«Je n'aurais jamais imaginé que nous ayons un jour une telle pénurie d'enseignants en Suisse», confie Mark. À l'époque, il y avait un surplus dans le primaire et il n'était pas facile de trouver un emploi:
Aujourd'hui, Marc, 64 ans, a pris sa retraite. Même s'il y a beaucoup plus d'enseignantes que d'enseignants qu'avant, c'est globalement encore trop peu. Les cantons cherchent tous à susciter des vocations dans ce domaine.
De sa propre initiative, Mark a choisi de continuer à accompagner un élève aux besoins particuliers. Le retraité lui dispense trois heures de cours individuel par jour et il affirme clairement que la situation n'est pas une solution durable pour le garçon. Il faudrait l'intégrer progressivement et de manière cadrée dans une autre classe.
Joëlle* travaille comme enseignante depuis cinq ans. Mais probablement plus pour longtemps. A 31 ans, elle ne se sent professionnellement pas épanouie – malgré un choix guidé par la conviction et la passion. Lors d'un volontariat en Asie, elle avait été attirée par l'enseignement, y trouvant beaucoup de sens.
Comme beaucoup d'autres jeunes professeurs, elle va souvent au bout de ses propres limites, épuisée par le travail. A ses yeux, elle n'est pas «seulement» enseignante, mais aussi thérapeute, psychologue, assistante médicale, employée de bureau et cheffe de projets. Et traductrice: le pourcentage d'étrangers dans la commune où Joelle travaille atteint près de 50%.
Les enfants de la classe de Joëlle sont issus de couches sociales peu instruites, ce qui lui complique encore la tâche. «Mais si je travaillais dans un quartier chic, je devrais faire face à d'autres problèmes. Une mère compliquée, c'est aussi grave qu'un enfant pénible».
Mark voit exactement de quoi elle parle, lui aussi a souvent trouvé les personnes issues de l'immigration très coopératives et reconnaissantes. Mais il affirme avoir bénéficié d'un système à plusieurs niveaux. Cela signifie qu'il a enseigné à des élèves de la première à la sixième dans une seule et même classe. Les enfants ont alors été poussés à prendre des responsabilités les uns envers les autres, soutenant de cette manière le travail des enseignants.
Joëlle, elle, trouve que les enfants turbulents, qui doivent être accompagnés au nom du système inclusif, sont particulièrement exigeants. Elle poursuit:
L'écart au sein d'une classe de 20 enfants qui n'ont pas de besoins particuliers est déjà abyssal. «Si l'on doit en plus accompagner quelqu'un qui a des problèmes de comportement, on atteint vite ses limites».
Une fois, elle devait gérer un élève qui ne contrôlait pas ses pulsions. «Il était quasiment impossible d'expliquer quelque chose, ne serait-ce qu'une minute, sans qu'il ne perturbe le cours». L'élève a alors été transféré dans une école spécialisée. Mais ce n'est pas toujours le cas:
Une problématique que Mark connaît bien, là encore. «Nous avons souvent accueilli des enfants qui ne pouvaient plus être pris en charge ailleurs. Et chez nous, cela fonctionnait – presque toujours», raconte-t-il. Et de réaffirmer qu'une classe avec des âges différents peut constituer une grande ressource:
Pour expliquer pourquoi il défend le système inclusif, il raconte une anecdote:
Et d'ajouter: «Si tout le monde tire à la même corde, l'intégration peut réussir. Et chaque victoire renforce le système». Mais il y aurait aussi des établissements qui ne partagent pas ce point de vue. En leur sein, la tendance est de protéger les enseignants des enfants qui représentent une charge supplémentaire. Le retraité peut l'entendre, mais il pose une question de principe:
Il salue l'organisation actuelle, qui prévoit souvent deux enseignants par classe et le soutien de pédagogues ou d'assistants. Joëlle ne fait cours que deux jours avec un autre enseignant. Et lorsqu'elle a affaire à un écolier difficile, il ne lui reste qu'à supplier pour obtenir plus de renfort. Les pédagogues spécialisés ne peuvent intervenir que ponctuellement. Le reste du temps, il faut gérer les enfants seul, malgré ceux qui perturbent l'enseignement et empêchent les autres d'apprendre:
Nos deux invités voient d'un bon œil que des personnes non qualifiées enseignent désormais. Ils partagent également le même point de vue sur les solutions possibles: rendre la HEP plus attrayante et plus flexible – par exemple pour les personnes en reconversion avec une famille à charge. Il faudrait repenser le nombre d'heures de présences obligatoires à la haute école.
De plus, les étudiants devraient entrer plus tôt dans la pratique. Tous les deux sont unanimes: c'est dans la salle de classe avec les enfants qu'on apprend le plus. Cela permettrait aussi d'éliminer d'emblée celles et ceux qui se rendent compte que le métier ne leur plaît pas – le taux d'abandon est en effet prononcé chez les enseignants.
Mais les enseignants sont, eux aussi, hétérogènes. Nos deux interlocuteurs estiment qu'on pourrait les stimuler différemment, par exemple avec des classes de tailles variées, des systèmes particuliers comme celui du mélange des âges ou des rémunérations différenciées.
Si c'était à refaire, Mark ne changerait rien à son parcours. Il regarde l'avenir avec optimisme:
Joëlle, elle, n'a pour l'instant pas la moindre idée d'où tout cela la mènera. Elle dit moins souffrir de la pression qu'avant, mais sûrement parce qu'elle est devenue moins exigeante envers elle-même. Elle affiche donc moins de sérénité que son interlocuteur:
*Prénom d'emprunt
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)