On ne mesure pas la solidarité d'un pays à l'aide qu'il apporte à des personnes qui n'en auraient pas réellement besoin. Quand les ressources viennent à manquer - et ce n'est pas seulement vrai dans le domaine de l'asile et de l'immigration - la raison et l'humanité ordonnent de se concentrer sur les plus nécessiteux.
Bien sûr, des missiles russes, des drones et même des missiles de croisière frappent occasionnellement l'ouest de l'Ukraine, près des frontières avec les pays de l'Otan: la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Néanmoins, tous ceux qui voyagent en Ukraine remarquent la différence entre les régions proches du front à l'est et au sud et les régions largement épargnées à l'ouest.
Pour ne citer qu'un exemple, la différence entre Kharkiv, la deuxième ville du pays, située non loin de la frontière russe, et Lviv est frappante. Presque toutes les nuits, à Kharkiv, les impacts de bombes planantes russes se font entendre. Tandis qu'à Lviv, à environ 900 kilomètres de là, il ne se passe souvent rien pendant des semaines.
A l'ouest, certaines personnes peuvent souffrir de troubles du sommeil dus aux sirènes d'alarme aérienne qui retentissent sans arrêt. Ce n'est toutefois pas parce qu'on les entend régulièrement que le territoire tout entier est un champ de bataille. Au lieu d'avertir brièvement et de manière ciblée en cas de menace, comme en Israël, Kiev préfère envoyer ses employés, étudiants et élèves se terrer durant des heures dans des abris. Pendant ce temps, le reste de la population ne prête aucune attention aux alarmes.
Dans la plupart des cas, il ne se passe rien. Des alertes mieux ciblées permettraient de sauver des vies et de réduire les problèmes de sommeil.
Surtout, le hurlement des sirènes ne suffit pas à justifier l'accès à l'un des systèmes d'asile et de protection les plus généreux au monde. Il n'existe aucune statistique pour déterminer combien de personnes en quête de protection en Suisse viennent de l'ouest ou de l'est et du sud de l'Ukraine. Mais la modification du statut de protection S adoptée par le Parlement ne concerne pas les réfugiés déjà arrivés. Elle vise les prochains.
Et parmi ces personnes, il est tout à fait approprié de distinguer celles qui viennent des zones de guerre ou des territoires occupés par la Russie et celles qui viennent des régions occidentales du pays, relativement sûres, où le risque de subir des dommages lors d'un accident de la route est plus grand que lors d'un bombardement russe.
La nouvelle réglementation signifierait que le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) devrait à l'avenir suivre de près les mouvements du front et connaître en temps réel les régions à risque. Il faudrait en outre étudier les endroits où les frappes de drones et de missiles sont particulièrement nombreuses. Ce serait facile pour Kharkiv, mais le cas de la ville portuaire d'Odessa, au sud et de plus en plus visée par Moscou, donnerait davantage de fil à retordre aux décideurs.
La nouvelle réglementation s'attaquerait également à une situation particulièrement choquante: les propriétaires immobiliers de l'ouest de l'Ukraine louent souvent leurs appartements et maisons vides à des déplacés des régions de l'est, à des loyers parfois beaucoup trop élevés. Ces mêmes propriétaires partent ensuite tranquillement vivre en Suisse, au nom du statut S, aux frais de la collectivité. Cela doit changer.
Le Conseil national a toutefois omis de supprimer une autre injustice criante: les Ukrainiens en quête de protection peuvent continuer à passer jusqu'à deux semaines de vacances dans leur pays. Il en va tout autrement pour les demandeurs d'asile: ceux qui se rendent dans leur pays d'origine risquent de perdre leur statut en Suisse. Il faut enfin mettre un terme à cette discrimination à l'encontre des personnes venant principalement d'Afrique ou d'Asie.
Pour véritablement aider l'Ukraine, la Suisse devrait faire preuve d'une plus grande solidarité en dehors du domaine de l'asile et de la protection. Notre aide humanitaire est restée jusqu'à présent honteusement timide. A l'approche de l'hiver et alors que la Russie provoque des coupures de courant à répétition, il serait grand temps que «le pays de la tradition humanitaire» justifie sa réputation.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)