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Il se passe un truc anormal avec les salaires en Suisse

Il se passe un truc anormal avec les salaires en Suisse

Le marché de l'emploi est en plein essor dans les pays industrialisés - ce qui se traduit par des records de postes vacants et une immigration accrue. Pourtant les salaires n'augmentent pas.
18.12.2023, 11:45
Niklaus Vontobel / ch media
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Le boom sur le marché de l'emploi qui s'est produit après le Covid n'est pas terminé aujourd'hui. Il n'y a jamais eu aussi peu de chômeurs depuis 15 ou 20 ans, selon les statistiques. Le nombre de postes vacants est toujours supérieur de 50% à ce qu'il était avant la pandémie.

Ce boom est tellement en plein essor que l'économie helvétique doit se tourner vers l'étranger, raison pour laquelle l'immigration en Suisse a fortement augmenté. Et c'est également le cas aux Etats-Unis et dans la zone euro. Là aussi, les entreprises cherchent désespérément du personnel, ce qui explique l'augmentation de l'immigration.

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La pénurie de main-d'oeuvre atteint presque partout des niveaux records. Malgré cela, les salaires n'augmentent pas.image: Shutterstock

L'immigration a atteint une «ampleur sans précédent», a annoncé l'association des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Environ six millions de nouveaux immigrants sont arrivés de manière permanente dans les pays de l'OCDE – les réfugiés ukrainiens ne sont pas compris dans ce chiffre.

Plus d'un tiers des pays ont enregistré leur niveau le plus élevé depuis au moins 15 ans, notamment la Belgique et le Danemark, la Finlande et la France, l'Irlande et le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Espagne ainsi que la Suisse. Plusieurs pays ont même annoncé les chiffres les plus élevés de tous les temps, comme le Canada et le Royaume-Uni.

Les immigrés sont plus demandés que jamais

L'immigration bat des records – probablement parce que la pénurie de main-d'œuvre est presque partout sans précédent. C'est pourquoi les immigrés trouvent plus facilement du travail que jamais auparavant. Parmi ceux dont l'âge leur permet de travailler, une majorité a trouvé un emploi.

Cependant, le personnel est encore rare – et devrait le rester dans un avenir prévisible. D'autant plus que de nombreux pays ont franchi des tournants démographiques. Désormais, chaque année, le nombre de personnes qui partent à la retraite et quittent ainsi le marché du travail est supérieur à celui des jeunes en âge de travailler. La situation tend donc à s'aggraver.

C'est aussi la raison pour laquelle de nombreux pays veulent tirer davantage de l'immigration et la gérer différemment. On assiste à des revirements politiques. Dans le rapport de l'OCDE, on peut lire:

«La lutte contre les pénuries de main-d'oeuvre et de compétences est devenue l'une des principales priorités des politiques nationales d'immigration dans la plupart des pays»

Mais il n'y a pas de tendance sans exceptions. Quelques pays ont opté pour une politique plus stricte. Parmi eux, la Suède et la Finlande, qui veulent désormais réduire l'immigration.

La grande vague de licenciements aux Etats-Unis

Les employés sont donc demandés comme rarement auparavant, en Suisse comme dans presque tous les pays industrialisés. Mais il ne se passe pas ce qui se passe habituellement lorsqu'un bien est rare. Les salaires ne s'envolent pas autant que l'on pourrait s'y attendre en Suisse – c'est le cas aux Etats-Unis. Qu'est-ce qui se passe différemment pour les travailleurs américains?

La différence est de taille. Aux Etats-Unis, le boom n'a pas seulement ramené le chômage presque à son niveau le plus bas depuis 50 ans, mais il a aussi fortement poussé à la hausse les salaires des travailleurs peu qualifiés.

A tel point que l'on a assisté à un «nivellement inattendu» des différences de salaires», comme l'a révélé une nouvelle étude. Un quart de l'augmentation des inégalités au cours des quatre dernières décennies a ainsi été annulé.

En revanche, si l'on demande au Centre de recherches conjoncturelles de l'EPF de Zurich (KOF) s'il y a eu quelque chose de comparable en Suisse, la réponse est brève. L'expert Michael Siegenthaler répond:

«Non. Nous n'observons pas cela dans les données jusqu'à présent»

En moyenne, toutes branches confondues, on en reste à une évolution salariale que l'expert du KOF, Siegenthaler, décrit ainsi:

«Plutôt décevante pour les travailleurs, surtout si l'on tient compte de l'inflation»

Il en était déjà ainsi lors des dernières négociations salariales et il en sera probablement de même pour les négociations en cours.

Concrètement, cela signifie que les travailleurs ne rattraperont pas le retard qu'ils ont accumulé en 2022. A l'époque, leurs salaires avaient baissé de près de 2% après déduction de l'inflation. Maintenant, ces salaires réels restent plus ou moins les mêmes en 2023 et 2024. La perte de pouvoir d'achat n'est pas compensée.

Ce qui se passe différemment en arrière-plan aux Etats-Unis et en Suisse, c'est surtout une chose. Dans notre pays, les travailleurs sont restés en grande partie fidèles à leur entreprise. Il n'y a pas eu ce qui s'est passé aux Etats-Unis, selon l'étude: une grande vague de licenciements, une «grande démission», dans laquelle les travailleurs ont osé franchir le pas et ont profité du boom pour chercher quelque chose de mieux.

Et les changements d'emploi permettent de faire de grands bonds en avant en matière de salaire, comme le montrent des études empiriques, explique Siegenthaler. Si les employés restent dans la même entreprise, ils ne progressent en général qu'à petits pas.

L'illusion monétaire comme explication possible

Pourquoi tant de travailleurs ont-ils osé démissionner aux Etats-Unis et pas en Suisse? Il n'existe pas d'études à ce sujet, l'énigme ne peut pas être résolue. Mais Siegenthaler évoque des pistes d'explication possibles.

L'un d'eux est qu'aux Etats-Unis, une vague de licenciements a précédé la vague de démissions. Bien qu'il existe un programme d'indemnisation du travail à court terme aux Etats-Unis également, les entreprises n'y ont pas eu recours. Et c'est ainsi que le chômage a explosé lors de la crise du Covid. Comme de nombreux liens étaient de toute façon coupés, il était évident de ne pas retourner chez l'ancien employeur. On a plutôt osé la nouveauté.

Une autre explication serait que les travailleurs en Suisse ne sont pas aussi insatisfaits que l'évolution des salaires le laisserait supposer. Peut-être ont-ils négocié pour eux-mêmes des améliorations de leurs conditions de travail. Par exemple, un jour de semaine de plus en télétravail. Ou l'adaptation de leur temps de travail, ce que leur chef avait toujours refusé auparavant.

Ou alors, les travailleurs en Suisse souffrent de ce que les économistes appellent une illusion monétaire. Ils se réjouissent d'une augmentation de salaire de 2% et ne tiennent pas compte de l'inflation: que les prix ont augmenté de plus de 2% et qu'ils peuvent acheter moins pour leur salaire. Ils subissent une perte de salaire réel, mais ne le remarquent pas.

Mais pour l'instant, la Suisse continue de vivre avec un boom rarement aussi fort sur le marché du travail et cette croissance des salaires énigmatiquement faible.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

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