La facture d'électricité s'annonce particulièrement salée en 2024. Une hausse de 18% (valeur médiane) pour les ménages, avec d'importantes disparités selon les distributeurs. C'est ce qu'a annoncé mardi la Commission fédérale de l'électricité, le gendarme de ce secteur hautement stratégique. Sa vice-présidente, Laurianne Altwegg, par ailleurs responsable de l'environnement et de l'énergie à la Fédération romande des consommateurs, a répondu aux questions de watson. On veut comprendre le pourquoi du comment. Voici les explications.
Comment est structurée la distribution de l’électricité en Suisse?
Contrairement à nos voisins européens, le marché est partiellement libéralisé. Deux systèmes cohabitent. Ainsi, plus de 600 gestionnaires de réseau de distribution (GRD) approvisionnement directement les clients captifs, c’est-à-dire l’ensemble des ménages et toutes les PME qui consomment jusqu’à 100 000 kWh par année et ne peuvent pas choisir librement leur fournisseur. Le marché est en revanche libéralisé pour les clients consommant plus de 100 000 kWh par an. Il s’agit de certaines entreprises et collectivités publiques qui sont libres de rester dans l’approvisionnement de base ou de conclure des contrats sur le marché, en Suisse ou à l’étranger.
Pourquoi y a-t-il autant de GRD en Suisse?
C’est un héritage de la manière dont s’est construit le réseau électrique en Suisse et cela tient au fait que ce sont plutôt les collectivités publiques, communes en têtes, qui étaient chargées de distribuer les énergies à la population, que ce soit l’eau, le gaz ou l’électricité. Il y a quelques années de cela, le nombre de GRD était bien plus élevé. Quand la loi sur l’approvisionnement en électricité, la LApEl, est entrée en vigueur en 2008, il y en avait plus de 800. Au gré des fusions de communes et de réorganisations régionales, leur nombre a diminué.
Quelles sont les caractéristiques de ces entreprises?
Les profils de ces entreprises sont très différents: leur taille et celle des régions où elles sont actives varient énormément. Le nombre de clients desservis va de moins de 100 à plus de 350 000. En revanche aucune – à l’exception de la société nationale du réseau de transport Swissgrid – n’est active au niveau international et peu traversent même les frontières cantonales. Une caractéristique notable est que la grande majorité est en main publique et seules 24% sont des sociétés anonymes. Très peu sont cotées en bourse.
Pourquoi les tarifs augmentent-ils en 2024 alors que les prix sur le marché de gros ont baissé?
Côté énergie, la hausse est en partie due à un report des prix élevés de l’année dernière sur le marché européen. Il se peut aussi que certaines entreprises qui attribuaient leur production propre aux clients captifs au prix de revient – donc en dessous des prix du marché actuels – l’intègrent désormais différemment dans leurs tarifs. La loi les y autorise. Côté réseau, celui-ci intégrera dès 2024 les coûts de la réserve mise en place pour pallier une éventuelle pénurie en hiver et le taux d’intérêt sur le capital immobilisé dans le réseau augmentera également. Il y a finalement aussi des coûts supplémentaires liés à l’équilibrage du réseau de transport d’électricité.
Ceux qui se trouvent sur le marché libre peuvent-ils changer de fournisseur d’un jour à l’autre, si l’on peut dire?
Ils sont tenus par un contrat, qui peut être à plus ou moins long terme. Beaucoup restent liés à leur GRD local, mais signent avec lui un contrat de marché. C’est à lui que revient alors la tâche de négocier sur le marché.
Ce libre choix sur le marché européen est-il nécessairement la garantie de trouver des prix bas disponibles?
Jusqu’à récemment, les prix sur le marché de gros étaient plus intéressants que ceux payés par les clients sous monopole. Mais la situation s’est inversée l’année dernière.
Quel est le montant moyen de la facture d’électricité pour un ménage?
La Commission fédérale de l’électricité (ElCom) a justement publié mardi 5 septembre les tarifs 2024 pour les clients captifs. En agrégeant les données livrées par les 600 GRD au 31 août – comme l’exige la loi –, elle a calculé que le tarif médian se monterait, l’année prochaine, à 32,14 centimes par kWh pour un ménage moyen (consommation annuelle de 4500 kWh). Cela représente une hausse de 18% par rapport à 2023.
C’est une vraie rupture d’égalité entre les Suisses, non?
Oui, des inégalités qu’on retrouve dans le cas des impôts ou de l’assurance maladie. Sauf qu’avec l’électricité, c’est encore plus morcelé.
Qu’est-ce qui fait que le prix de l’électricité est plus cher à un endroit qu’à un autre?
Chaque GRD a un profil particulier, que ce soit par rapport à son réseau ou à sa stratégie d’approvisionnement en énergie. Côté réseau, les coûts que doivent assumer ces entreprises ne sont pas comparables, par exemple si celui-ci se situe en zone urbaine ou en montagne. Côté énergie, certaines entreprises produisent une partie de leur courant alors que d’autres s’approvisionnent exclusivement ou presque sur le marché. Et là encore, les stratégies d’acquisition divergent. A cela viennent encore s’ajouter des redevances votées par les communes ou les cantons qui renchérissent les tarifs localement. Tout cela rend le prix de l’énergie variable d’un GRD à l’autre.
Est-ce que, comme dans le cas des caisses maladie, où il apparaît qu’une large majorité de Suisses sont favorables à une caisse unique selon un sondage watson, on constate une demande pour un marché unique? Est-ce que la gauche en Suisse pousse à cela, comme elle fait avec la caisse unique?
Avec l’électricité, nous sommes dans une configuration différente. Les gestionnaires de réseau de distribution sont des acteurs historiques. De plus, la distribution de l’électricité, notamment via les services industriels des communes, est plus vue comme un service public que comme une prestation remplie par un privé.
On s’achemine clairement en Suisse vers une diminution accrue du pouvoir d’achat, compte tenu des hausses annoncées des primes maladie et des tarifs de l’électricité.
Complètement. A ce propos s’est tenu mardi le sommet du pouvoir d’achat organisé par le Surveillant des prix, auquel ont pris part toutes les associations de protection des consommateurs. Il a été demandé que des mesures concrètes soient prises pour soutenir ces derniers. Car non seulement les prix augmentent, mais la TVA aussi à partir de 2024.