Suisse
Israël

Israël-Gaza: un rapport des socialistes genevois indigne

epa11882164 Palestinian fighters from Hamas's Izz ad-Din al-Qassam Brigades escort Israeli hostages Ohad Ben-Ami, Or Levi and Eli Sharabi (pictured) onto the stage before handing them over to a R ...
Remise d'otages israéliens à Gaza, ici Eli Sharabi.Image: EPA

Un rapport du PS genevois indigne

Le Parti socialiste genevois a rédigé un «papier de position» sur le conflit israélo-palestinien. Adopté à l'unanimité en assemblée générale, il n'en suscite pas moins une forte désapprobation parmi ses membres et ailleurs. Enquête.
27.02.2025, 05:3104.03.2025, 07:48
Plus de «Suisse»

Le but était de faire la paix au sein du Parti socialiste genevois (PSG) sur la brûlante question israélo-palestinienne. Cette adhérente pense que c’est raté. «Le texte fige encore plus des fronts déjà béants», estime-t-elle. Elle fait référence au papier de position du PSG sur «le conflit israélo-palestinien, la guerre à Gaza et l’occupation israélienne», adopté à l’unanimité le 12 février par une cinquantaine de personnes réunies en assemblée générale et rendu public neuf jours plus tard.

«Les membres du PSG opposés à ce papier de position n’étaient pas présents à l'assemblée générale et la pression du groupe peut expliquer l’unanimité constatée le jour de son adoption»
Un militant

Membre du PSG, la Franco-Suisse Halima Delimi, candidate du Parti socialiste à l’Assemblée nationale française en 2024 sous l’étiquette Nouveau Front populaire, n’est pas satisfaite de ce rapport de neuf pages, censé donner la position du PSG sur un épineux dossier.

«A mon sens, ce papier de position manque de nuance, il est empreint d’une sémantique qui peut blesser»
Halima Delimi

«Il fait plaisir aux soutiens de la Palestine, mais il peut heurter ceux qui, comme moi, tout en soutenant le droit des Palestiniens à avoir un Etat, pensent qu’on ne peut pas aborder les choses avec une sorte de fausse candeur, poursuit Halima Delimi. Ce papier de position a quelque chose de puéril qui risque d’alimenter l’antisémitisme alors que ce n’est pas le but recherché.»

L'aspect d'un réquisitoire

S’appuyant sur le droit international, le papier de position du PSG a plus l'aspect d'un réquisitoire contre Israël et son gouvernement que celui d'un appel aux parties arabes et juives à travailler ensemble pour la paix. Il a quelque chose d’une redite des déclarations de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice visant des dirigeants israéliens. Il soutient les appels au boycott contre Israël, invite le Conseil d'Etat genevois et le Conseil fédéral à s’y joindre, tout en souhaitant en exempter ceux qui, dans l’Etat hébreu, «dénoncent l'occupation, la colonisation et l'apartheid dans les territoires occupés».

Sur la définition de l'antisémitisme, le papier de position du PSG se réfère à la «déclaration de Jérusalem», avec renvoi vers un lien Internet pour les personnes qui voudraient savoir ce que dit cette déclaration. Celle-ci affirme en substance qu’il est antisémite de penser qu’il y aurait des juifs acceptables et d’autres qui ne le seraient pas, en fonction, par exemple, de l'opinion qu'ils ont du gouvernement israélien. La déclaration de Jérusalem reconnaît le droit des juifs à disposer d’un Etat en terre sainte, sans préjuger de la forme de cet Etat.

«Le blâme est mis entièrement sur Israël»

«La déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme me convient, mais j’aurais apprécié que les auteurs du papier de position l’explicitent», réagit Emmanuel Deonna, membre du PSG, double national Suisse et Israélien, candidat à l’élection au conseil municipal (législatif) de la Ville de Genève, le 23 mars.

Emmanuel Deonna, qui préside la commission «Migration et Genève internationale» au sein du PSG, n’a pas pris part aux travaux de rédaction du papier de position. «J’ai apporté des propositions d’amendement qui n’ont malheureusement pas été retenues», affirme-t-il. Les deux co-animateurs de la commission spécialement constituée au PSG pour la rédaction du papier de position, Cyril Mizrahi et Sylvain Thévoz, démentent avoir reçu des amendements d'Emmanuel Deonna.

«Dans un passage en particulier, tout le blâme est mis sur Israël», ajoute ce dernier, connu pour son engagement dans le camp de la paix en Israël aux côtés des Palestiniens. «Ce rapport, pour tout dire, me pose problème et je ne suis de loin pas le seul à être dans ce cas, assure Emmanuel Deonna. Il manque de profondeur historique. Il est évasif sur la question de l’antisémitisme et il omet complètement la géopolitique du Moyen-Orient. Il n’y a rien sur les menaces qui pèsent sur Israël, de la part de l’Iran et, à l’époque, du Hezbollah, qui, rappelons-le, avait quand même obligé 100 000 Israéliens à se replier vers l’intérieur d’Israël.»

«Des femmes juives massacrées, violées»

Députée socialiste suppléante au Grand Conseil genevois, Oriana Brücker, tient à «saluer la démarche de conciliation entreprise par le parti sur la question sensible du conflit israélo-palestinien». Elle n'en est pas moins «déçue du résultat». «Je me suis engagée au Parti socialiste pour défendre les salariés et les femmes», dit en guise de préambule celle qui est issue d’une famille catholique.

«On ne peut pas rédiger un papier de position sur le conflit israélo-palestinien sans parler de toutes les femmes tuées et notamment des femmes juives massacrées, violées, enlevées le 7-Octobre par des terroristes du Hamas, un parti financé par l’Iran, un régime qui massacre ses femmes opposantes.»
Oriana Brücker

Le mot «massacre» est absent

Un point du papier de position a particulièrement heurté. Celui en lien avec les événements du 7-Octobre, justement. Il est écrit: «Le 7 octobre 2023, la branche armée du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens dans la bande de Gaza ont lancé une attaque hors de la barrière de séparation avec Israël.» Cette formulation ne parle pas de massacre, ni de groupe terroriste.

Certains au PSG déplorent une forme d'équivalence entre le Hamas et l’armée israélienne, ce que semble établir le papier de position, qui, se fiant au droit international, reconnaît aux Palestiniens occupés le droit à la résistance, pour peu que cette résistance, là encore, soit conforme au droit international. Citant les instances juridiques internationales, le papier de position du PSG qualifie l’«attaque» du 7-Octobre de «crime de guerre», retenant ce même qualificatif pour les bombardements israéliens sur Gaza.

«Oui, ce papier de position est légitime»

Co-animateur du comité de rédaction du papier de position du PSG, le député au Grand Conseil Sylvain Thévoz répond aux critiques.

«Sur la qualification des actes du Hamas le 7-Octobre, nous avons jugé pertinent de nous en tenir aux termes de la justice internationale, qui sont très forts en eux-mêmes. Sur le manque de profondeur historique et l’absence de mention de l’Iran, du Liban ou encore de la Syrie, le mandat donné portait sur le conflit israélo-palestinien, la guerre à Gaza et l'occupation israélienne. Il n’y avait pas la volonté de refaire l’histoire du Moyen-Orient, ni d’embrasser toute sa géopolitique. La volonté de notre commission était de rendre un travail dans un temps compté, et de circonscrire le propos, pour aller à l’essentiel.»
Sylvain Thévoz

Un papier de position s’imposait-il? La réponse de Sylvain Thévoz: «Oui, et la démarche est légitime. Parce que Genève est la capitale du multilatéralisme, parce qu’elle abrite de nombreuses ONG, parce qu’elle porte en elle le droit humanitaire et le droit international, parce qu’elle est le lieu de mobilisations en rapport avec la guerre à Gaza, comme on l’a constaté l’an dernier à l’Université de Genève. Ce conflit ne laisse personne indifférent. Il est normal pour un parti politique d'en débattre.»

Le président du Parti socialiste genevois, Thomas Wenger, estime que «ceux qui font aujourd’hui des reproches au papier de position ont eu, à plusieurs reprises, l’occasion de faire entendre leurs propositions.» Il ajoute:

«La commission était ouverte à tous les membres du parti, personne n’a été exclu au cours de l’avancée des travaux rédactionnels. Jusqu’à l’assemblée générale du 12 février, il a été possible de soumettre des amendements de nombreuses fois. Mais à présent que l’assemblée générale a approuvé ce document, il reflète notre position à une date donnée.»
Thomas Wenger

«Equilibré, approfondi mais certainement imparfait»

Est-il définitif? «Justement pas, répond le président du PSG. La situation évolue continuellement. Il pourra être suivi d’autres textes. Créée en juin 2024, la commission ad hoc Israël-Palestine reste en place. Si je devais qualifier notre papier de position sur le conflit israélo-palestinien, je dirais qu’il est équilibré, approfondi mais certainement imparfait, chacun pouvant estimer qu’il y manque quelque chose.»

Cyril Mizrahi est le second co-animateur du groupe de travail chargé d'élaborer le papier de position. Il apportait en quelque sorte la sensibilité juive face à Sylvain Thévoz, connu pour son engagement en faveur de la cause palestinienne.

«Je m’attendais à ce que des personnes cherchent la faille dans ce papier de position. Elles ont eu la possibilité de faire entendre leurs voix»
Cyril Mizrahi

Pour Cyril Mizrahi, «l’important, et nous y sommes arrivés, était que des gens se parlent et travaillent en commun dans un Parti socialiste genevois où différentes sensibilités existent sur le conflit israélo-palestinien». Il ajoute:

«Au PSG, certains ont des proches morts à Gaza, d’autres, des proches en souffrance en Israël. L’inquiétude est donc légitime de part et d’autre. Mais nous partageons également l’aspiration à une paix juste dans la région.»
Cyril Mizrahi

Les membres du PS mécontents de ce papier de position ont une vision moins positive du groupe de travail. Ils estiment qu’ils n’ont pas pu se faire entendre. De source interne, on apprend que le rapport aurait pu avoir une tonalité encore plus anti-israélienne: certains auraient cherché à légitimer l’antisionisme, autrement dit, à remettre en cause l'existence d’Israël comme Etat juif. «Cela n’aurait pas été accepté», fait-on comprendre.

«Israël-Palestine: gauche pour une paix juste»

En mai dernier, à l'époque des occupations d'universités en Suisse romande, des membres du PSG, dont Cyril Mizrahi, Halima Delimi et Emmanuel Deonna, avaient créé un groupe au sein du parti, «Israël-Palestine: gauche pour une paix juste». «Il s'agissait de faire entendre une autre voix à gauche, critique tant à l'égard du gouvernement israélien que des extrémistes palestiniens, le slogan estudiantin "From the river to the sea" nous apparaissant pour le moins ambigu», rappelle Cyril Mizrahi, à l'origine du groupe. Halima Delimi abonde:

«Nous pensons qu’il ne faut pas alimenter un discours binaire qui risque de nous mener dans un mur»
Halima Delimi

«C’est pourquoi, reprend la socialiste franco-suisse, avec notre groupe, nous travaillons à déconstruire les préjugés antisémites chez toute une partie de la jeunesse, qui trouve cool cet engagement parfois irréfléchi pour la Palestine et à qui il arrive de reproduire des clichés antisémites. Pour nous, l’enjeu de ce qui se passe au Proche-Orient est beaucoup en Suisse. Nous avons une responsabilité contre tous les racismes.»

Lettre au vitriol

Une lettre au vitriol dont watson a eu copie a été envoyée par mail à la direction du PSG comme à l'ensemble du parti. Signée d’une personne de confession juive, Michael Berker, un «syndicaliste profondément déçus par le PS genevois», elle reproche au PSG une «indignation à géométrie variable», un «mépris des victimes du 7 octobre, réduites à trois malheureuses allusions sur neuf pages», une «incapacité à reconnaître que le Hamas est le premier et unique responsable de la tragédie gazaouie».

«Tout cela fait de vous les traîtres de la gauche humaniste et universelle»
Michael Berker

Michael Berker dénonce encore des «relents LFIstes» dans le papier de position du PSG.

Le PSG souhaite de son côté que sa prise de position sur le conflit israélo-palestinien soit examinée et éventuellement reprise par la direction du Parti socialiste suisse. Emmanuel Deonna affirme que ce serait une mauvaise chose. Il entend mettre en garde ses camarades d’outre-Sarine contre ce rapport.

- Serhii, soldat ukrainien blessé aujourd'hui en Suisse
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
4 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
4
Un couple retrouvé mort en Suisse: un féminicide suspecté
Les autorités bernoises ont ouvert «une enquête d'envergure» après le décès d'une femme et de son mari à Lyss (BE).

Une femme a été retrouvée sans vie dimanche soir dans un établissement médico-social de Lyss (BE). La police, qui penche pour la piste de l'homicide, a activement recherché son mari et l'a retrouvé, lui aussi décédé, lundi.

L’article