Le médicament contre la sclérose en plaques Ocrevus a fait rentrer 6,7 milliards de francs dans les caisses du groupe pharmaceutique Roche l'année dernière. Le traitement y est particulièrement demandé. Roche s'est imposé comme leader du marché dans le pays et en profite pour pratiquer des prix élevés. Comptez environ 20 000 francs pour un flacon.
Ces prix sont ceux qui figurent dans le catalogue, mais on peut imaginer que des remises s'appliquent. Dans tous les cas, le médicament coûte beaucoup plus cher qu'en Suisse. Selon la liste des spécialités de l'Office fédéral de la santé publique, le prix officiel dans notre pays est de 5770 francs.
Le succès de Roche n'est pas un cas isolé. Des études révèlent régulièrement que les consommateurs américains doivent débourser bien plus que les patients du reste du monde. Selon une analyse du groupe de réflexion Rand, les prix américains des nouveaux médicaments protégés par un brevet sont plus de quatre fois supérieurs à ceux de 33 pays de l'OCDE.
Ces chiffres dérangent Washington depuis des décennies. Dans les années 1990, Bill Clinton avait déjà tenté de réformer ce système de prix complexe. Il avait échoué.
Mais Donald Trump prend aujourd'hui un nouvel élan. Et les groupes suisses Roche et Novartis devraient en faire les frais. Comme à son habitude, le président américain mélange tout pour obtenir des résultats rapides: il tente de faire passer les baisses de prix avec ses menaces sur les droits de douane.
De quoi expliquer, du moins en partie, comment le républicain est parvenu au taux arbitraire de 39% pour la Suisse. Et il souhaite apparemment faire de la plus grande branche exportatrice helvétique un exemple.
Alors que l'indignation suscitée par la politique douanière grandit, on peut se demander si Donald Trump n'a tout de même pas marqué un point. Les groupes pharmaceutiques ne sont-ils pas en train de générer des bénéfices massifs sur le dos des consommateurs américains?
Un coup d'œil sur les chiffres cités montre que la fureur du président américain a pour une fois un fondement factuel. Seulement, ces prix excessifs sont davantage causés par le système de santé américain que par les pays «socialistes» européens qui, selon le milliardaire, paient trop peu.
D'un point de vue économique, on ne peut pas non plus reprocher grand-chose à des multinationales comme Novartis et Roche: elles font des affaires dans un système que les prédécesseurs de Donald Trump ont construit il y a des décennies et y maximisent leurs profits.
Les prix records aux Etats-Unis résultent d'une série d'incitations mal conçues. Tout d'abord, il n'y a pas d'autorité publique pour négocier. Il n'y a pas non plus de plafonds qui s'appliquent à partir d'un certain volume de ventes. Au lieu de cela, les Pharmacy Benefit Manager (PBM) négocient directement des rabais avec les fabricants. Ils gèrent les modèles d'assurance privés et publics et font office de lien entre les assureurs et les pharmacies. Ces intermédiaires obtiennent des ristournes conséquentes pour le compte des assureurs, ce qui opacifie le tout.
Les incitations des PBM justifient en grande partie des prix exorbitants, puisqu'ils reçoivent à chaque fois un certain pourcentage des prix négociés. Plus le rabais obtenu est élevé, plus la commission pèse lourd. Ils ont donc tout intérêt à maintenir la procédure actuelle.
Le président américain a, lui aussi, reconnu que ces PBM font grimper les prix. En mai, il a annoncé vouloir «éliminer» les intermédiaires, mais s'est vite rendu compte pourquoi les gouvernements précédents s'étaient cassé les dents sur ce dossier. Voilà pourquoi il tente désormais d'exercer une pression maximale sur les consortiums, pour les contraindre à faire des concessions.
«Il tente une véritable révolution du système», explique Stefan Schneider, analyste pharmaceutique à la banque Vontobel. Il doute néanmoins du résultat:
Voilà sans doute pourquoi l'industrie pharmaceutique rejette des concessions anticipées. Elle refuse de faire un effort sur les prix qui s'évaporerait ensuite ailleurs.
Précisons également que l'excédent de la balance commerciale suisse, qui semble tant chicaner Donald Trump, ne serait pas vraiment chamboulé si la pharma revoyait ses tarifs à la baisse.
Car ce qui est déterminant, ce sont les valeurs de transaction à l'exportation, et non le prix de vente final dans le pays de destination.
Reste par conséquent à savoir ce qui préoccupe vraiment le président républicain. Est-ce l'excédent considérable de la balance? Punit-il notre pays parce que les deux poids lourds, Roche et Novartis illustrent l'excès de prix sur son territoire? Ou mélange-t-il plus ou moins tout arbitrairement?
Donald Trump a pris la défense des multinationales pharmaceutiques il y a encore deux mois. Il a loué leurs investissements de plusieurs milliards et exprimé son «grand respect» pour les chefs d'entreprise. Voilà qui plaide en faveur de la dernière hypothèse. L'instant d'après, il s'insurgeait contre ces mêmes entités, les accusant d'arnaquer les familles américaines.
Le républicain a désormais donné jusqu'à fin septembre pour mettre en œuvre des baisses de prix volontaires.
À l'issue de ce délai, Donald Trump pourrait sortir l'artillerie lourde, y compris contre la pharma. On verra alors si cela concerne aussi les pays ayant déjà négocié des droits de douane spécifiques pour les produits pharmaceutiques. Les exportations de médicaments en provenance de l'UE sont soumises à un taux de 15%. Ce taux est fixé par l'UE, indépendamment de ce que le républicain décidera sur ce front-là.
Le président américain ne l'entendra probablement pas de cette oreille. Jusqu'à présent, il a suffisamment prouvé par sa politique commerciale erratique qu'il n'est pas très regardant sur ses accords. Il pourrait donc s'en prendre une fois de plus aux entreprises pharmaceutiques européennes. Son imprévisibilité s'est à nouveau manifestée mardi: le républicain a annoncé un droit de douane pharmaceutique de 250% à long terme et a soudainement menacé l'UE d'un droit de 35%.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)