La culture queer a toujours eu un côté provoc. Les choses n’ont pas vraiment changé depuis que les questions liées au genre sont devenues dominantes dans l’antique sphère gay. A un détail près: les pouvoirs publics ont investi le domaine. Exemple ci-après: «Quel est le sexe qui vous a été assigné à la naissance? Féminin. Masculin. Je préfère ne pas me prononcer. Autre (veuillez préciser).»
Cette question, où la désignation du sexe du nouveau-né procèderait d’une forme d’arbitraire, fait partie d’un sondage élaboré par la Ville de Lausanne, relayé sur sa page Facebook à la date du 16 décembre. Portant sur la pratique du sport, il émane de l’Observatoire de la sécurité et des discriminations rattaché au dicastère de la sécurité et de l’économie, dirigé par le municipal PLR Pierre-Antoine Hildbrand.
Comprenant une quarantaine de questions, il s’adresse aux «personnes des minorités OSAIEGCS». Encore peu en usage, certains ne le découvrant qu'aujourd’hui, cet acronyme en remplace ici un autre plus connu, LGBTIQ+. Utilisé depuis 2010 par la Conseil d’Europe, adopté en 2014 par l’ONU, OSAIEGCS veut dire: Orientation sexuelle et affective, identité et expression de genre, caractéristiques de sexe. Il se veut plus fluide, moins rigide que LGBTIQ+, où les individus sont appelés à se ranger dans des cases préétablies.
Sur le fond, le questionnaire reprend le vocabulaire en vigueur dans les études consacrées aux identités de genre. Le but de ce sondage, où répond qui le souhaite sous garantie d'anonymat, est «de combler un vide statistique sur la pratique sportive des minorités OSAIEGCS en Suisse», indique David Rodriguez, de la Direction sécurité et l’économie de la Ville de Lausanne.
David Rodriguez précise encore: «Des études comparables ont été menées en Europe, mais en Suisse, à part une enquête limitée en Suisse alémanique pendant la période du Covid, il n’existe aucun outil pour collecter ces données.»
Quelles sont les catégories de population pouvant se reconnaître dans l’acronyme OSAEIGCS? Réponse de la Ville de Lausanne: «Les minorités d’orientation sexuelle (OS), les minorités des identités et expressions de genre (IEG), les minorités des caractéristiques sexuelles (CS).»
Le sondage s’adresse manifestement à des personnes ayant une certaine maîtrise du lexique propre à cette thématique. L’une des questions, il y en a une quarantaine, s’intéresse, par exemple, à l’orientation «romantique/affective». Huit réponses sont possibles, plusieurs cases pouvant être cochées:
Le questionnaire porte également sur les «minorités ethniques, religieuses, linguistiques, de handicap ou de tout autre groupe minoritaire». Là comme ailleurs, le ressenti des personnes est privilégié à tout argument d’autorité, ou pouvant être perçu comme tel. Il n’est pas demandé si l’on est d’une minorité «ethnique ou racisée», mais si l’on se considère comme tel.
Afin de lutter contre des situations de malaise dans la pratique sportive, une question demande: «Si vous aviez la possibilité, avec qui souhaiteriez-vous pratiquer une activité sportive (plusieurs réponses possibles)? Avec des femmes cis. Avec des hommes cis. Avec un groupe mixte. Avec des personnes qui s’identifient comme OSAIEGCS. Avec des personnes TINA (personnes trans, intersexes, non binaires et agenres). Avec des personnes FLINTA (personnes femmes, lesbiennes, intersexes, non binaires, trans et agenres. En solitaire.»
Depuis 2023, Lausanne fait partie du Rainbow Cities Network (RCN). Elle est la quatrième ville de Suisse à l’avoir rejoint, aux côtés de Genève, Zurich et Berne. A ce titre, le chef-lieu vaudois développe des politiques inclusives. Supervisé par Nils Kapferer, responsable des projets LGBTIQ+ de la Ville de Lausanne, actuellement en vacances, le sondage destiné aux «personnes des minorités OSAIEGCS» s’inscrit dans cette mission d’inclusion.
Financé par le budget ordinaire, avec des apports bénévoles, le questionnaire a été élaboré par les services de la municipalité avec la participation des associations VoQueer et STIN (Sports trans, intersexes, non-binaires), cette dernière association se voulant «en non-mixité sans personnes cisgenres dyadiques (réd: dont l'identité de genre correspond au genre biologique)».
Les données obtenues seront traitées par la Ville de Lausanne. L'université ou tout autre établissement de recherche n'est pas de la partie. Du moins pas pour l'instant, comprend-on. David Rodriguez:
Chef du groupe UDC au conseil communal de Lausanne, Valentin Christe se dit «un peu perplexe» face à ce sondage. «On ne gagne pas en lisibilité à force d’additionner les acronymes. Il avait fallu s’habituer à LGBTIQ+, voici à présent OSAIEGCS.» Sur le fond, l’élu lausannois estime que ce questionnaire «soulève la question des combats militants». Il y voit «comme la justification d’une politique d’inclusion».
Si Valentin Christe s’oppose à «toute manifestation d’intolérance motivée par des caractéristiques relevant de l’intimité des personnes», il voit dans ce sondage:
Pour le chef du groupe UDC, «la minorité la plus irréductible, c’est celle de l’individu». Autrement dit, «c’est l’individu en soi et non ses caractéristiques qui doit être protégé contre la violence». Valentin Christe n’exclut pas de donner une suite politique à ce questionnaire à la rentrée de janvier du conseil communal.
Pour Olivier Massin, professeur de philosophie à l’Université de Neuchâtel, le questionnaire de la Ville de Lausanne «illustre une volonté de communautarisme dans les pratiques sportives pour les personnes décrites comme OSAIEGCS». Olivier Massin, qui a préfacé l’essai du journaliste Jonas Follonier La diffusion du wokisme en Suisse (éditions Slatkine), s’interroge:
Et le professeur de philosophie d’ajouter:
La présidente du Parti socialiste lausannois (PSL), Sarah Neumann, élue au législatif du chef-lieu vaudois, estime que ce questionnaire a toute sa raison d’être.
S’agissant des questions posées dans le sondage, Sarah Neumann estime important que «les personnes qui y répondent puissent se déterminer, que c’est à elles de le faire et non à d’autres à leur place». D’une manière générale, la présidente du PSL se «félicite que les autorités lausannoises cherchent à rendre la ville plus agréable pour chacun».
«Tout en relevant l'importance d'une terminologie incluant la plus grande diversité de répondants», elle concède que l’expression «sexe assigné à la naissance» aurait peut-être pu être remplacée, par exemple, par «sexe enregistré à la naissance».
«Sexe assigné à la naissance» renvoie à deux questions du sondage portant sur l'intersexuation, notion reconnue par la science, à laquelle le sondage donne la définition suivante: «Les personnes intersexuées ont des caractéristiques sexuelles innées biologiques primaires ou secondaires qui diffèrent des schémas développementaux d’un corps femelle ou mâle.»
A ce propos, la Ville de Lausanne se justifie de l'emploi du mot «assigné». Et renvoie pour cela à l’article 8 de l’Ordonnance sur l’état civil. Sauf que l’article en question ne parle pas de sexe assigné à la naissance mais de «données enregistrées» à la naissance: masculin ou féminin pour ce qui concerne le sexe de l'enfant.
Sur le même sujet, la Ville de Lausanne ajoute:
Sans doute la formulation «attendre que l’enfant ait la capacité de discernement pour effectuer un choix éclairé» pose-t-elle à son tour question.