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Covid-19: encore 30 000 hospitalisations avant la fin de la pandémie?

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Image: keystone / shutterstock

Encore 30 000 hospitalisations avant la fin de la pandémie?

15.11.2021, 05:4816.11.2021, 13:01
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Il faut se rendre à l'évidence: nous sommes au pied d'une nouvelle vague, les cas flambent, la vaccination patine, le moral sombre, les pays se referment autour de nous et l'hiver approche à grands froids. watson a lancé un coup de fil à Samia Hurst, vice-présidente de la Task Force Covid-19 pour savoir à quelle sauce la Suisse va être mangée (ou non) avant Noël. Vous voulez un teaser? Selon la bioéthicienne genevoise, il ne faut pas blâmer les personnes non-vaccinées et ce n'est pas aux enfants de protéger les adultes. Grand entretien.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, en tant que scientifique, comment allez-vous?
Samia Hurst: Fatiguée! On est tous fatigués à cause de cette pandémie, les scientifiques aussi.

C’est vraiment de la fatigue que la population ressent? Il n’y a pas plus volontiers de l’agacement aujourd’hui?
Oui et c’est compréhensible, car de nombreuses personnes se sentent désormais à l’abri et aimeraient que les mesures puissent cesser. Mais la pandémie, ce n’est pas la peur du virus, c’est la période durant laquelle la population est exposée à des problèmes collectifs dus à une nouvelle maladie. C’est ça qui nous fatigue en réalité. Et je crois qu’aujourd’hui, on aimerait bien être au stade où on n’a plus ce problème collectif à gérer. Un stade endémique, sans pic épidémique qui surcharge les systèmes de soin. Un stade où le virus serait une maladie du même type que la rougeole par exemple.

La question que tout le monde se pose: on y arrivera quand à ce stade?
Tout le monde voudrait connaître la date de fin!

Alors je reformule: il nous manque quoi aujourd’hui pour qu’on s’y approche?
C’est d’abord presque mathématique: on connaît le nombre de personnes vaccinées et on estime le nombre de personnes guéries sur la base, principalement, d’études sérologiques. Le but? Connaître la part de la population qui est encore en situation de naïveté immunologique. Nous l’estimons aujourd’hui à un peu plus d’un million de personnes. Parmi elles évidemment, les enfants. Les jeunes aussi, qui sont à faible risque. Il y a en revanche encore des gens clairement à risque.

«Si l’on tient compte du risque spécifique à chaque tranche d’âge, et si l’on suppose que toutes ces personnes finissent par entraîner leur immunité par la maladie plutôt que par la vaccination, alors cela permet de faire une projection selon laquelle il nous resterait environ 30 000 hospitalisations avant d’arriver au bout de la pandémie.»

Et si ces hospitalisations surviennent toutes en même temps, ce sont les hôpitaux qui trinquent?
Exactement. Mais vous me demandiez combien de temps encore avant la fin de la pandémie. C’est là que la vaccination entre en jeu, parce que le vaccin permet d’éviter fortement la case hôpital. Et donc d’accélérer le processus, sans avoir à accueillir 30 000 malades à l’hôpital.

C’est une manière didactique et polie de dire que tout est de la faute des personnes non-vaccinées!
Beaucoup de gens pensent ça, mais je ne suis pas d’accord. Les personnes non-vaccinées font usage d’un droit que nous avons décidé ensemble de maintenir. C’est la conséquence de la décision que l’on a tous prise démocratiquement au moment de voter sur la loi sur les épidémies en 2013. C’est à ce moment-là que nous avons décidé que la vaccination ne pouvait être rendue obligatoire que pour certaines catégories de la population.

«Nous avons une vaccination facultative aujourd’hui et il faut composer avec ça»

Certains doivent regretter cette décision démocratique aujourd’hui, non?
Peut-être. Il faudrait avoir le débat aujourd’hui pour le savoir. Si je devais parier, je pense que la décision serait la même. Même si c’était le cas, cela-dit, le débat permettrait d’affirmer que nous voulons vraiment maintenir cette liberté, même sous la pression d’une pandémie, qui était absente en 2013.

Ça veut donc dire que nous avons tort de pointer les personnes non-vaccinées?
Oui. Nous avions pris une décision collective, il est donc injuste de blâmer ceux qui n’ont pas encore fait le pas ou ceux qui ont décidé de ne pas se faire vacciner. Ils n’ont pas décidé unilatéralement que ce choix serait possible. A nous de l’assumer collectivement.

Qui faut-il blâmer alors? Nous avons toujours besoin d’un responsable…
Si on veut un responsable, c’est le virus. Nous, nous devons simplement avoir une stratégie qui tient compte de ce paramètre et évidemment continuer d’expliquer du mieux possible le fonctionnement d’un vaccin pour être mieux armé pour convaincre ceux qui ne se sont pas encore décidés.

Ce que vous faites vous-même sur Twitter d’ailleurs: tenter de vulgariser le vaccin et ses bienfaits. Mais vous prêchez des convaincus, non?
C’est une bonne question. Sur les réseaux sociaux, les personnes qui s’expriment ont tendance à être soit pour soit contre la vaccination avec des positions très affirmées. Mais ça ne reflète pas vraiment la réalité. Je n’en suis pas certaine. Ceux qui ne savent pas encore trop comment se positionner sont plus discrets que les autres par exemple.

Vous vous adressez donc à ceux qui se taisent?
Je n’essaie pas de convaincre les sceptiques. Mon travail, et notamment sur les réseaux, consiste à offrir une information la plus loyale et la plus compréhensible possible. Je pense que les gens en ont encore besoin. J’ai d’ailleurs beaucoup de compassion pour les personnes qui ne parviennent pas à faire la part des choses. On lit et on entend tout et son contraire et il y a beaucoup de désinformation au sujet du vaccin. Et de tout temps! Je crois surtout qu’il n’y a pas eu assez d’information fiable qui venait vers les gens. Il fallait aller la chercher.

«Si vous êtes une personne qui milite depuis toujours contre l’idée même de la vaccination, une pandémie comme le Covid-19, c’est un peu votre heure de gloire»

Mais alors quand la Confédération annonce que la situation est à nouveau très préoccupante et qu’il met en place des concerts et des boules de Berlin pour inciter à la vaccination, c’est un peu léger comme action, non?
Oui ça peut paraître un peu léger, mais la légèreté n’est pas toujours un mal et la Suisse n’est pas la seule à avoir joué le jeu de l’incitatif. Et dans certains endroits du monde, ça a vraiment bien fonctionné. Surtout que le côté festif peut faire moins peur que ces grands centres de vaccination impersonnels.

Jouer la carte du festif pour dire que le moment est grave? Vraiment?
Que dire? Oui, je suis d’accord avec vous, on peut penser ça. Mais le fait est que ça a déjà fonctionné ailleurs. Et il faut aussi préciser qu’une même mesure ne résonne pas de la même manière chez tout le monde.

On est d’accord qu’aujourd’hui, nous avons moins peur de mourir que l’année dernière? Nous ne sommes plus en 2020.
Ce qu’il faut admettre, c’est que la Suisse subit avant tout une vague parmi les non-vaccinés. Si vous n’êtes pas vacciné ou guéri, vous n’avez pas moins de risques de finir à l’hôpital qu’en 2020. Le variant delta est plus coriace, plus dangereux et plus contagieux que ses prédécesseurs. Ce qui a changé, c’est la moyenne d’âge des personnes hospitalisées qui a baissé.

«Il y aura peut-être moins d’hospitalisations, mais elles dureront plus longtemps. Et pour les hôpitaux, en termes de nombre de lits disponibles, le problème est le même»

Des pays, comme l’Autriche, reconfine sa population non-vaccinée dès lundi. C’est la dernière arme disponible et la Suisse va devoir y passer aussi?
La question serait plutôt, si le taux de vaccination n’augmente plus beaucoup, ce qui semble être le cas en ce moment, quelles sont les mesures qui peuvent être prises si la menace devenait concrète pour les hôpitaux.

Elle n’est donc pas concrète aujourd’hui, cette menace?
On s’attend à ce qu’elle arrive, cette menace. La question, c’est à quel rythme et à quel niveau. Et ça ne dépend pas uniquement des mesures mises en place, mais du comportement de chacun d’entre nous. C’est ça qui rend la prédiction difficile. Mais c’est aussi une source d’espoir. Plus les gens deviennent prudents à l’approche de l’hiver, plus cette vague peut aussi être freinée, même sans mesures supplémentaires. Mais vous avez raison, certains pays sont passés au certificat destiné uniquement aux personnes guéries ou vaccinées. Le certificat sert à deux choses: à diminuer le risque que des personnes contagieuses se trouvent dans un lieu clos, et à diminuer le risque que des personnes ne s’infectent dans ces lieux.

«Un certificat, ce n’est pas un interrupteur, c’est un bouton de volume»

Que vous soyez vacciné, guéri ou testé négatif, le risque est abaissé mais n’est pas complètement éliminé. Et si vous êtes testé négatif, c’est en fait surtout vous qui allez tomber malade si quelqu’un de contagieux se trouve là malgré tout.

J’insiste, mais la Suisse va y avoir droit aussi?
La commission nationale d’éthique s’était justement prononcée l’hiver dernier sur le certificat vaccinal. Donc avant que le certificat avec tests soit proposé. La conclusion était: il y a moyen de faire les choses bien, mais on ne peut pas l’utiliser dans trop de domaines de l’existence. Le champ d’application actuel du certificat Covid en Suisse est rendu proportionné justement parce qu’il propose les 3G.

«Il faudrait donc que la Suisse soit dans une situation beaucoup plus dangereuse qu’on ne l’était l’hiver dernier, avec moins d’alternatives, pour justifier un certificat 2G»

N’oublions pas qu’on peut sécuriser davantage le certificat par d’autres moyens. Par exemple en réduisant la durée de validité des tests, en ajoutant le port du masque lorsque c’est possible ou en testant tout le monde.

Les Suisses sont-ils prêts à vivre avec ce certificat 2G?
Certains peut-être, mais la vraie question est sa justification. Une mesure qui nous limite doit toujours être la plus légère possible parmi les alternatives efficaces. Les pays concernés argumentent d’ailleurs en disant que les alternatives ne marchent plus, qu’ils n’ont plus d’autres choix. Mais le jeu doit aussi en valoir la chandelle. Les probabilités de réussite doivent contrebalancer l’intrusion. Et cette question de la proportionnalité est évidemment difficile.

Un autre grand débat aujourd’hui: la vaccination chez les enfants. Sont-ils aujourd’hui considérés comme des super-propagateurs?
On sait aujourd’hui que les enfants attrapent le virus et le transmettent à peu près comme les adultes. Ce qu’ils font moins, ce sont les maladies graves. Comme d’autres maladies qu’on appelle «d’enfance» d’ailleurs. Elles sont moins graves que lorsqu’on les attrape plus tard. C’est la raison pour laquelle on vaccine plutôt dans l’enfance plutôt que de laisser l’enfant traverser ses premières années sans immunité.

«La question avec le Covid-19, c’est de savoir si les risques pour l’enfant sont les mêmes que pour ces maladies de l’enfance que l’on connaît et contre lesquelles on vaccine, mais aussi le profil de risque du vaccin»

C’est précisément cela qui est en train d’être examiné par les instances d’homologation dans plusieurs pays et, on l’espère, bientôt en Suisse aussi.

Reste que les enfants propagent aussi le virus et sont potentiellement dangereux pour les adultes…
Oui, mais les adultes ont la possibilité de se vacciner. Vous posez aussi une question éthique, ici. A la fin, ce n’est pas aux enfants de protéger les adultes, mais aux adultes de protéger les enfants.

Petite question bonus pour terminer: nous sommes dans la 4e ou la 5e vague? Les spécialistes, les politiciens et les journalistes ne semblent pas s'entendre.
Peut-être que la courbe future nous aidera à trancher cette question. Ce qui est sûr, c’est que les cas doublent actuellement toutes les deux semaines et que les hospitalisations ont toujours suivi jusqu’à présent; nous avons à nouveau de quoi rassembler nos efforts pour combattre cette vague-ci du mieux possible.

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