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Neutralité: «La Suisse risque de devenir un Etat paria»

Interview

«A cause de la neutralité, la Suisse risque de devenir un Etat paria»

HANDOUT - Das offizielle Bundesratsfoto 2023 mit Bundeskanzler Walter Thurnherr und den Bundesraeten Albert Roesti, Ignazio Cassis, Viola Amherd, Alain Berset, Guy Parmelin, Karin Keller Sutter und El ...
Le conseil fédéral avec au centre Viola Amherd, ministre de la Défense et Alain Berset, président de le Confédération.Image: BUNDESKANZLEI
Ex-commandant de la police cantonale de Bâle-Ville, Markus Mohler, expert en droit public, affirme que la neutralité suisse est une aberration et un danger dans sa forme actuelle.
07.05.2023, 16:2907.05.2023, 18:44
Henry Habegger / ch media
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Lors de sa rencontre avec le chancelier allemand Olaf Scholz, le président de la Confédération, Alain Berset, a déclaré que la neutralité interdisait à la Suisse de soutenir militairement un camp dans la guerre en Ukraine. Est-ce le cas?
Non. Il s'appuie ici sur une définition extrême et vide de sens de la neutralité, défendue par une partie des spécialistes du droit international.

«Le Conseil fédéral se réfugie abusivement derrière cette conception restrictive»

Qui est celle d'Oliver Diggelmann, un spécialiste du droit international, qui a récemment affirmé dans le quotidien alémanique Neue Zürcher Zeitung: «La neutralité en droit international ne permet de marge de manœuvre que lorsqu'il s'agit d'aider les victimes avec des moyens civils.» Il soutient que la neutralité, c'est-à-dire la non-implication du pays neutre, s'applique aussi lorsque l'agresseur tue des civils ou pratique la torture au cours d'un conflit. Dire des choses pareilles est inimaginable. Je suis convaincu que même les partisans de la neutralité rejettent cette vision. Sinon, pourquoi la Suisse aurait-elle ratifié une convention contre la torture, les accords interdisant les armes chimiques et biologiques, ainsi que les accords de Genève de 1949?

N'est-ce pas là l'amer revers de la neutralité?
Non. Les juristes internationaux comme le professeur Oliver Diggelmann ne veulent pas reconnaître que la Charte de l'ONU de 1945, dans son article 103, abroge les dispositions sur la neutralité des Conventions de La Haye de 1907. Elles sont dépassées! Une disposition de la Convention de Vienne sur le droit des traités aboutit au même résultat.

«En matière de droit de la neutralité, le Conseil fédéral se fourvoie complètement»
Markus Mohler, expert en droit public.
Markus Mohler, expert en droit public.dr

C'est-à-dire?
La Charte de l'ONU contient une disposition qui interdit la menace et l'usage de la force. A l'inverse, elle stipule le droit d'autodéfense collective du pays victime d'une agression. Cela signifie que tous les autres pays peuvent l'aider à se défendre. Cela va dans le sens de la promotion de la paix et de la sécurité, l'un des buts premiers de l'Organisation des Nations unies.

Et cela vaut aussi pour la Suisse, qui est neutre?
Bien sûr. Aider et soutenir un pays victime d'une agression n'est pas une violation de la neutralité. Cela se vérifie dans le cas des sanctions: la Suisse adopte les sanctions décidées par le Conseil de sécurité. On ne peut pas traiter également l'agresseur et l'agressé.

Du point de vue du droit de la neutralité, la Suisse peut donc fournir des armes à l'Ukraine?
Oui, selon le principe de solidarité que la Suisse ne cesse d'invoquer. Que devient cette solidarité si l'on ne fait rien? A l'inverse, se tenir passivement à l'écart d'une guerre d'agression peut justement porter atteinte à cette neutralité. Le refus d'accorder une autorisation de réexportation, en l'occurrence vers l'Allemagne, de matériel de guerre acheté en Suisse, comme les munitions DCA, renforce l'impact des frappes aériennes russes et donc la commission des pires crimes de guerre. Cela affaiblit la défense de l'Ukraine.

«La neutralité n'est pas synonyme de passivité, de rester assis sans rien faire»

Que dit la Constitution fédérale à ce sujet?
Il y est dit que la Suisse s'engage en faveur d'un «ordre international juste et pacifique». Dans la Constitution fédérale, la Suisse s'engage «à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté dans le monde, à promouvoir le respect des droits de l'homme et la démocratie, à favoriser la coexistence pacifique des peuples et à préserver les ressources naturelles». Sans oublier le respect du droit international. Dans ce cas de figure, le Conseil fédéral se comporte donc de manière anticonstitutionnelle.

Mais le Conseil fédéral n'a-t-il pas raison lorsqu'il dit que la loi actuelle sur le matériel de guerre s'oppose aux livraisons d'armes?
Oui. Actuellement, l'interdiction stricte d'exporter directement ou indirectement du matériel de guerre est due à la modification de la loi empêchant les exportations d'armes vers les pays en guerre civile. Cette modification s'avère être un échec total. Le droit ne permet plus, comme auparavant, des autorisations exceptionnelles de livraisons d'armes. Le législateur a ignoré le fait qu'un pays puisse être «impliqué dans un conflit armé» à la suite d'une guerre d'agression menée par un autre pays en violation du droit international. Ce qui est arrivé à l'Ukraine. Elle n'est pas un pays en guerre civile.

Que faudrait-il changer dans le droit suisse?

«Il faudrait une disposition dans la loi qui stipule que les exportations directes ou indirectes de matériel de guerre sont autorisées à condition qu'elles soient utilisées pour la défense armée d'un pays victime d'une agression contraire au droit international»

Ignazio Cassis, en charge des Affaires étrangères, a récemment voulu introduire la notion de «neutralité coopérative». Qu'en pensez-vous?
Les adjectifs accolés à la «neutralité» sont révélateurs. On prend ce qui convient: de «perpétuel» à «interprétation au cas par cas», en passant par «permanent», «flexible», «dynamique» ou encore «coopérative». On ne voit pas en quoi l'interprétation actuelle de la neutralité est coopérative. Le président de la Confédération Alain Berset a parlé d'une frénésie guerrière puis, presque dans la même foulée, du «noyau de la neutralité». Il n'a pas précisé ce qu'il entendait par «noyau».

Pourquoi le Conseil fédéral est-il si réticent? A-t-il des motifs précis ou craint-il simplement le débat?

«La neutralité est passée du statut de mythe à celui d'une sorte de religion de substitution»

On «croit» à la neutralité alors qu'elle a perdu toutes les fonctions qui lui étaient initialement attribuées en termes de législation. Le Conseil fédéral hésite à l'expliquer clairement et se laisse entraîner par les fondamentalistes de la neutralité.

L'initiative de l'UDC sur la neutralité permet-elle au moins de clarifier la situation?
Celle-ci est justement extrêmement dangereuse du point de vue de la politique et du droit de l'Etat. La neutralité radicale qu'elle stipule place la Suisse directement en dehors de toute une série d'obligations de droit international. Si l'initiative passe, la Suisse serait, selon la situation, massivement mise sous pression politique et économique ou considérée comme paria. L'initiative est également anticonstitutionnelle, car elle entraînerait des oppositions irréductibles avec les autres dispositions constitutionnelles mentionnées précédemment.

Quelles sont les conséquences pour la Suisse elle-même si elle persiste dans la voie d'une neutralité «vide de sens», comme vous dites?

«Ne pas corriger l'actuelle conception de la neutralité suisse, c'est la placer au-dessus du droit international. Et c'est plus que dangereux»

Poutine aussi place ses revendications au-dessus du droit international. Sans le voir venir, nous pourrions nous retrouver catégorisés dans un certain groupe d'Etats. De plus, la référence à la neutralité, rabâchée encore et encore, empêche l'élaboration d'une politique étrangère cohérente et respectée à l'international.

Quelles sont les conséquences de la neutralité suisse, dans sa forme actuelle, sur la sécurité et sur l'industrie d'armement en Suisse?
Si les interdictions de réexportation de matériel de guerre ne sont pas immédiatement levées, du moins à l'égard d'Etats de droit auxquels on peut faire confiance, aucun pays de l'Otan n'achètera plus de matériel de guerre à la Suisse. Les Etats de l'Otan ne pourraient en effet plus remplir leur obligation de soutien mutuel avec un matériel militaire suisse qui ne servirait dès lors à rien. Notre industrie d'armement n'y survivrait pas, avec des conséquences dramatiques pour l'équipement de l'armée suisse. Nous serions contraints d'acheter tous les biens d'armement à l'étranger. Et nous serions encore plus exposés au chantage politique.

Dans quel type de conflit la Suisse peut-elle être encore neutre?

«Je n'en vois aucun»

Que voulez-vous dire?
Les conflits armés auxquels nous assistons dépassent toutes les notions de «guerre» utilisées jusqu'à présent. On ne sait plus très bien ce qu'est un conflit armé, international ou non. Pensez à la Libye, à la Syrie ou au Yémen. D'une part, il s'agit de «guerres par procuration», d'autre part, des éléments de type terroriste, comme le groupe Wagner, sont utilisés par des Etats ou agissent de manière autonome, à l'image de l'Etat islamique, afin d'atteindre leurs objectifs de politique de puissance de manière impitoyable.

Cette révision de la neutralité que vous appelez de vos vœux s'appliquerait-elle aussi aux dictatures?
La problématique de pays comme l'Afghanistan, l'Iran, la Birmanie ou la Corée du Nord ne peut de toute façon pas être abordée avec des critères de droit de la neutralité, mais seulement avec une politique étrangère beaucoup plus large, qui s'appuie entre autres sur les dispositions constitutionnelles mentionnées, notamment aussi sur la protection des droits de l'homme.

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