Le but était de faire la paix au sein du Parti socialiste genevois (PSG) sur la brûlante question israélo-palestinienne. Cette adhérente pense que c’est raté. «Le texte fige encore plus des fronts déjà béants», estime-t-elle. Elle fait référence au papier de position du PSG sur «le conflit israélo-palestinien, la guerre à Gaza et l’occupation israélienne», adopté à l’unanimité le 12 février par une cinquantaine de personnes réunies en assemblée générale et rendu public neuf jours plus tard.
Membre du PSG, la Franco-Suisse Halima Delimi, candidate du Parti socialiste à l’Assemblée nationale française en 2024 sous l’étiquette Nouveau Front populaire, n’est pas satisfaite de ce rapport de neuf pages, censé donner la position du PSG sur un épineux dossier.
«Il fait plaisir aux soutiens de la Palestine, mais il peut heurter ceux qui, comme moi, tout en soutenant le droit des Palestiniens à avoir un Etat, pensent qu’on ne peut pas aborder les choses avec une sorte de fausse candeur, poursuit Halima Delimi. Ce papier de position a quelque chose de puéril qui risque d’alimenter l’antisémitisme alors que ce n’est pas le but recherché.»
S’appuyant sur le droit international, le papier de position du PSG a plus l'aspect d'un réquisitoire contre Israël et son gouvernement que celui d'un appel aux parties arabes et juives à travailler ensemble pour la paix. Il a quelque chose d’une redite des déclarations de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice visant des dirigeants israéliens. Il soutient les appels au boycott contre Israël, invite le Conseil d'Etat genevois et le Conseil fédéral à s’y joindre, tout en souhaitant en exempter ceux qui, dans l’Etat hébreu, «dénoncent l'occupation, la colonisation et l'apartheid dans les territoires occupés».
Sur la définition de l'antisémitisme, le papier de position du PSG se réfère à la «déclaration de Jérusalem», avec renvoi vers un lien Internet pour les personnes qui voudraient savoir ce que dit cette déclaration. Celle-ci affirme en substance qu’il est antisémite de penser qu’il y aurait des juifs acceptables et d’autres qui ne le seraient pas, en fonction, par exemple, de l'opinion qu'ils ont du gouvernement israélien. La déclaration de Jérusalem reconnaît le droit des juifs à disposer d’un Etat en terre sainte, sans préjuger de la forme de cet Etat.
«La déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme me convient, mais j’aurais apprécié que les auteurs du papier de position l’explicitent», réagit Emmanuel Deonna, membre du PSG, double national Suisse et Israélien, candidat à l’élection au conseil municipal (législatif) de la Ville de Genève, le 23 mars.
Emmanuel Deonna, qui préside la commission «Migration et Genève internationale» au sein du PSG, n’a pas pris part aux travaux de rédaction du papier de position. «J’ai apporté des propositions d’amendement qui n’ont malheureusement pas été retenues», affirme-t-il. Les deux co-animateurs de la commission spécialement constituée au PSG pour la rédaction du papier de position, Cyril Mizrahi et Sylvain Thévoz, démentent avoir reçu des amendements d'Emmanuel Deonna.
«Dans un passage en particulier, tout le blâme est mis sur Israël», ajoute ce dernier, connu pour son engagement dans le camp de la paix en Israël aux côtés des Palestiniens. «Ce rapport, pour tout dire, me pose problème et je ne suis de loin pas le seul à être dans ce cas, assure Emmanuel Deonna. Il manque de profondeur historique. Il est évasif sur la question de l’antisémitisme et il omet complètement la géopolitique du Moyen-Orient. Il n’y a rien sur les menaces qui pèsent sur Israël, de la part de l’Iran et, à l’époque, du Hezbollah, qui, rappelons-le, avait quand même obligé 100 000 Israéliens à se replier vers l’intérieur d’Israël.»
Députée socialiste suppléante au Grand Conseil genevois, Oriana Brücker, tient à «saluer la démarche de conciliation entreprise par le parti sur la question sensible du conflit israélo-palestinien». Elle n'en est pas moins «déçue du résultat». «Je me suis engagée au Parti socialiste pour défendre les salariés et les femmes», dit en guise de préambule celle qui est issue d’une famille catholique.
Un point du papier de position a particulièrement heurté. Celui en lien avec les événements du 7-Octobre, justement. Il est écrit: «Le 7 octobre 2023, la branche armée du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens dans la bande de Gaza ont lancé une attaque hors de la barrière de séparation avec Israël.» Cette formulation ne parle pas de massacre, ni de groupe terroriste.
Certains au PSG déplorent une forme d'équivalence entre le Hamas et l’armée israélienne, ce que semble établir le papier de position, qui, se fiant au droit international, reconnaît aux Palestiniens occupés le droit à la résistance, pour peu que cette résistance, là encore, soit conforme au droit international. Citant les instances juridiques internationales, le papier de position du PSG qualifie l’«attaque» du 7-Octobre de «crime de guerre», retenant ce même qualificatif pour les bombardements israéliens sur Gaza.
Co-animateur du comité de rédaction du papier de position du PSG, le député au Grand Conseil Sylvain Thévoz répond aux critiques.
Un papier de position s’imposait-il? La réponse de Sylvain Thévoz: «Oui, et la démarche est légitime. Parce que Genève est la capitale du multilatéralisme, parce qu’elle abrite de nombreuses ONG, parce qu’elle porte en elle le droit humanitaire et le droit international, parce qu’elle est le lieu de mobilisations en rapport avec la guerre à Gaza, comme on l’a constaté l’an dernier à l’Université de Genève. Ce conflit ne laisse personne indifférent. Il est normal pour un parti politique d'en débattre.»
Le président du Parti socialiste genevois, Thomas Wenger, estime que «ceux qui font aujourd’hui des reproches au papier de position ont eu, à plusieurs reprises, l’occasion de faire entendre leurs propositions.» Il ajoute:
Est-il définitif? «Justement pas, répond le président du PSG. La situation évolue continuellement. Il pourra être suivi d’autres textes. Créée en juin 2024, la commission ad hoc Israël-Palestine reste en place. Si je devais qualifier notre papier de position sur le conflit israélo-palestinien, je dirais qu’il est équilibré, approfondi mais certainement imparfait, chacun pouvant estimer qu’il y manque quelque chose.»
Cyril Mizrahi est le second co-animateur du groupe de travail chargé d'élaborer le papier de position. Il apportait en quelque sorte la sensibilité juive face à Sylvain Thévoz, connu pour son engagement en faveur de la cause palestinienne.
Pour Cyril Mizrahi, «l’important, et nous y sommes arrivés, était que des gens se parlent et travaillent en commun dans un Parti socialiste genevois où différentes sensibilités existent sur le conflit israélo-palestinien». Il ajoute:
Les membres du PS mécontents de ce papier de position ont une vision moins positive du groupe de travail. Ils estiment qu’ils n’ont pas pu se faire entendre. De source interne, on apprend que le rapport aurait pu avoir une tonalité encore plus anti-israélienne: certains auraient cherché à légitimer l’antisionisme, autrement dit, à remettre en cause l'existence d’Israël comme Etat juif. «Cela n’aurait pas été accepté», fait-on comprendre.
En mai dernier, à l'époque des occupations d'universités en Suisse romande, des membres du PSG, dont Cyril Mizrahi, Halima Delimi et Emmanuel Deonna, avaient créé un groupe au sein du parti, «Israël-Palestine: gauche pour une paix juste». «Il s'agissait de faire entendre une autre voix à gauche, critique tant à l'égard du gouvernement israélien que des extrémistes palestiniens, le slogan estudiantin "From the river to the sea" nous apparaissant pour le moins ambigu», rappelle Cyril Mizrahi, à l'origine du groupe. Halima Delimi abonde:
«C’est pourquoi, reprend la socialiste franco-suisse, avec notre groupe, nous travaillons à déconstruire les préjugés antisémites chez toute une partie de la jeunesse, qui trouve cool cet engagement parfois irréfléchi pour la Palestine et à qui il arrive de reproduire des clichés antisémites. Pour nous, l’enjeu de ce qui se passe au Proche-Orient est beaucoup en Suisse. Nous avons une responsabilité contre tous les racismes.»
Une lettre au vitriol dont watson a eu copie a été envoyée par mail à la direction du PSG comme à l'ensemble du parti. Signée d’une personne de confession juive, Michael Berker, un «syndicaliste profondément déçus par le PS genevois», elle reproche au PSG une «indignation à géométrie variable», un «mépris des victimes du 7 octobre, réduites à trois malheureuses allusions sur neuf pages», une «incapacité à reconnaître que le Hamas est le premier et unique responsable de la tragédie gazaouie».
Michael Berker dénonce encore des «relents LFIstes» dans le papier de position du PSG.
Le PSG souhaite de son côté que sa prise de position sur le conflit israélo-palestinien soit examinée et éventuellement reprise par la direction du Parti socialiste suisse. Emmanuel Deonna affirme que ce serait une mauvaise chose. Il entend mettre en garde ses camarades d’outre-Sarine contre ce rapport.