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Islam: l'IESH interdit en France avait des connexions en Suisse

(FILES) Students attend a Koran study class at the European Institute of Social Sciences (Institut Europeen des Sciences Humaines, IESH) in Saint-Leger-de-Fougeret, central France on October 28, 2020. ...
IESH de Château-Chinon, 28 octobre 2020.Image: AFP

L'institut musulman interdit en France avait des connexions en Suisse

La mosquée de Prilly, près de Lausanne, a invité ces dernières années au moins trois conférenciers formés à l'institut musulman de Château-Chinon, en France, dissout début septembre pour ses liens présumés avec l'«islam radical». Au sein de l'UVAM, l'association musulmane faîtière vaudoise, la gêne est palpable.
16.09.2025, 18:5617.09.2025, 10:01

Le 3 septembre, le gouvernement français annonçait avec gravité la dissolution de l'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon, en France. Fondé en 1990 par des membres en exil de la mouvance des Frères musulmans, il lui est reproché des incitations à la haine, ainsi que des «agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger».

Le dossier d'accusation est lourd. Sans doute sera-t-il contesté sur chaque point par les responsables de l'IESH, dont son désormais ex-directeur, le Franco-Tunisien et résident du canton de Neuchâtel Mohamed Karmous, l'ex-président fondateur de la Ligue des musulmans de Suisse (LMS), réputée proche des Frères musulmans.

Dans cette affaire, on découvre ou redécouvre que l'IESH de Château-Chinon, dans le département bourguignon de la Nièvre, avait des liens avec la Suisse. Ne serait-ce que par son directeur, avant cela son trésorier, qui avait mené plusieurs projets de construction d'infrastructures musulmanes en territoire helvétique dans les années 2010 grâce à l'argent du Qatar.

Des précédents «sulfureux»

Mais l'IESH était avant tout un institut de formation en présentiel et à distance s'adressant à des centaines d'«étudiants», certains se destinant à l'imamat. Parmi les personnes passées par l'IESH de Château-Chinon, certaines sont venues prêcher ou donner des conférences dans des mosquées de Suisse romande.

Le nom du Complexe culturel musulman de Lausanne à Prilly (CCLM), autrement dit la mosquée de Prilly, refait ici surface, après avoir été cité en 2021 suite à l'accueil de «prédicateurs sulfureux», comme l'écrivait à l'époque le quotidien vaudois 24 Heures.

Trois autres conférenciers

A Prilly, le CCLM partage la même adresse avec l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM), dont il est l'une des branches, et la Ligue des musulmans de Suisse fondée en 1997 par Mohamed Karmous.

Entre 2022 et 2025, le CCLM a accueilli au moins trois prédicateurs ayant rempli des fonctions à l’IESH de Château-Chinon ou y ayant reçu une formation, a constaté watson. Les motifs qui ont présidé à la dissolution de cet institut ne préjugent en rien des propos tenus par ces visiteurs lors de leur passage à la mosquée de Prilly. Reste le profil idéologique.

«L'IESH l'a complètement matrixé»

Parmi ces intervenants, le Franco-Tunisien Moncef Zenati, un cadre important de l'IESH nivernais. Il est venu en mars 2022 donner une conférence au CCLM, dont nous n'avons pas retrouvé l’intitulé. Joint par watson, un ancien islamiste français qui a bien connu Moncef Zenati nous dit quelques mots à son propos:

«C’était un jeune homme très ouvert dans les années 1990. Sa fréquentation de l’IESH de Château-Chinon l’a complètement matrixé. Francophone et arabophone, il a traduit, à destination des élèves de l’IESH, "Les 20 principes pour comprendre l’islam", de Hassan al-Banna.»
Un ancien islamiste français, aujourd'hui repenti

Deux autres conférenciers

L’Egyptien Hassan al-Banna est à l’origine, en 1928, de la confrérie des Frères musulmans et de la diffusion de l’idéologie islamiste à travers le monde – les Genevois Hani et Tariq Ramadan sont ses petits-fils. Apparu comme un concurrent et opposant à l'Occident, cet islamisme considère que rien de la vie d'un individu n'échappe à la règle politico-religieuse.

Ces dernières années et derniers mois, deux autres prêcheurs passés ou ayant joué un rôle à l’IESH de Château-Chinon ont donné des conférences au CCLM (bien moins connus que Moncef Zenati, nous tairons leur nom). Dans l'une des interventions de l'un d'eux à la mosquée de Prilly, il était rappelé aux fidèles l'importance des liens qui les unissent à la «sunna», la tradition prophétique, censée encadrer, avec le Coran, la vie des musulmans dans ses moindres détails.

L'UVAM «pas concernée»

Au moment de la publication du présent article, le CCML n'avait pas donné suite à nos questions sur ses liens éventuels avec l'IESH dissous de Château-Chinon. De son côté, l'UVAM, qui chapeaute le CCML et qui a déposé une demande auprès de l'Etat de Vaud pour être reconnue d'utilité publique au même titre que les cultes protestant, catholique et juif, donne l'impression de ne pas vouloir se mêler des affaires de la mosquée.

Les personnes de l'association faîtière à qui nous avons parlé par téléphone ne souhaitent pas voir leur nom publié dans la presse. Voici cependant la prise de position envoyée par e-mail par l'UVAM au sujet l'IESH de Château-Chinon:

  1. «L‘UVAM n’a pas de lien avec l’IESH. L’UVAM est uniquement active en Suisse et n’a pas de lien avec des instituts étrangers. Concernant les associations membres, il convient de contacter les responsables respectifs.»
  2. «Nos associations membres sont indépendantes dans leur gestion et activités.»
  3. «L’UVAM n’entretient aucun lien avec la Ligue des musulmans suisses. L’UVAM n’est membre que d’une seule et unique fédération, à savoir la Fédération des Organisations Islamiques de Suisse.»
  4. «⁠Faute de lien quelconque avec l'IESH, l’UVAM n’est pas concernée.»
Procédure en cours
L'UVAM et son homologue alémanique la VIOZ ont une procédure pendante devant la justice zurichoise suite à une interview de la chercheuse sur l’islamisme Saida Keller-Messahli parue en avril 2024 dans Le Matin Dimanche. L’UVAM et la VIOZ s’estiment diffamées. Cette dernière reprochait notamment à l’UVAM «de compter au moins une personnalité au profil islamiste dans sa direction», un ancien du Front islamique du salut algérien.

Dans une affaire connexe engagée contre Saida Keller-Messahli par un membre de l’UVAM, pour diffamation également, le tribunal de Zurich vient de blanchir la militante engagée contre l’islamisme.

«Notre fondation n'a pas de liens avec l'IESH»

Nous avons constaté par ailleurs que l’un des conférenciers invités par le CCLM et formés à l’IESH de Château-Chinon est membre de la QFS, la Quran for Soul, une fondation établie à Genève qui «édite et distribue dans toutes les formes et langues utiles les textes authentiques du culte musulman». Joint par SMS, l'intéressé confirme avoir reçu une formation à l'IESH de Château-Chinon, mais précise qu'il n'a «plus de liens avec cet établissement depuis plusieurs années». Sur le site de l'institut, il apparaît en 2021 avec le titre de «cheikh», assurant des heures d'explication d'un texte religieux auprès des «étudiants».

Le directeur de la fondation Quran for Soul est l’avocat d’origine tunisienne Ridha Ajmi, par ailleurs président de l’Association des musulmans de Fribourg (AMF). Nous l’avons contacté par e-mail au sujet du membre en question. Voici ses explications:

«La fondation QFS est présente de longue date à Genève et son activité est différente de celle de l'association française (réd: l'IESH de Château-Chinon). Ce monsieur (le membre de QFS passé par l'IESH de Château-Chinon) est membre du conseil de fondation de QFS depuis le 15 avril 2025 et nous traitons avec lui à titre personnel. Il est un citoyen suisse et selon nos informations il était étudiant à l'IESH. Qu'il étudie en France ou en Suisse, cela ressort de sa sphère privée et ne nous regarde pas. QFS n'a absolument pas de liens ni d'activités avec l'IESH.»
Ridha Ajmi

Un membre d'une autre IESH lié à une association suisse

Un autre IESH, basé, lui, à Paris-Saint-Denis, est également cité dans le rapport de police français. Contrairement à celui de Château-Chinon, il n’a pas été dissous, mais, note Le Figaro, «en 2019, l’IESH dionysien était qualifié de "clairement frériste" par le renseignement, et la préfecture fermait ses locaux pour six mois officiellement pour des questions de sécurité. L’année suivante, la justice ouvrait une enquête préliminaire sur ses finances et, en 2024, un de ses responsables "s’auto-expulsait" en Tunisie.»

Sur le site de l'association suisse Alameen spécialisée dans la récitation du Coran, un homme est présenté comme «sponsor pédagogique». En cliquant sur le nom de ce dernier, on arrive sur sa page Instagram, où il est indiqué qu'il est «récitateur et professeur des 10 lectures à l’IESH de Paris-Saint-Denis».

Contactée, l'association renvoie vers son avocat, Me Ridha Ajmi, le président de l'Association des musulmans de Fribourg et visiblement parent du directeur d'Alameen. Questionné lundi déjà au sujet du «sponsor pédagogique», Me Ajmi affirme:

«Vous vous trompez certainement de personne. Attention trop de gens musulmans peuvent s'appeler ainsi (réd: le nom de cette personne)! Alameen est une association de jeunes Suisses tous nés en Suisse et s'adresse à un public suisse; elle n'a aucun lien avec la France ni avec l'IESH.»
Ridha Ajmi

Cette association devait intervenir à l'Uni de Genève

C’est notamment sous le patronage de l’association Alameen que devait avoir lieu un concours de récitation de sourates coraniques en avril dernier à l’Université de Genève (Unige), à l’initiative de l’Association musulmane des étudiants de l’Université de Genève (AMEUG). Averti de cette manifestation, le rectorat de l’Unige l’avait interdite pour non conformité avec la loi genevoise sur la laïcité.

Alors qu'en France les renseignements surveillent de près les associations cultuelles de rite musulman, qu'en est-il en Suisse? Spécialiste des mouvements radicaux, Frédéric Esposito, chargé de cours au Global Studies Institute de l’Unige, rappelle «la tradition libérale de la Suisse en la matière».

«Une grande liberté est laissée aux acteurs du culte, pour autant que la loi n'est ni menacée ni enfreinte»
Frédéric Esposito

L'expert précise toutefois: «Il est bien évident que certains lieux de culte font l'objet de mesures de surveillance.»

- Jasmine Cammarota - Béjart Ballet Lausanne
Video: watson
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