50 000? 70 000? 100 000 francs? Les candidats à un poste en Suisse ne connaissent généralement le salaire proposé qu'au moment de l'entretien d'embauche. Dans plusieurs Etats américains comme New York ou la Californie, mais aussi dans des pays de l'Union européenne comme l'Autriche, la situation est différente. Dans ces pays, la loi stipule que les informations sur le salaire doivent être déclarées dès l'annonce d'emploi.
Cette mesure est également testée en Suisse par de grands groupes. Aussi bien Swisscom que la Poste analysent actuellement l'effet des indications de salaire dans les annonces. Les personnes intéressées apprennent ainsi qu'untel stage universitaire entraîne une fourchette de salaire comprise entre 34 000 et 64 000 francs par an. Et en postulant pour être «facteur de lettres et de colis, à 50-60%» à Scuol (GR), on peut compter sur un revenu annuel de 52 000 à 62 000 francs.
L'objectif de cette démarche est d'empêcher les différences salariales injustes entre hommes et femmes. «Nous sommes convaincus que cette transparence contribue à prévenir la discrimination», déclare Léa Wertheimer, porte-parole de la Poste. Cette dernière et Swisscom font, toutefois, figure d'exception parmi les grandes entreprises suisses.
C'est pourquoi la conseillère nationale Min Li Marti (PS/ZH) veut désormais mettre ce thème sur l'agenda politique. La socialiste a annoncé à la Schweiz am Wochenende qu'elle déposera prochainement deux interventions. Dans une motion, elle demande au Conseil fédéral de veiller à ce que la fourchette salariale soit indiquée dans toutes les offres d'emploi pour des postes à la Confédération ou dans des entreprises proches de la Confédération comme les CFF, Skyguide ou Ruag. De plus, le système salarial doit être présenté de manière transparente.
Dans un postulat, la conseillère socialiste demande au Conseil fédéral d'examiner la possibilité de réaliser un essai pilote. Il s'agirait de déterminer, avec la participation volontaire d'entreprises de l'économie privée et du secteur public, «si la transparence des salaires dans les annonces d'emploi peut contribuer à éviter les discriminations salariales».
L'égalité salariale est un objectif ancré dans la Constitution, explique la conseillère nationale.
Les différences de salaires injustifiées entraînent également un grand mécontentement au sein des entreprises. Et de plus en plus s'éloignent des modèles de revenus classiques avec des bonus élevés et misent sur des modèles reposant davantage sur l'esprit d'équipe et la motivation intrinsèque. «La transparence des salaires peut contribuer à renforcer cette approche.»
La Suisse a du retard à rattraper dans la lutte contre les discriminations salariales, comme le montre le «Gender Overall Earnings Gap» de l'autorité statistique européenne Eurostat. Le site internet regroupe les différences de revenus professionnels entre les femmes et les hommes âgés de 15 à 64 ans, c'est-à-dire du premier salaire à la retraite. En 2018, les femmes en âge de travailler, en Suisse, ont gagné 43,2% de moins que les hommes.
La même année, la Suisse faisait partie des pays présentant globalement les plus grandes différences de revenus professionnels entre les femmes et les hommes. L'inégalité salariale atteint 19% dans le secteur privé, comme le montre la dernière évaluation de l'Office fédéral de la statistique, qui se base également sur des chiffres de 2018. Près de la moitié de cette différence de salaire ne peut pas être justifiée par des facteurs objectifs.
Anna Sender, chargée de cours en ressources humaines à l'université ainsi qu'à la Haute école de Lucerne, affirme que la transparence dans les annonces peut tout à fait réduire la différence de salaire discriminatoire:
Si la fourchette est claire dès le départ, cela peut aider, selon elle. «Toutefois, la pratique est moins efficace si seul le minimum est indiqué ou si la fourchette est très large.»
Selon Julia Brandl, professeure de politique du personnel à l'université d'Innsbruck, de nombreuses entreprises rechignent à assurer la transparence des salaires car cela leur porterait préjudice:
En effet, la plupart des salaires sont, aujourd'hui fixés sans système clair, mais sur la base de critères circonstanciels ou de la tradition. Les entreprises seraient, toutefois, bien avisées d'adapter leurs méthodes, car les employés exigeront à l'avenir plus de transparence.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder