Le verdict est tombé il y a trois semaines. Un jury de Novara a condamné l'entrepreneur et philanthrope suisse, Stephan Schmidheiny, à douze ans de prison pour l'homicide par négligence de quelque 150 anciens ouvriers et riverains de l'usine Eternit dans le Piémont.
Le procureur avait requis une peine de prison à vie pour homicide volontaire. Bien qu'il n'ait pas obtenu ce qu'il voulait, l'accusateur s'est montré satisfait du verdict:
Les avocats de Stephan Schmidheiny ont annoncé qu'ils allaient faire appel du jugement.
Le procès de Novare est le dernier d'une série presque interminable de procédures que la justice italienne a engagées depuis plus de 20 ans contre l'entrepreneur, aujourd'hui âgé de 75 ans.
Tout a commencé en 2001, lorsque le procureur de Turin a ouvert une première enquête sur la mort d'ouvriers d'Eternit dans l'usine de Casale Monferrato, à cause de l'amiante.
L'usine, qui produisait principalement de l'amiante-ciment, a appartenu de 1973 à 1986 au groupe suisse Eternit, dirigé par Stephan Schmidheiny. Dans le cadre du procès dans lequel l'entrepreneur était accusé d'avoir causé la mort de plus de 2000 personnes, il a d'abord été condamné à 18 ans de réclusion pour avoir provoqué un désastre environnemental et, lors du procès en révision, pour homicide volontaire. Il a ensuite été acquitté par la Cour suprême italienne pour cause de prescription.
Cette avalanche de procès s'est poursuivie en violation du principe, également en vigueur en Italie, selon lequel personne ne peut être jugé une deuxième fois pour un fait déjà jugé. Le nombre de procédures en cours a même augmenté, car le groupe Eternit a également été impliqué sur d'autres sites italiens, comme à Naples.
L'argumentation de la justice italienne est toujours la même: Schmidheiny connaissait les dangers liés au traitement des fibres d'amiante, mais il n'a pas fermé les usines par appât du gain, acceptant ainsi sciemment la mort d'innombrables ouvriers et riverains. En tant que propriétaire ou actionnaire majoritaire des usines italiennes d'Eternit SpA, il porte l'entière responsabilité de la tragédie.
Rien qu'à Casale Monferrato (32 000 habitants) où se trouvait la plus grande des quatre usines italiennes d'Eternit, plus de 3000 personnes sont déjà mortes à cause du traitement de l'amiante.
Et bien que l'usine soit fermée depuis près de 40 ans, une cinquantaine de personnes meurent aujourd'hui encore chaque année, dans la petite ville, de tumeurs de la plèvre, de cancer du poumon ou d'asbestose. Si autant de personnes décèdent encore à cause de l'amiante, c'est en raison de la longue période de latence: 40 à 50 ans peuvent s'écouler entre l'inhalation de poussière d'amiante et la maladie.
Toutefois, ce que les médias italiens et la justice passent régulièrement sous silence lorsqu'ils diabolisent Stephan Schmidheiny - un juge turinois a comparé l'entrepreneur suisse à Adolf Hitler - c'est qu'il a été l'un des premiers entrepreneurs au monde à abandonner le traitement de l'amiante. Auparavant, il avait investi très tôt des dizaines de millions d'euros dans des mesures de protection dans les usines Eternit, et était passé au traitement par voie humide de la fibre dangereuse, ce qui avait permis de réduire drastiquement le risque de maladie.
Comme les usines italiennes concurrentes n'ont pas fait de même, Eternit SpA n'a bientôt plus pu produire de manière compétitive et a fait faillite en 1986. Les syndicats italiens avaient alors protesté contre la fermeture des usines. Aujourd'hui, ils se portent partie civile dans les procès contre Stephan Schmidheiny.
L'Etat italien fait de même et ne fait pas bonne figure: l'Italie avait elle-même utilisé de l'amiante à grande échelle dans ses chantiers navals publics, et ce bien après la fermeture des usines Eternit.
En 1990, la Cour de justice européenne a constaté que l'Italie ne faisait pas assez pour lutter contre les risques liés à l'amiante; la fibre n'a été interdite qu'en 1992, soit six ans après la fin de la «période suisse» d'Eternit Italia. L'amiante a été interdit en Suisse en 1989, en Autriche en 1990, en Allemagne en 1993 et dans l'ensemble de l'Union européenne (UE) en 2005.
Parmi toutes les maladies professionnelles, l'amiante est de loin la plus meurtrière: selon l'Organisation internationale du travail (OIT) de l'Organisation des nations unies (ONU), environ 100 000 personnes meurent chaque année des suites de cette maladie. En Suisse et en Autriche, on compte entre 130 et 150 décès par an. L'OIT prévoit un total de dix millions de morts dans le monde d'ici 2050. De plus, il y a toujours des pays qui extraient et transforment l'amiante, la Chine en tête.
Dans l'UE, l'Italie est le seul Etat qui, près de 30 ans après l'interdiction de l'amiante, tente encore de «traiter» le drame par le biais du droit pénal. La plupart des Etats ont choisi une autre voie.
En Suisse, en Allemagne, en Autriche, et dans de nombreux autres pays, les maladies liées à l'amiante sont reconnues comme des maladies professionnelles et donnent droit à des pensions adaptées. A cela s'ajoute, dans certains pays, la possibilité d'intenter une action civile en dommages et intérêts.
Stephan Schmidheiny a également versé des dizaines de millions d'euros d'indemnités à plus de 1600 victimes italiennes, sur une base volontaire. De nombreuses victimes italiennes de l'amiante ont toutefois refusé ces paiements, parce qu'elles voulaient se présenter comme partie civile lors du procès pénal.
Traduit de l'allemand par Nicolas Varin