Tous aux abris! L’annonce, mardi dernier, par Emmanuel Macron, de la tenue d’un G7 en juin 2026 à Evian, a réveillé le souvenir traumatique de la mise à sac des Rues Basses, à Genève, un certain 31 mai 2003. C’était un samedi soir, veille de l’ouverture, dans la chic station thermale haut-savoyarde distante d'une cinquantaine de kilomètres, du 29e sommet du G8, le groupe réunissant les sept pays occidentaux les plus riches, plus la Russie de Vladimir Poutine, à l’époque conviée à leur table.
Aujourd’hui conseiller national sous l’étiquette Mouvement des citoyens genevois (MCG), Roger Golay était à l’époque chef de groupe au sein des EAL, les équipes d’appui léger de la gendarmerie cantonale. En clair, il faisait partie des troupes anti-émeutes, caparaçonnées comme des RoboCop.
Ce long week-end-là, le G8 d'Evian s'étalant du 1er au 3 juin, la sécurité genevoise fut totalement débordée par les événements. La cité de Calvin, connue à l'international, était une tribune de choix pour les opposants au «capitalisme prédateur». Tout avait commencé de travers, raconte à watson l’ancien gendarme, désormais à la retraite.
Sauf que les «festivités» débutèrent en avance sur le programme. Ce 31 mai, la nuit était tombée sur Genève. Les policiers avaient comme déserté la ville pour les raisons exposées plus haut. Dans le souvenir de Roger Golay, «les casseurs venaient du site Artamis (alors bastion des squatteurs) et de l’Usine (le QG de la gauche culturelle alternative)», des lieux auxquels les autorités n’avaient pas prêté l’attention nécessaire au regard des troubles qui allaient suivre.
De fait, c’est un ouragan destructeur qui fit voler en éclats les vitrines de la grande artère commerçante située au bas de la vieille-ville. Leur forfait accompli, les émeutiers se dispersèrent aussi vite qu’ils s’étaient engouffrés dans ces fameuses Rues Basses, à présent laissées à la vue des badauds déambulant en short parmi les débris. Il faisait une chaleur de mousson, le 21e siècle commençant connaîtrait en 2003 son premier été caniculaire.
Il soufflait un air léger de vacances ce dimanche 1er juin au réveil. Un couple qui avait prévu de prendre le train du matin pour Venise ne put rejoindre la gare. Les taxis étaient à l’arrêt, bloqués. Le pont de La Coulouvrenière reliant les deux rives de la ville était tenu par des activistes. Ils avaient bouté le feu à des barricades.
«C’étaient des autonomes de Zurich», se souvient Tobias Schnebli, joint par watson. Cette figure historique du Groupe pour une Suisse sans armée (GSSA) serait de la manifestation de l’après-midi partant de Genève pour rejoindre le village alternatif des anti-G8, installé de l’autre côté de la frontière, en direction d’Evian.
Elu du Parti du travail au Conseil municipal (législatif) de la ville de Genève, Tobias Schnebli avait pris part deux ans plus tôt à la mobilisation contre le G8 de Gênes, en Italie, endeuillé par la mort d'un militant altermondialiste dans une confrontation avec la police. Le militant pacifiste genevois avait été condamné à six jours de prison avec sursis pour s'être assis sur les rails de la gare de Chiasso. Il livre son regard sur cette époque:
Selon Tobias Schnebli, «des événements dramatiques comme le Covid, la guerre en Ukraine ou la guerre génocidaire à Gaza, ont fait passer au second plan l’engagement contre les nouvelles urgences. Je pense au réchauffement climatique, qu'une personnalité comme Greta Thunberg a momentanément mise entre parenthèses pour se porter au secours des Gazaouis».
Revenons au chaos genevois de 2003. Alors que la manifestation du dimanche 1er juin avait réuni des dizaines de milliers de marcheurs, parmi eux des éléments violents, tel ce jeune homme manquant de blesser d'un jet de parpaing un participant qui s’opposait à la casse d’une boutique de téléphonie mobile, le lundi 2 avait vu l’occupation du pont du Mont-Blanc, situé en amont de celui de La Coulouvrenière et plus symbolique encore.
Tobias Schnebli, qui a bonne mémoire, se rappelle la présence sur les lieux du conseiller d’Etat et chef de l’Instruction publique, le socialiste Charles Beer. «Il était venu dialoguer avec les occupants du pont dans une atmosphère tendue. Les occupants s’étaient retrouvés encerclés par la police à hauteur de l’hôtel des Bergues.» Une solution avait été trouvée: en échange d’un sauf-conduit, ces manifestants avaient levé le camp.
Une solution? Roger Golay l’a encore en travers de la gorge. «Notre objectif, à nous, la gendarmerie, c’était de prendre les identités des occupants du pont du Mont-Blanc et de les fouiller pour trouver d'éventuelles armes par destination ou des protections leur permettant de participer à des émeutes.» Il n’en fut rien.
Les forces de l’ordre genevoises se sentaient «honteuses», confie Roger Golay.
Alors député au Grand Conseil, le Vert Antonio Hodgers, futur conseiller d’Etat, faisait partie de l’équipe des médiateurs mise sur pied par la gauche pour parler avec les militants altermondialistes. Une démarche «dialoguiste» qui n’empêcha pas la casse et les coups. «Ce rôle de médiateur lui coûta peu après son élection à la présidence du Grand Conseil», rapportent, chacun de leur côté, Roger Golay et Tobias Schnebli.
La police genevoise était apparue bien faible aux yeux des policiers allemands appelés en renfort à Genève durant ce G8 de la peur. Au terme d'un week-end «humiliant», le millier de gendarmes genevois prit «la décision de ne plus intervenir tant que le Conseil d’Etat ne nous autoriserait pas à user de moyens de contrainte "proportionnés" pour rétablir l’ordre dans une ville livrée aux casseurs».
L’ultimatum, disons-le, le chantage, a marché. L’ancien chef de groupe parle d’un «putsch réussi», dans «le cadre démocratique», prend-il soin d'ajouter. Le mardi 3 juin, l’ordre régnait à Genève. Des sortes de check-points filtraient les allées et venues dans la ville. On pouvait avoir par moment l'impression que les «flics» avaient pris le pouvoir.
A un an du futur G7 d’Evian, Roger Golay demande à la Confédération de s’assurer auprès d’Emmanuel Macron que toutes les dispositions seront prises pour éviter que Genève ne revive le «traumatisme» de 2003.