A Zurich-Altstetten, anarchie et capitalisme se côtoient de manière rapprochée. En effet, alors que le plus grand squat de Suisse vient de prendre fin sur le site du Koch-Areal, un immeuble situé de l'autre côté de la rue est le numéro un du portefeuille de logements de l'UBS. Les 354 appartements de l'Anemonenstrasse, construits en 1971, rapportent chaque année près de 11 millions de francs à la banque.
Avant même le projet de rachat de Credit Suisse (CS), UBS était déjà une grande actrice du marché immobilier suisse. Mais avec le portefeuille de sa concurrente, son importance prend de nouvelles dimensions.
Désormais, près de 69 000 logements sont détenus par des fonds immobiliers de la nouvelle banque ou appartiennent à des fondations de placement qu'elle gère. Elle dépasse ainsi le leader actuel de la branche, Swiss Life, qui compte actuellement environ 40 500 logements. Les logements des caisses de pension des banques ne sont pas pris en compte dans ces calculs.
La plupart des appartements n'appartiennent pas à proprement parler à la banque, mais à ses fonds immobiliers et donc à leurs investisseurs. Une petite partie se trouve dans le portefeuille de la fondation de placement Credit Suisse. Il s'agit d'une fondation dans laquelle les caisses de pension investissent des fonds de prévoyance et qui est juridiquement indépendante du Credit Suisse.
Pour les locataires, le fonds ou la fondation à qui ils versent leur loyer n'a qu'une importance secondaire. D'une manière ou d'une autre, c'est la banque qui a le dernier mot. Avec une occupation moyenne de 2,2 personnes par logement, quelque 150 000 personnes soutiendraient la performance des fonds immobiliers de la banque avec leur loyer – peut-être sans le savoir. En effet, des sociétés spécialisées comme Wincasa ou CSL se chargent souvent de la location et de la facturation au nom de la banque.
Les deux plus grands prestataires privés, UBS et Swiss Life, disposent désormais à eux deux de près de 110 000 logements, dépassant de loin les constructeurs de logements communaux et d'utilité publique. A titre de comparaison, la ville de Zurich possède environ 9400 logements et la plus grande coopérative d'habitation de Suisse, ABZ, un peu plus de 5000.
Les avis divergent sur les mérites et les risques des bailleurs institutionnels pour les locataires. D'un côté, ils construisent un grand nombre de logements nécessaires de toute urgence – et selon une enquête réalisée en 2021, la majorité des plus de 20 000 locataires d'UBS, Swiss Life et Axa interrogés sont «très satisfaits» de leur situation en matière de logement.
L'association des locataires est, toutefois, sceptique. Credit Suisse et UBS ne lui sont «pas connues comme des propriétaires immobiliers qui se distinguent des autres entreprises de la branche», déclare le vice-président de l'association et conseiller national des Verts Michael Töngi.
Le politicien fait référence aux résiliations de bail par Credit Suisse, par exemple à Bâle en 2019. La banque avait alors résilié le bail d'environ 300 personnes pour rénover une tour d'appartements. Selon l'association locale des locataires, c'était avant tout pour obtenir des rendements plus élevés. Une étude d'UBS parue en 2021, dans laquelle la banque vante les mérites des rénovations, a également déplu à Michael Töngi. Grâce à l'augmentation des loyers, ces rénovations conduisent «dans de nombreux cas à des rendements intéressants».
Selon lui, UBS devrait s'engager dans la durabilité avec son grand parc immobilier et contribuer au maintien de logements à prix corrects.
UBS n'est pas la seule à avoir renforcé sa position sur le marché du logement, les investisseurs institutionnels en général – sociétés anonymes, fonds immobiliers, assurances, banques et caisses de pension – ont aussi pris de l'importance. Selon les chiffres de l'association des locataires, 29% des logements locatifs leur appartenaient en 2000. En 2017, cette part était passée à 39%.
La part de responsabilité des banques dans l'aggravation de la crise du logement est sujette à controverse. Dans une étude récente, Raiffeisen parle d'un «niveau dangereusement bas» de construction de logements. Les économistes en attribuent surtout la responsabilité au prix élevé des terrains à bâtir, à la rigidité des règlements de construction et de zonage et à une «population extrêmement encline à s'exprimer». Il manque également des incitations à construire davantage de logements.
A cela s'ajoute le fait que le niveau de construction est encore plus bas pour les coopératives et les pouvoirs publics. Par exemple, sur 2566 nouveaux logements achevés en 2022 dans la ville de Zurich, 1422 ont été construits par des sociétés privées, 785 par des particuliers et des propriétaires par étage, 359 seulement par des coopératives – et aucun par les pouvoirs publics.
L'association des locataires veut s'attaquer à ce problème en demandant un droit de préemption pour les communes et les cantons sur les biens immobiliers privés, en définissant des zones pour la construction de logements d'utilité publique ou en demandant la suppression des assouplissements de la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger.
Texte traduit et adapté par Léa Krejci