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L'alliance de «l'argent et du purin» chancelle

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Le président de l'Union suisse des paysans, Markus Ritter, tempère entre l'aspect économique et social des enjeux du monde paysan.Keystone

L'alliance de «l'argent et du purin» chancelle

Une alliance de circonstance entre les agriculteurs et les associations économiques existe depuis quelques années. Mais c'est surtout l'agriculture qui a su tirer son épingle du jeu. Cela pourrait se poursuivre le 22 septembre. Mais les faîtières de l'économie pourraient mal le prendre.
24.08.2024, 18:49
Peter Blunschi
Peter Blunschi
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Des petits lézards, des papillons et de l'agriculture bio: c'est avec ces arguments qu'IP Suisse, le label bio de l'Union suisse des paysans (USP) tente de convaincre dans une publicité de voter contre l'initiative sur la biodiversité, soumise au peuple 22 septembre prochain. Les opposants ont décidé de combattre l'initiative non en la critiquant, mais en y opposant des arguments positifs.

Mais la faîtière des agriculteurs suisse n'est pas la seule à faire campagne. L'assureur Axa a publiquement annoncé qu'à l'occasion de son 150ᵉ anniversaire en 2025, il allait promouvoir deux millions de mètres carrés de biodiversité avec son initiative Flora Futura. Le timing est étonnant et un lien avec la votation sur l'initiative est évident.

Si les agriculteurs comme les assureurs s'opposent avec véhémence avec cette loi, elle pourrait bien être acceptée par la population. C'est en tout cas ce que montrent les sondages sur la votation du 22 septembre.

«L'argent et le purin»

Ces deux publicités incarnent cette association de deux milieux: l'USP est alliée avec les trois grandes associations économiques du pays: Economiesuisse, l'Union patronale et l'Union des arts et métiers (Usam). A gauche, on se moque volontiers de cette «alliance de l'argent et du purin». Elle ne date d'ailleurs pas d'hier: cela fait bientôt deux ans que les deux formations politiques ont tendance à marcher main dans la main.

Et les associations économiques ont bien compris que si leur image n'est pas toujours positive — de vieux messieurs ennuyeux en cravate —, celle des paysans est, elle, intacte. En s'associant, ils misent sur cette stratégie pour redorer son blason auprès de la base de la population. Ensemble, ils ont participé aux élections de 2023 sous le nom de «Perspective Suisse». Les paysans sont les premiers à profiter de cette association avec la droite libérale. En octobre dernier, leur lobby au Parlement est passé de 20 à 30 conseillers nationaux et conseillers aux Etats.

Les paysans votent à gauche sur le social

La force de frappe des agriculteurs à Berne, déjà considérable, s'est encore renforcée. Cela met pourtant à mal certains de leurs intérêts, notamment en matière de libre-échange ou de subventions. Il faut dire que les paysans suisses sont très tournés vers le marché intérieur et sont encore très soucieux de «nourrir la population», tandis que les milieux économiques ont la tête tournée vers l'économie d'exportation.

Ces différences de mentalité considérables n'entament par l'alliance de «l'argent et du purin». Mais des tensions pourraient apparaître. Car les exportateurs gagnent l'argent que les paysans produisent. Mais la contrepartie financière n'est pas toujours au rendez-vous.

On l'a vu lors de la votation sur la 13e rente AVS en mars. Elle a été combattue par les associations économiques, mais de nombreux paysans n'ont pas hésité à voter avec la gauche. En cause, leurs difficultés à boucler leurs fins de mois, une absence de caisse de pension pour nombre d'entre eux et le risque de pauvreté à la retraite.

Liberté de vote pour la réforme de la LPP

Cette infidélité commise par les paysans vis-à-dis de la droite libérale a mené la directrice d'Economiesuisse Monika Rühl a demandé à son comité directeur si «l'alliance était encore dans l'intérêt de l'économie», rapporte le journal économique zurichois Handelszeitung.

Aujourd'hui, la réforme de la prévoyance professionnelle (LPP) provoque à nouveau des querelles. Les associations économiques disent oui, mais chez les agriculteurs, la tendance est au non. Ces derniers ne sont pas convaincus par les améliorations visées pour les personnes à bas revenus. Elles signifient un renchérissement pour les employeurs, et l'agriculture est traditionnellement un secteur à bas salaires.

Une agricultrice parle des problèmes financiers:

Au Parlement, l'USP et son président Markus Ritter (Le Centre/SG) n'ont pas hésité à faire du lobbying contre la réforme de la LPP. Pour ne pas terminer de fâcher les milieux économiques et entamer le divorce, la faîtière de l'agriculture a toutefois proposé une liberté de vote auprès de ses parlementaires.

Markus Ritter, Mitte-SG, referiert ueber die Agrarpolitik, an der Fruehjahrssession der Eidgenoessischen Raete, am Mittwoch, 8. Maerz 2023 im Nationalrat in Bern. (KEYSTONE/Alessandro della Valle)
Le conseiller national Markus Ritter (Le Centre/SG). Image: keystone

L'alliance va-t-elle exploser en vol?

Mais les choses sont plus agitées au sein de la base. La NZZ am Sonntag a mentionné un maraîcher de Galmiz (FR) qui emploie des ouvriers roumains. Ceux-ci ne s'intéressent pas du tout à la caisse de pension suisse, mais craignent de voir leur salaire diminuer à cause d'une augmentation des déductions. «Les discussions sur ce sujet sont nombreuses au sein de l'exploitation», a déclaré le paysan.

Pour les agriculteurs, la réforme signifie en outre des coûts supplémentaires, car ils devront cotiser davantage à la caisse de pension. La réforme sera «incroyablement coûteuse», a déclaré Markus Ritter au Blick. Une bonne partie du monde paysan devrait donc voter contre cette réforme.

Les agriculteurs, qui se sont alignés face à leurs alliés sur la question de la 13e rente AVS, se plaignent désormais de voir ces derniers ne pas les soutenir suffisamment dans la lutte contre l'initiative pour la biodiversité. La querelle est toutefois relativisée par le fait que l'économie n'est pas non plus unie dans la réforme de la LPP. Plusieurs associations font campagne pour le non, sensibles à la question des bas salaires, alors que l'association des paysannes et des femmes rurales y est favorable.

L'alliance de «l'argent et du purin» va-t-elle exploser au vol? Si le double non l'emporte en septembre, les agriculteurs auront toutes les raisons de se réjouir. Et la prochaine épreuve de force est à venir, lors de la votation sur l'extension de l'autoroute le 24 novembre. Certains agriculteurs s'inquiètent de la menace de perte de terres cultivables.

Traduit et adapté par Noëline Flippe et Alexandre Cudré

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