Des appels à la désobéissance civile, des départements frondeurs, des députés dénoncés sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron accusé d’avoir pactisé avec l’extrême droite. La France opposée à la loi immigration adoptée mardi au parlement entre en résistance au motif que ce texte introduirait une préférence nationale au mépris de la devise républicaine: «Liberté, Egalité, Fraternité». Qu’en est-il du traitement de l’immigration ailleurs en Europe? Est-ce si différent de la nouvelle loi française (qui doit encore obtenir l’aval du Conseil constitutionnel)?
Nous nous sommes arrêtés à la Suisse. Avec le concours du professeur de sociologie Sandro Cattacin, spécialiste des questions migratoires à l’Université de Genève, nous avons comparé les points qui font polémique en France avec leurs équivalents helvétiques. Commentaire global du professeur:
Entrons dans le détail.
En France, avec la nouvelle loi, les allocations familiales sont versées aux étrangers qui travaillent dans un délai de trois mois, de cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas.
En Suisse, le critère discriminant n’est pas le fait d’avoir des enfants, mais d’avoir un travail. «Il faut un travail et un permis de séjour pour avoir droit aux allocations familiales, et bien sûr avoir des enfants», explique Sandro Cattacin. Autrement dit, sans travail, par d’allocations familiales, alors qu’en France, même sans activité lucrative, un foyer pourra en percevoir au bout de cinq ans.
En France, le versement de l’APL (aide personnalisée au logement) prévoit, comme pour les allocations familiales, un délai de carence de cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas, de trois mois pour les autres.
En Suisse, la gestion des aides au logement est l’affaire des villes et des cantons. Il n’y a pas de différence de traitement entre Suisses et étrangers. Pour l’obtention d’un logement HLM ou d’une aide financière personnalisée, il faut justifier d’un certain nombre d’années de présence dans la ville ou le canton en question. Comme en France, les sans-papiers n’ont pas droit à un logement. «Ce qui fait l’affaire des marchands de sommeil», observe Sandro Cattacin.
En France, les sans-papiers ont accès aux soins gratuits par le truchement de l’Aide médicale d’Etat (AME). Le gouvernement a obtenu de son partenaire de droite Les Républicains (LR) que le sort de l’AME, dont LR souhaite la suppression, soit traité dans un texte à part, à débattre en 2024.
En Suisse, tout résident, y compris l’individu en situation irrégulière, a droit à une assurance maladie. Encore faut-il pouvoir la payer. Les personnes rencontrant des difficultés financières peuvent demander des subsides. Les sans-papiers ne le peuvent pas.
En France, le nouveau texte durcit les conditions du regroupement familial. La durée de séjour du demandeur est portée à 24 mois (contre 18). Il faut justifier d’un logement, de ressources «stables, régulières et suffisantes», disposer d'une assurance maladie. L'âge minimal du conjoint doit être de 21 ans (18 jusqu’ici).
En Suisse, il faut, comme en France, justifier d’un logement suffisamment grand pour le nombre de personnes accueillies, ainsi que de ressources financières suffisantes. En revanche, il n’y a pas, contrairement à la France, de délai de carence.
«La demande de regroupement doit avoir lieu dans un délai de 5 ans maximum, on parle ici des jeunes familles, avec des enfants en bas âge. Pour faire venir en Suisse un enfant de plus de 12 ans, il faut compter un an.»
En France prévaut le droit du sol. Avec la nouvelle loi immigration, toute personne née en France de parents étranger souhaitant être reconnue française devra en faire symboliquement la demande entre 16 et 18 ans. Par ailleurs, une somme modique, 60 euros, est demandée aux personnes effectuant une procédure de naturalisation.
En Suisse, point de droit du sol stricto sensu. La naturalisation facilitée permet de raccourcir les procédures. «Les frais de naturalisation vont de 600 francs, pour un individu, à 3000 francs, pour une famille», explique Sandro Cattacin.
En France, la loi nouvellement adoptée prévoit le dépôt d’une «caution de retour» pour les étudiants extracommunautaires, qui leur sera rendue à la fin de leurs études. Le montant de la caution n’est pas encore fixé. Il s’agit d’éviter que des étrangers s'inscrivent en tant qu’étudiants uniquement pour venir en France.
En Suisse, «il n’y a pas de caution, mais c’est pire», affirme le professeur de l’Université de Genève.
A noter qu’en France aussi, il faut justifier d’une certaine somme d’argent par mois, 615 euros très exactement.
«Le durcissement de la législation sur l’immigration n’est pas propre à la France. C’est un phénomène global, qu’on retrouve en Allemagne, en Italie, au Danemark», observe Sandro Cattacin. Pour le professeur de l'Université de Genève, «c’est une tendance regrettable, qui précarise davantage encore les migrants».