas anodin.
Vous êtes inquiet pour votre sécurité?
Faut-il le ressentir comme une menace? Je ne veux pas voir de risque, je me dis que ceux qui passent à l'acte n'écrivent pas avant. Je préfère ne pas y penser, je suis d'un naturel assez optimiste.
Vous estimez être suffisamment protégé?
Je ne vous cache pas qu'on se pose la question. Même si cela représente un risque, je ne souhaite pas que ma sécurité soit renforcée car je crois que la force de notre démocratie, c'est la spontanéité et la proximité avec les citoyens. Ce serait dommage de perdre cela. Il ne faut pas jouer les héros inutilement, mais je me verrais mal me promener avec des gardes du corps, ce serait le pire des messages. Une grande majorité de la population ne comprendrait pas qu'on se mure dans une dérive sécuritaire. Cela ne ferait qu'alimenter une image de froideur et de distance. Je trouve que le pays a trop à perdre...