Avec 22°C à Lausanne, 25°C à La Chaux-de-Fonds (située à 1000 mètres!) ou encore 27°C à Delémont ce lundi 2 octobre, on pouvait facilement se balader en t-shirt en Suisse romande. Et que dire de nos voisins français qui ont enregistré, lundi, 35°C à Bordeaux. Le météorologue de MétéoSuisse Mehdi Mattou nous explique pourquoi nous avons droit à un si long été indien et si on doit s'attendre à ce que ça continue.
Pourquoi fait-il aussi chaud en ce moment en Suisse?
Mehdi Mattou: Il y a deux raisons qui font qu'on a des températures un peu plus élevées que la norme en ce moment. Et il y a une différence entre les températures en plaine et en moyenne montagne (entre 1000 et 1500 mètres).
Avec des nuits plus longues et un ensoleillement moins généreux que pendant les mois d'été, on n'a bien sûr pas les mêmes températures, et heureusement! Mais malgré tout, ça chauffe, et ça chauffe plus qu'habituellement en cette saison où l'air serait un peu plus brassé.
Et l'autre raison?
L'autre clé des températures actuelles, c'est que l'air qui est dirigé en ce moment sur la Suisse arrive par un courant de sud-ouest, puisqu'on est légèrement sur le flanc occidental de cet anticyclone. Cet air remonte directement d'Afrique du Nord ou de la Méditerranée et est donc par nature plus chaud que l'air chez nous. Contrairement à des situations de bise plus communes chez nous en automne: un air qui vient du nord ou du nord-est et qui est beaucoup plus frais que l'air qui remonte actuellement depuis le nord du continent africain.
Et en moyenne montagne?
Là, c'est la subsidence des conditions anticycloniques qui entre en jeu: la descente de la masse d'air qui se fait au sein d'un système anticyclonique. Une masse d'air qui descend de cette manière va se réchauffer et s'assécher. C'est ce qui se passe en altitude.
De plus, en moyenne montagne, on n'a presque pas de différence de température entre la journée et la nuit. Ça s'explique par le fait qu'il n'y a pas le refroidissement nocturne qui a lieu en plaine en cette saison. Avec les nuits plus longues, on a ce qu'on appelle un lac d'air froid qui se forme près du sol – parce que, avec des nuits claires sans nuages, la température baisse par rayonnement et la terre se refroidit, et elle refroidit l'air qui est directement au-dessus d'elle.
Ce qui n'est pas le cas en altitude...
Ce refroidissement va se produire dans la première couche qui est vraiment proche du sol, donc c'est rare que cela aille au-delà de 1500 mètres d'altitude. Par conséquent, en altitude la température reste à peu près la même pendant la nuit que pendant la journée, alors qu'en plaine les températures connaissent une forte variation entre la journée et la nuit.
Bat-on des records de température en ce mois d'octobre?
Oui, les stations de moyenne montagne en Suisse romande – la Dôle, le Moléson, Evolène, le Grand-Saint-Bernard et le Chasseral – ont toutes battu des records de température mensuels ce dimanche 1er octobre. En parallèle de ces mesures-là, on a bien sûr aussi une altitude record pour l'isotherme du zéro degré mesuré à 4618 mètres, ce qui bat d'environ 60 mètres le record précédent datant d'octobre 1995.
Est-ce que ce phénomène va durer?
Je peux vous répondre à moyen terme, pour rester dans une prévision fiable. On va accuser une petite baisse de température de mardi à mercredi: une petite perturbation passera en marge nord de la Suisse, ce qui va causer un changement de masse d'air. Donc on va se retrouver dans de l'air un peu plus frais. Par contre, ce ne sera que temporaire. D'ici vendredi à samedi, on devrait avoir retrouvé des températures qui approcheront au moins les 20 degrés, voire plus, en plaine. Cela sera moins impressionnant que ces derniers temps mais ça restera anormalement doux pour la saison.
A ce propos, quelles sont les normes saisonnières en plaine?
A Genève par exemple, la norme pour la température maximale journalière un 1er octobre, c'est 18°C. Dans la région de Neuchâtel, on est aux alentours de 16°C, vers Delémont, on est entre 15 et 17°C, et à Sion, on est à 18,8°C. Par contre, en moyenne montagne, par exemple au Moléson, c'est 9,9°C, et à la Dôle, c'est 11°C.
Est-ce qu'on doit s'inquiéter de tels écarts de température?
Je dirais qu'il ne faut peut-être pas s'en inquiéter mais peut-être s'en accommoder. Ce n'est pas directement lié au changement climatique. On est à l'intérieur de variations météorologiques saisonnières qui peuvent se passer dans un contexte qui n'est pas forcément celui du changement climatique. Mais ce qui est sûr, c'est qu'avec des températures moyennes qui sont à la hausse à l'année sur tout le globe, avoir des températures plus élevées va devenir notre quotidien.
Est-ce à cause du dérèglement climatique?
Si ce phénomène précis que nous sommes en train de vivre n'est pas directement lié au réchauffement climatique, le fait de vivre dans des conditions plus chaudes, comme c'est le cas en ce moment même, c'est ce qui nous attend à partir de maintenant. Donc il faut s'en accommoder.
Il y a aussi des records impressionnants du côté de nos voisins français, avec notamment 35°C à Bordeaux. Là aussi, c'est du jamais-vu? Comment l'expliquer?
Jusqu'à maintenant, ils avaient un record au-dessus de 35°C pour le mois d'octobre qui avait été mesuré en Corse. C'est la première fois qu'ils enregistrent de telles températures sur le continent pour le mois d'octobre. Donc, oui, c'est du jamais-vu. L'explication est la même que pour la Suisse: les conditions anticycloniques et la remontée d'air chaud du sud-ouest expliquent entièrement ces températures.
Et pourtant, aucun lien direct avec le réchauffement climatique?
Je préfère être scientifiquement complet et honnête et répondre: non, il ne faut pas faire des liens tout le temps et partout. Ce que l'on est en train de vivre, c'est un phénomène météo. Le fait que l'on se retrouve avec un anticyclone, c'est un phénomène qui peut s'installer pour un, deux, trois jours ou une semaine. On ne peut pas prouver, en tout cas aujourd'hui, qu'il y ait un lien quelconque entre ces conditions anticycloniques persistantes et l'évolution de notre climat sous la main de l'Homme. Par contre, comme je le disais, de manière générale, dans un climat qui est plus chaud, les anomalies de température seront elles aussi plus chaudes.
Mais le fait qu'on vive dans une ère plus chaude est lié au réchauffement climatique, non?
Absolument. Le fait qu'on vive des années plus chaudes les unes après les autres montre une tendance nette de réchauffement de la température moyenne sur Terre. C'est quelque chose d'établi aujourd'hui: la température moyenne augmente progressivement et c'est lié en très grande partie au relâchement des gaz à effet de serre dans l'atmosphère par l'être humain. Pour autant, cela ne nous empêche pas d'avoir un hiver froid ou un automne chaud, mais l'hiver sera un petit peu moins froid qu'il ne l'était auparavant et l'automne un petit peu plus chaud.