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Un prof suisse redoute que l'école forme «des petites Greta»

L'enseignant Louis-Philippe Ruffy enseigne dans une classe a des eleves de 1ere annee du gymnase du Gymnase de Chamblandes le jour du retour des eleves lors de la pandemie de Coronavirus (Covid-1 ...
Gymnase de Chamblandes, Pully, 8 juin 2020.Image: KEYSTONE

Une star des profs redoute que l'école suisse forme «des petites Greta»

Le futur plan des écoles secondaires accorde une place importante au climat, au racisme, au genre. Certains craignent un endoctrinement. D'autres appellent à ne pas s'inquiéter. watson a ramassé les copies.
01.03.2024, 06:0101.03.2024, 11:16
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«Peut-on manger des ananas en hiver?» Cette question fera-t-elle un jour l’objet d’un contrôle noté à l’école, seule la réponse «non» étant valable? Alain Pichard le craint. Cette star des profs en Suisse alémanique, aujourd’hui à la retraite, mais voix écoutée au Grand Conseil bernois, où il siège sous les couleurs vert’libérales, est extrêmement critique avec les nouvelles lignes directrices de l’enseignement gymnasial, réunies sous le nom de Plan d’études cadre (PEC).

Elaboré sous l’égide de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), ce document de 141 pages remplace le précédent plan, en vigueur depuis trente ans.

Alain Pichard est particulièrement remonté contre le chapitre intitulé «Education au développement durable» (EDD). Voici ce qu’on y lit en son préambule:

«La transformation en une société durable fait partie des principaux défis sociétaux du XXIe siècle. La protection du climat et la biodiversité ne sont pas les seuls champs d’action qui se présentent à nous. Le développement non durable concerne aussi le racisme, les inégalités sociales et économiques ou encore la répartition inéquitable des opportunités entre les genres».
Extrait du Plan d’études cadre

La grande crainte d'Alain Pichard, par ailleurs membre de la Commission de l'éducation au parlement bernois? Que les jugements de valeur ne deviennent matière à évaluation, avec notation à la clé.

«Les idéologies ne sont pas des savoirs, ce sont des cadres de pensée qui ne doivent pas donner lieu au gymnase à un questionnaire avec de bonnes et de mauvaises réponses»
Alain Pichard

Un mot qui revient souvent dans la partie consacrée à l’Education au développement durable et qui fait tiquer Alain Pichard est celui de «compétences», valant pour les domaines précités, genre, racisme, etc. Pour cet ancien enseignant du secondaire, les compétences sont des savoirs, où le vrai s'oppose au faux. Ainsi 2 et 2 font 4, la Suisse se trouve en Europe, l’adjectif s’accorde avec le nom, la formule du chlorure de sodium est NaCl. «Or, j’ai la nette impression que l’on veut faire d’attitudes ou de traits de caractère des compétences. Cela n’est pas souhaitable», tranche-t-il.

L’autre biais qui rebute Alain Pichard et que l’on trouve dans l’EDD, est la notion de «transversalité», valable pour l’enseignement des nouvelles «compétences», qui doivent permettre «aux élèves de participer à un développement durable sur les plans écologique, social et économique», comme il est écrit dans le PEC. «On invente un langage que personne ne comprend, alors qu'il en va de l'avenir des études», estime le député vert’libéral au Grand Conseil bernois. Le mot n’est pas dit, mais il résonne fort: woke. Nage-t-on ici en plein wokisme. Le PEC ambitionne-t-il de créer l’humain du futur?

«Personnellement, je considère la question du climat comme très grave, mon engagement politique en atteste. Mais, dans ma carrière d’enseignant, je n’ai jamais cherché à produire des petites Greta»
Alain Pichard

La question de l’ananas frais, dont il conviendrait de se demander si l’on peut ou non en manger en hiver, «ne peut pas faire l'objet d'une bonne et d'une mauvaise réponse», considère Alain Pichard. Deux points de vue se référant à deux visions du monde se défendent ici, selon lui.

«On répondra non à la question si l’on tient compte de l’empreinte carbone résultant de l’acheminement du fruit par avion ou par bateau, mais on répondra oui si l’on songe au revenu qu’en tirent les paysans du Sud.»
Alain Pichard

Il ajoute:

«On ne peut pas noter des points de vue, les points de vue sont faits pour être échangés et confrontés»
Alain Pichard

Alain Pichard fait-il preuve d'un alarmisme infondé? Lucius Hartmann, président de la Société suisse des professeurs de l’enseignement secondaire (SSPES), laquelle a pris part à l’élaboration du PEC, se veut rassurant: «Il ne faut pas s’inquiéter de l’Education au développement durable», dit-il, joint par watson.

«Il n’y a aucune volonté d’endoctrinement dans ce plan d'études. Il ne s’agit pas de demander aux élèves de répondre par oui ou par non à des questions qui peuvent être complexes. Ce qui compte, c’est l’argumentation»
Lucius Hartmann

Cela dit, poursuit le président de la SSPES, reprenant le credo formulé dans le PEC, «il convient de préparer les élèves aux tâches qui seront les leurs et aux défis qu’ils rencontreront dans la société».

Mais de quelle manière les préparer, si l’on se rapporte à l’EDD, où racisme, genre et climat forment les parties interdépendantes d’un tout? Par exemple, comment s'y prendra-t-on pour enseigner la biologie, discipline scientifique contestée par une partie des LGBT?

«On pourrait y intégrer la thématique du genre»
Lucius Hartmann

Dès lors, l’idéologie rattachée à la thématique du genre acquerra-t-elle le rang de savoir scientifique?

«Il appartient à l’enseignement de la branche en question, la biologie en l'occurrence, ou même à un niveau transversal, c'est-à-dire interdisciplinaire, d’aborder de telles questions»
Lucius Hartmann

Quand l'élève est adepte du créationnisme

Pas sûr que la réponse de Lucius Hartmann rassurera Alain Pichard. Pour l'ancien professeur du canton de Berne, instiller de l’idéologie n’est pas le bon moyen de développer l’esprit critique des jeunes en formation. Il renvoie à une situation vécue avec un élève en classe. C’était au sujet de la théorie de l’évolution. L’élève la contestait, faisant valoir de son côté le créationnisme, tiré d’une lecture littérale de la Bible.

«Au lieu d’asséner une vérité, celle issue de nos connaissances scientifiques et qui ne faisait pas autorité pour cet élève, j’ai demandé à ce dernier de faire un exposé pour présenter à la classe le créationnisme. Confronté aux questions de ses camarades, il a eu de la peine à démontrer la pertinence de ce qu’il avançait. Je ne sais pas si j’ai convaincu ce garçon que sa théorie était une bêtise, mais au moins avons-nous procédé dans une approche critique.»
Alain Pichard

Cette anecdote est peut-être de nature à rapprocher les positions d'Alain Pichard et de Lucius Hartmann plutôt que d'élargir le fossé qui les sépare. Là encore, comment enseigner l'origine de l'univers? Si l’on suit le raisonnement de Lucius Hartmann, il conviendrait à l’avenir de considérer le créationnisme, «non pas comme une vérité scientifique, mais comme une opinion qui a peut-être des arguments».

S’agirait-il de faire comprendre aux élèves partisans de la théorie créationniste qu’ils ont tort, comme s’y était employé Alain Pichard par le truchement de la confrontation critique? Ou s’agirait-il de leur dire qu’ils ont le droit d’avoir cette opinion? Réponse de Lucius Hartmann:

«On peut utiliser le sujet pour montrer les critères d’une théorie scientifique et pour apprendre aux élèves à penser de manière critique»

La divergence ici, s'il y en a une, pourrait résider dans la philosophie de l'enseignement: alors qu'Alain Pichard semble attaché à la verticalité de la transmission du savoir, l'autorité du professeur allant de soi sans avoir tous les droits, l'approche de Lucius Hartmann repose peut-être davantage sur la notion de «co-construction», aujourd'hui en vogue, qui fait de l'élève un partenaire de l'apprentissage qu'il reçoit.

Avec le PEC, on est au bout du processus. Le nouveau plan doit entrer en vigueur en juin. Sauf que des cantons s’inquiètent de certaines orientations qui leur paraissent trop marquées idéologiquement, à commencer par celles figurant dans le chapitre sur l’Education au développement durable. Lucerne, Argovie, Zurich ont fait part de réserves.

Lucius Hartmann tempère:

«La direction du projet va tenir compte des observations faites, revoir certaines formulations. Plutôt que de lignes directrices, nous pourrions parler de recommandations»
Lucius Hartmann

Le présent PEC n’est pas soumis à référendum. Si un canton décidait de ne pas l’appliquer, il se mettrait en faute, ne permettant pas à sa jeunesse l’obtention de la maturité fédérale et la coupant ainsi de l'accès aux universités.

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