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Voici pourquoi on n'en fait pas assez pour le climat

De gauche à droite: les incendies au Canada (2023), la sécheresse en Espagne (2023) et les pluies en Californie (2023).
De gauche à droite: les incendies au Canada (2023), la sécheresse en Espagne (2023) et les pluies en Californie (2023).keystone/watson

Pourquoi on n'en fait pas assez pour le climat? «C'est comme les fumeurs»

Face au réchauffement climatique, il est difficile d'adopter un comportement irréprochable, même si la cause nous tient à coeur. Fabrizio Butera, professeur à l'Unil, explique cette contradiction.
14.05.2023, 16:2614.05.2023, 17:37
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Les dérèglements climatiques s'observent et leurs effets se ressentent de plus en plus au quotidien: sécheresse en Espagne, incendies au Canada, pluies torrentielles en Californie. Nombreux sont ceux qui ont donc changé leurs habitudes afin d'apporter leur pierre à l'édifice.

Aujourd'hui, toutefois, qui peut se targuer d'être exemplaire? Pourquoi certains de nos comportements restent contradictoires, en dépit de nos connaissances sur les causes et conséquences du réchauffement climatique? Fabrizio Butera, professeur à l'institut de psychologie de l'Université de Lausanne, nous éclaire sur ces questions.

Fabrizio Butera, professeur à l'institut de psychologie de l'Université de Lausanne.
Fabrizio Butera, professeur à l'institut de psychologie de l'Université de Lausanne.

Prenons l'exemple d'une personne qui se déplace tous les jours à vélo, afin de réduire son empreinte carbone, mais qui prend l'avion plusieurs fois par année pour voyager en Europe. Comment expliquer cette dissonance?
Fabrizio Butera: Nous sommes très doués pour nous donner des crédits moraux, moi le premier. Ainsi, lorsque nous faisons un geste en faveur du climat, ici par exemple se déplacer à vélo, nous avons un crédit moral à dépenser dans une action qui ira en sa défaveur, comme s'envoler quelques jours à Barcelone. Nous pensons:

«J'ai pris le vélo toute la semaine, je peux donc me permettre de prendre l'avion ce week-end»

Peut-on réellement imaginer une suppression totale de ces comportements contradictoires?
Je ne pense pas qu'une application rigide des préceptes en faveur du climat soit efficace si les gens veulent opérer de véritables changements. Il vaut mieux adapter petit à petit ses comportements. Si du jour au lendemain, on demande à une personne de vendre sa voiture, de ne plus prendre l'avion, de devenir végane, elle aura rapidement l'impression d'être en train de se priver et d'être entravée dans sa liberté. Un mécanisme psychologique pourrait alors entrer en jeu, qui s'appelle la réactance:

«Face à une limitation de notre liberté, nous allons faire tout le contraire, voire pire. Par exemple: je ne mange plus de viande, je prends les transports publics et je devrais faire encore plus? J'en ai marre: je pars en week-end à Barcelone»
Fabrizio Butera, professeur à l'institut de psychologie de l'Université de Lausanne.

Les gens restent également attachés à leurs habitudes. Elles font partie de leur identité. La sensibilisation aux questions climatiques doit se faire tôt, car la plupart des obstacles aux changements de comportements sont typiques de l'âge adulte.

Les informations sur les dérèglements climatiques et leurs conséquences sont pourtant nombreuses et quotidiennes. Nos connaissances sur le sujet n'impactent pas nos comportements?
Face à un type d'information qui alerte sur des phénomènes à l'échelle planétaire, qui souvent se passeront dans le futur, certaines personnes ne se sentent simplement pas concernées. L'information est donc traitée de manière superficielle.

«Par exemple, si notre maison n'a pas été inondée – comme c'est le cas dans les pays en proie à de fortes pluies – nous n'avons aucune raison de nous en faire»
Fabrizio Butera, professeur à l'institut de psychologie de l'Université de Lausanne.

En Europe, nous vivons les hausses des températures, les sécheresses, les canicules. Peut-on encore ne pas se sentir concernés?
Parler de ces problématiques qui nous touchent directement peut engendrer un changement dans les comportements des personnes. Mais nous observons aussi une exposition sélective à l'information, ainsi qu'un processus d'immunisation.

C'est-à-dire?
Le premier concept signifie que nous regardons ailleurs lorsque l'information ne nous plaît pas, ou que nous nous concentrons uniquement sur des contenus qui confirment ce que nous pensons. Le second explique pourquoi nous décidons de passer par-dessus une information que nous connaissons déjà. Prenez l'exemple des messages dissuasifs sur les paquets de cigarettes: cela n'empêche pas les fumeurs d'acheter leurs cigarettes. Ils mettent simplement le message de côté et décident de composer avec la menace. Cette réaction – qui s'observe également face au réchauffement climatique – s'appelle l'optimisme comparatif:

«Les choses négatives n'arrivent qu'aux autres. Nous, en revanche, sommes destinés à ne vivre que des choses positives»

Quelles sont vos solutions pour provoquer l'envie d'agir en faveur du climat?
Il ne suffit pas de jouer sur la peur lorsque nous nous adressons aux gens, dans les médias notamment. Les personnes se bloquent, se tétanisent et, à nouveau, l'effet contraire se produit. L'appel à la peur peut, toutefois, engendrer un changement de comportement lorsqu'il est accompagné de solutions.

Si les comportements n'évoluent pas, c'est à cause des médias?
Non. Je salue d'ailleurs leur travail ces dernières années. Ils ont réussi à faire de l'environnement une question centrale. J'explique simplement que les personnes réagissent mieux face à la combinaison de buts abstraits, comme «réduire son impact climatique», et de buts concrets, comme «éteindre la lumière» ou «trier ses déchets». Le premier permet de garder le cap, de savoir où on va. Le second, de comprendre comment faire pour y arriver.

Récemment, une émission en direct a été interrompue à Genève par un activiste du climat qui s'est collé la main sur le pupitre du présentateur. Des golfs ont également été vandalisés pour dénoncer, notamment, «un sport qui pollue». La désobéissance civile fonctionne-t-elle pour sensibiliser aux questions climatiques?
Selon une équipe de chercheurs, qui s'est récemment penchée sur l'influence de la désobéissance civile sur le public, l'impact dépend du type d'action: légale ou illégale, violente ou non violente. Les actions illégales, mais non violentes, c'est-à-dire la désobéissance civile, ont le plus de chances de créer un changement.

Même chez les personnes qui sont sceptiques?
Surtout chez les personnes qui sont sceptiques. Ces actions, à condition qu'elles soient pacifiques, démontrent la détermination des militants, disposés à faire des sacrifices, à être arrêtés, voire à faire de la prison pour une cause. Les gens auront tendance à se dire que si quelqu'un est prêt à encourir cela, c'est qu'il y a une bonne raison. De plus, ces actions créent du conflit, une rupture. Lorsque nous sommes dans une routine, nous ne réfléchissons pas à un éventuel changement de comportement.

Vous êtes positif sur l'avenir du climat?
Ce qui peut amener des changements de comportements c'est l'efficacité collective, le sentiment que nos actions peuvent faire une différence parce qu'elles sont coordonnées avec celles de toute une population. Mais je n'ai pas de boule de cristal. Nous pouvons prédire les comportements humains, mais nous ne pouvons rien assurer. Aujourd'hui, en Europe, notamment, il y a peu de climatosceptiques.

«Il existe pourtant encore une différence entre ce qu'on sait et ce qu'on fait»
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