Fabienne Fischer, élue au Conseil d'Etat genevois, prête serment ce soir. La Verte était arrivée largement en tête du second tour de l'élection complémentaire en battant Pierre Maudet.
Avocate de formation, mère de trois grands enfants, ayant pour compagnon un sociologue Vert comme elle et député au Grand Conseil, Fabienne Fischer s'en va-t-en guerre. Qui est-elle? Que veut-elle? Que pense-t-elle? Réponses en sept points.
«J’ai fait mes études de droit en deuxième formation», explique-t-elle. «Je me suis retrouvée, à 42 ans, à rechercher une place de stage. Ce n’est pas facile, mère de famille à cet âge-là, d’entamer un parcours qu’on commence d’habitude à 25 ans». Un homme aurait eu la partie plus facile, pense-t-on. Dans sa jeunesse, Fabienne Fischer a obtenu un master en histoire avant d’enseigner les sciences humaines au Collège Rousseau.
En 2012, élue depuis un an seulement, siégeant parmi les Verts, elle quitte les bancs un brin rébarbatifs du conseil municipal genevois, sa seule expérience institutionnelle, pour se consacrer à sa nouvelle vie professionnelle, son métier d’avocate. Le sacrifice en vaut la peine, car l'année suivante, elle est promue «associée» au sein de l’étude BM, B pour Christian Buonomo, M pour Jean-François Marti, ses collègues et désormais ses pairs. Comme pour souligner ses compétences managériales, toujours un bonus, elle tient à dire la chose suivante: «Je suis une cheffe d’entreprise».
Pour un peu, elle serait de droite, Fabienne Fischer. Comme son cabinet en somme, étiqueté «droits des propriétaires». Elle ne conteste pas l’image en apparence peu sociale de l'enseigne. Mais on le sait depuis le Giscard candidat à la présidentielle française de 1974: La gauche n’a pas le monopole du cœur. «Non seulement mes confrères m’ont chaleureusement accueillie, mais aujourd’hui, ils me soutiennent pleinement dans ma démarche de candidate». Et puis, après tout, eux c’est eux et elle c’est elle.
Fabienne Fischer s’est constitué une clientèle, dans ses domaines propres : le droit du travail («Je défends des employeurs comme des employés»), le droit de la famille («Je ne préconise jamais la guerre, toujours la recherche d'accords»), le droit administratif («J’ai eu par exemple l’occasion de rédiger un plan d’utilisation du sol pour la commune de Carouge»). Son carnet fait campagne pour elle.
Un couteau suisse, la candidate des Verts soutenue par les socialistes. Prête à remplir toutes les missions dans un gouvernement collégial. Celle qui affirme vouloir agir pour Genève depuis qu'elle a 12 ans, ayant jusqu'ici principalement œuvré dans l'associatif et rejoint les écologistes en 2007, ne dira rien du département dont elle aimerait hériter. Cela ne se fait pas. Question de préséance. De toute façon, ce qu’elle entend faire au Conseil d’Etat est par nature «transversal». Si le peuple l’élit le 28 mars, mais se sépare d’elle deux ans plus tard, au terme de la législature en cours, elle devrait alors pouvoir récupérer le poste qu’elle occupe actuellement dans l’étude. Ses associés sont d’accord. Une sincérité qui tranche avec l’habituel «cette question ne se pose pas», qui fait tellement «vieille politique».
«Des personnes qui veulent casser du Noir ou du gay, qui veulent s’attaquer à des femmes, c’est insoutenable», clame-t-elle. «Même si ça reste marginal, on constate ces dernières années une recrudescence d’actes racistes, homophobes, antisémites et anti-femmes, parfois violents. C’est extrêmement préoccupant».
Passé ce constat et cette condamnation, Fabienne Fischer, sur les minorités, fait preuve d’une certaine modération doctrinale. «Je n’aime pas beaucoup le terme de minorité», dit-elle. «Je pense que l’égalité doit être comprise dans sa diversité. C’est le droit de chacun d’être simplement lui-même, quelles que soient son origine sociale ou nationale, ses orientations sexuelles ou autres. Etre désigné comme minorité, c’est un début de stigmatisation».
Cela dit et sans surprise, elle se félicite de l’adoption du mariage pour tous l’an dernier dans le canton de Genève. Elle sacrifie à l’emploi de l'expression militante «LGBTQI+», qu’elle prononce sans l’écorcher et qui vaut pour la défense des lesbiennes, gays, bi, trans et autres identités liées à l’orientation sexuelle.
Elle entend combattre des «discriminations plus sournoises» pouvant se manifester au sein des entreprises. «Il faut sensibiliser les employeurs et toute la chaîne hiérarchique», plaide-t-elle. Elue au Conseil d’Etat, elle veillerait à ce que l’administration embauche du personnel issu des minorités, une cause semble-t-il déjà partagée par l’actuelle équipe gouvernementale.
Fabienne Fischer rapporte une anecdote personnelle. Rien de dramatique, simplement symptomatique. En rapport avec la féminisation des noms de métier. «Les avocats ont pour habitude de se donner du "Cher confrère", même lorsqu'ils s'adressent à des femmes exerçant le même métier qu'eux», pose-t-elle. «A ceux qui s'adressent à moi en disant "Chère confrère", au lieu de "Chère consœur", je réponds toujours par "Chère consœur". Cela fait réagir mon interlocuteur et le message passe très bien: comme il ne se retrouve pas dans mon "Chère consœur", il comprend que moi non plus, je ne me retrouve pas dans son "Cher confrère"».
Attention! Le sujet peut faire perdre plus de voix qu'en rapporter. «L'écriture inclusive, avec le point médian? Moi, je trouve que c'est bien, même si ça peut être parfois un peu lourd», répond prudemment Fabienne Fischer. «Je ramènerais cette problématique à la question de l'inclusion, qui est très importante. Tout dialogue doit être établi sur une base de respect mutuel. Il faut que chaque personne se sente personnellement interpellée». On a connu causes défendues avec plus de conviction.
Autre champ miné: la cancel culture. Ce mouvement né aux Etats-Unis consiste à effacer, au nom de la bienveillance, un passé jugé non-conforme à des valeurs présentées comme nouvelles. Ainsi, peut-on encore étudier Madame Bovary, le roman de Gustave Flaubert, accusé par ses détracteurs de donner une image désastreuse de la femme? «Il ne faut en aucun cas interdire l'étude de certaines œuvres», répond cette fois-ci fermement Fabienne Fischer, qui pourrait, sait-on jamais, prendre la direction de l'instruction publique si elle était élue. «Vous prenez l'exemple de Madame Bovary: il faut étudier de telles œuvres, parce que c'est notre culture et parce que cela fait partie de nos racines. Aux professeurs de fournir un appareil critique aux élèves».
La candidate écologiste se montre plus ouverte sur la question pas moins polémique du déboulonnage des statues. «Je comprends, même si je peux être troublée par la manière parfois excessive de s'en prendre à des statues de personnages ayant pris part ou promu des actes que nous condamnons aujourd'hui», dit-elle. «Déboulonner une statue, ça démontre le travail de mémoire qu'une société fait sur elle-même pour se projeter dans le futur. Renommer le boulevard Carl-Vogt (réd: un savant du 19e siècle auquel sont reprochées ses théories sur la hiérarchie des races et l’infériorité du sexe féminin)? Si les Genevois le veulent, pourquoi pas? Mais je n'en ferais pas un cheval de bataille».
Fabienne Fischer a été «particulièrement choquée» par une publicité faisant la promotion de vols low-cost vers la Ville éternelle: «Envie d’une pizza ce soir? Et si on allait la manger à Rome?» Le Covid a mis un terme provisoire à ce tourisme outrageusement gourmand en kérosène.
Les doléances de la candidate en matière d’environnement rempliraient un dictionnaire. Tout doit être repensé, réaménagé, restructuré : les logements, la mobilité, la fourniture énergétique. Il faut diminuer les énergies fossiles et gaz à effet de serre, renforcer le photovoltaïque. L’éolien? Pas au programme. C’est moche et le territoire genevois est petit. Electoralement casse-gueule.
La tâche, quoi qu’il en soit, est immense et coûtera des «milliards». «L’Etat doit investir en empruntant», propose Fabienne Fischer. «C’est une bonne période pour le faire, l’argent est très bon marché», argue-t-elle. «Ces investissements s'avéreront rentables à moyen terme. Et puis, il est possible aussi d'utiliser les réserves de la Banque nationale (BNS): 21 milliards de francs de bénéfices en 2020».
Celle qui, avec son compagnon Jean Rossiaud, a renoncé à la voiture en 2004 et prend le train pour se rendre dans sa maison de vacances située dans le Gard, a les avions dans le viseur. Membre pendant six ans du conseil d’administration de l’entreprise Aéroport de Genève, propriété du canton, Fabienne Fischer en connaît les arcanes. Les stratégies commerciales des compagnies aériennes n’ont apparemment pas de secrets pour elle. «Les taxes sur les carburants et sur les billets d'avion sont du ressort de la Confédération. Mais il existe d’autres leviers pour empêcher des prix trop bas, sans rapport avec le coût réel du voyage, qui entretiennent une demande artificielle», affirme-t-elle. Sauf que la population, clouée au sol par le coronavirus, aura peut-être une envie folle de destinations maritimes à moindre coût lorsque le ciel sanitaire se dégagera enfin.
Comment parler (en mal) de Pierre Maudet sans lui faire (trop) de pub ? Dans la rue, le plan d’affichage les place côte à côte. Elle, sage carré blond, perles discrètes, veste tailleur prune, force écologiste tranquille. Lui, rousseur d'Irlandais, chemise blanc cassé, manches retroussées, en mode à l’écoute.
L’aéroport est décidément le lieu où beaucoup de choses intéressant cette élection se sont passées. Elle siégeait au conseil d’administration de l’entreprise aéroportuaire, lui le présidait. «Elle le déteste», dit un témoin de cette époque. Fabienne Fischer apprécie peu ce qu’on lui rapporte: à savoir qu’elle aurait cherché à accabler Pierre Maudet en s’étonnant qu’un conseiller d’Etat en partance pour Abu Dhabi, un voyage soi-disant privé, qui lui vaut sa condamnation du 22 février, emprunte le couloir réservé aux VIP, synonyme de déplacement officiel.
«Ces renseignements sont à mon avis couverts par le secret de fonction, qui, en l’occurrence, n’aura pas été observé par la personne qui vous les a transmis», réplique la candidate écologiste. Qui précise: «J’ai toujours eu à cœur de poser toutes les questions qui me semblaient utiles à la bonne gestion d’Aéroport de Genève. En l’occurrence, j’ai fait mon devoir d’administratrice, et j’aurais aimé que le conseil d’administration entre en matière sur des questionnements qui ne visaient pas à nuire ou à dénoncer, mais à uniquement à nous assurer que notre mission était bien remplie».
Face à un Pierre Maudet alourdi du boulet de la vénalité, Fabienne Fischer n’a pas grand mal à incarner la probité. «Je ne vois pas comment quiconque peut imaginer qu’une personne qui a été condamnée pénalement, avec des mots sévères de la juge, pourrait représenter utilement Genève. C’est simplement impossible. Nous serions la risée de la Suisse, de l’Europe, de la Genève internationale». Cet argument en forme de dernier avertissement fera-t-il mouche auprès des électeurs?
Fabienne Fischer sait où trouver l'argent. Elle veut faire porter aux caisses maladie – plus exactement leurs réserves – le financement de la vaccination, actuellement pris en charge par la Confédération. Cela libérerait des moyens pour les plans de soutien destinés aux particuliers comme aux entrepreneurs. «Les premiers doivent toucher 100% de leurs revenus lorsqu’ils sont au chômage partiel», préconise-t-elle. «On pourrait peut-être faire un peu moins dans la dentelle pour les seconds, par exemple prévoir des aides forfaitaires, en tout cas dans un premier temps, pour simplifier et accélérer la distribution des aides, quitte à affiner si nécessaire ensuite». Une action d’ampleur qui réponde à l'urgence des besoins: «Ma toute première priorité», annonce-t-elle. Pierre Maudet n’a pas le monopole des mains plongées dans le cambouis.
Comme le Conseil fédéral, Fabienne Fischer prône la réouverture, sous conditions, d’un certain nombre de lieux culturels, sans entrer dans les détails. Elle est favorable à une campagne de vaccination destinée à «toutes les personnes fragiles», y compris les sans-papiers. «Entre le serment d’Hippocrate et notre devoir de simplement protéger la vie des gens, il en va de nos valeurs fondamentales», estime-t-elle. Quel candidat en lice le 28 mars ne placerait pas le Covid en tête de ses préoccupations? Sûrement aucun.
Une vie en accord avec ses idées, forgées dans une éducation protestante. C'est l'impression que donne Fabienne Fischer. Ses parents étaient installés en Zambie, alors colonie britannique, lorsqu'elle est née en 1961. Ils étaient engagés pour le «tiers-monde», comme on disait alors et militaient pour l'autodétermination des peuples. Elle a trois ans lorsque la famille rentre en Suisse, à Genève. Elle a deux frères, Thierry, chef d'orchestre, et Didier, vigneron, par ailleurs président ad intérim du club de hockey sur glace Genève-Servette.
Fabienne Fischer et son compagnon sont propriétaires d'un appartement en PPE au Petit-Lancy. Quand la famille ne prend pas de vacances dans le Gard, elle s'évade, pas bien loin, dans le Jura, en empruntant le petit train pour Saint-Cergue (VD). Dernièrement, elle est allée se reposer en Suisse alémanique, dans l'Emmental (BE). «Je n'ai pas vraiment de hobbies», confie la candidate des Verts. «J'aime aller aux concerts, au théâtre, au cinéma, au Festival de Locarno au mois d'août».
«J'adore cuisiner», poursuit-elle. «A notre table, il n'y a jamais de pizza surgelée. La cuisine, c'est quelque chose de concret, de manuel, c'est reposant et gratifiant. J'utilise des produits frais et locaux. Je me fournis entre autres au marché de Carouge, le samedi. Le dimanche, je vais à celui de Plainpalais. Je ne suis pas végane, ni même végétarienne, mais je cuisine peu la viande. L'hiver, j'aime bien faire des gratins de pomme de terre, des légumes braisés, du chou chinois. Côté sport, à part la marche, je pratique volontiers le yoga méditatif du Cachemire». C'est qu'il en faut, de la zénitude, pour se lancer dans la joute électorale, au plus haut niveau cantonal, avec, face à soi le terrible Maudet.
Cet entretien avait déjà été publié en mars 2021.