Fin juillet, à l'approche du 1er Août, les Jeunes UDC se sont indignés qu'une rue de la vieille-ville de Berne ait été entièrement pavoisée aux couleurs arc-en-ciel du drapeau LGBT. Le chef-lieu bernois entendait saluer la pride qui clôturait les EuroGames organisés chez lui. Sur X (ex-Twitter), les Jeunes UDC ont à cette occasion opposé «la liberté, la force, la cohésion et l'avenir», incarné, selon eux, par le drapeau suisse, à «la censure, l'exclusion, la décadence et la ruine», représentées, toujours selon eux, par la bannière LGBT.
Défenseur des droits LGBT mais opposé au «wokisme», le conseiller national libéral-radical neuchâtelois Damien Cottier, chef du groupe PLR aux Chambres fédérales, qui brigue un nouveau mandat aux élections d'octobre prochain, tient ici à faire entendre sa voix dans une polémique entre deux camps qui paraissent irréconciliables.
Pourquoi avez-vous tenu à réagir à la polémique des drapeaux provoquée par les Jeunes UDC à la veille du 1er Août.
Je trouve ce message des Jeunes UDC extrêmement violent. Parler de «ruine» et de «décadence» à propos du drapeau LGBT est totalement déplacé. Il y a là quelque chose qui entre en contradiction avec la ligne politique largement soutenue par le peuple suisse en votation. Je pense à l’extension à l'homophobie de la norme pénale antiraciste, ainsi qu’au mariage pour tous.
La décadence dénoncée par les Jeunes UDC vise peut-être moins les individus, sachant que l’UDC compte des personnes LGBT en son sein, que l’idéologie attachée selon eux au mouvement LGBTQIA+, qui, pensent-ils, tend à s’imposer comme norme de référence dans la société.
Ce qui me dérange, c’est le fait d’opposer, comme le font les Jeunes UDC ici, le drapeau suisse au drapeau arc-en-ciel, qui n’était présent à Berne que dans une rue et pour quelques jours seulement. Cela n’a rien d’extraordinaire. Genève pavoise par exemple le pont du Mont-Blanc aux couleurs de l’Organisation mondiale de la santé lorsque cette dernière accueille un sommet. Il ne s’agit donc pas d’opposer deux drapeaux, il faut au contraire intégrer les personnes LGBT dans la société. Vu ainsi, les couleurs LGBT font partie du drapeau suisse.
Dans le cadre de cette polémique et dans un second tweet, vous avez tenu en quelque sorte à faire une mise au point. Je vous cite: «Le drapeau arc-en-ciel n’est pas symbole du mouvement "woke", auquel je m’oppose, mais de l’égalité des droits des personnes LGBT. Ne mélangeons pas tout et ne laissons pas les "wokistes" s’approprier les droits LGBT!» Pourquoi cette seconde intervention?
Parce qu’il y a eu un certain nombre de réactions qui témoignaient d’une confusion ou peut-être d’une volonté d’en créer une. D’abord un mot sur le «wokisme», ce courant venu des Etats-Unis et qui entend, pour aller vite, dicter de nouvelles conduites aux individus sur les questions de genre, de vocabulaire, d’écriture, d’histoire, etc.
Votre avis sur ce courant?
Selon moi, elles divisent la société, la ségrèguent, ce qui nous conduit au communautarisme. Ce n’est pas une vision de la société que je défends. Je m’inscris dans l’héritage des Lumières et dans une approche universelle des problèmes, ce qui est le propre du libéralisme et du parti auquel j’appartiens. Une pride, ce n’est pas la ségrégation. Une pride, c’est l’inclusion des minoritaires dans la société et non pas des discours d’exception avec des sortes de privilèges pour des catégories à part.
Et alors?
Alors, je dis aux Jeunes UDC qu’ils se trompent et je demande à discuter avec les tenants du bord opposé, qu’on l’appelle ou non wokisme. Car il y a là des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. En juin 2022, j’ai, par exemple, voté la motion Roduit, le conseiller national valaisan du Centre, qui demandait au Conseil fédéral de ne pas introduire le langage inclusif et ses mots en «-e-x-s» dans les documents de la Confédération. Il faut tenir compte des droits de certaines minorités mais ne pas changer de fond en comble la société pour autant, ni renier son passé. Je m’efforce de trouver une ligne raisonnable entre ceux qui veulent révolutionner la société et ceux qui rejettent tout en bloc. Ainsi, je suis favorable au langage épicène quand cela s’y prête. Cela ne me dérange pas de dire «les membres du Conseil national», ce qui inclut les hommes et les femmes, plutôt que «les conseillers nationaux et les conseillères nationales». On l’a fait ainsi dans la nouvelle Constitution neuchâteloise en 2000 déjà.
Avez-vous voté en 2021 la loi autorisant le changement de genre et de prénom dès l’âge de 16 ans sur simple déclaration à l’état civil, un texte passé pour ainsi dire comme une lettre à la poste?
Oui, je l’ai votée, comme une large majorité du parlement. Etonnamment, il est vrai que cela avait été peu débattu sur la place publique.
Regrettez-vous votre vote?
Non. Parce que je pense qu’on doit tenir compte des personnes trans ou intersexes qui ont des difficultés d’intégration. Si les procédures sont trop rigides à leur égard, elles peuvent alors connaître des situations extrêmement douloureuses sur un plan psychologique.
On peut transiger sur certains points, par exemple autoriser une personne se disant non-binaire à ne déclarer aucun sexe sur ses papiers officiels. Mais reconnaître un troisième sexe, c’est quelque chose que, scientifiquement et culturellement, je ne peux pas vraiment suivre.
Pourquoi?
Il faut faire attention à ce qu’une minorité n’impose pas une conception de la société, une manière de vivre à la majorité. Cela entraînerait des résistances et une fracturation du corps social. Ce n’est pas souhaitable.
Quelles conséquences tirez-vous de cela?
Restons sur la problématique LGBT, un sigle qui a en soi une dimension très englobante et c’est très bien. C’est pourquoi, à mon avis, il n’est pas nécessaire d’ajouter à la suite de ce sigle, qui se suffit à lui-même, toujours de nouvelles lettres, comme autant de petits bouts de communautés, porteuses, chacune, de droits spécifiques. Il faut bien sûr tenir compte du besoin d’égalité des individus et de leurs problématiques spécifiques, non pas parce qu’ils sont membres d’une communauté, mais parce qu’ils sont humains. Les droits de l’homme découlent de l’appartenance au genre humain et non pas à des communautés ou à des minorités.
On pourrait vous objecter que la Suisse est un pays particulièrement attaché à la protection des minorités, historiquement et d’abord les minorités linguistiques et religieuses. Celles faisant part aujourd’hui de leur volonté d’être reconnues et protégées ne doivent-elles pas être entendues aussi?
Oui, bien sûr. La société leur doit protection, mais en les intégrant, pas en leur accordant des privilèges qui les mettent à part de la société. Il s’agit de tenir compte de leurs besoins, ce faisant de trouver une règle valable pour tout le monde et qui les intègre. Par exemple, la minorité francophone n’a pas un droit spécifique que les Alémaniques n’ont pas. Cela n’existe pas. En revanche tous les Suisses peuvent s’adresser à l’administration fédérale dans leur langue nationale. Il est vrai que sur un plan religieux, certaines religions, pour des raisons historiques, mais pas dans tous les cantons, ont des avantages que d’autres n’ont pas.
Des voix proposent d’ores et déjà une modification de la loi sur le changement de genre pour éviter que certains y recourent par pur opportunisme, par exemple pour éviter de faire le service militaire?
Je ne suis pas certain qu’il faille amender cette loi. Je me méfie de la surlégifération. Accordons-nous du recul. Attendons plusieurs années avant une éventuelle révision. Ensuite, s’il y a des avantages liés à un sexe ou un autre, je suis favorable à ce qu’on les supprime. C’est pourquoi je suis favorable à un service nationale universel, comprenant les hommes et les femmes comme le demande une initiative qui récolte actuellement des signatures. Il n’y a pas de raison pour que les garçons doivent servir leur pays et pas les filles.
En vous impliquant dans la polémique suscitée par l’UDC fin juillet, aviez-vous en tête les élections fédérales d’octobre prochain ? Avez-vous pris la parole pour des raisons électoralistes?
C’est à vous de l’analyser. Mais ce n’est pas ma manière de fonctionner. Je n’ai d’ailleurs pas réagi lorsque la polémique a éclaté la première fois sur Twitter, c’était en allemand. Je suis intervenu lorsqu’elle a rebondi en français. Les Jeunes UDC montraient clairement leur intention de porter le fer sur cette question, je me suis dit qu’il était important de répliquer sur le fond.