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Justice

Mike Ben Peter: un expert en droit pénal démonte le procès

Simon Ntah, (à gauche), l'avocat de la famille de Mike Ben Peter, arrive avec la veuve, Bridget Efe, au tribunal pénal avant le verdict, le 22 juin 2023.
Simon Ntah, (à gauche), l'avocat de la famille de Mike Ben Peter, arrive avec la veuve, Bridget Efe, au tribunal pénal avant le verdict, le 22 juin 2023.Keystone

Affaire Mike Ben Peter: un expert en droit pénal démonte tout le procès

Six policiers ont été acquittés à Lausanne dans l'affaire de violence policière mortelle impliquant un vendeur de drogue de couleur. L'ancien commandant de police de Bâle, Markus Mohler, critique sévèrement la justice vaudoise.
26.06.2023, 16:5926.06.2023, 18:29
Henry Habegger / ch media
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Cette affaire rappelle inévitablement le meurtre de George Floyd aux Etats-Unis. En 2018, le Nigérian Mike Ben Peter, 39 ans, a résisté à un contrôle de drogue près de la gare de Lausanne. Il a été frappé, aspergé de spray au poivre, puis plaqué au sol sur le ventre et les policiers lui ont passé les menottes. Il est resté immobilisé dans cette position, sur le ventre, pendant plusieurs minutes, a subi un arrêt cardiaque et est décédé plus tard à l'hôpital.

Six policiers ont été acquittés, jeudi dernier, par le tribunal pénal de Lausanne pour accusation d'homicide par négligence.

L'expert en sécurité Markus Mohler, 82 ans, est un défenseur de l'Etat de droit. Il a été commandant de la police bâloise pendant de nombreuses années et a lui-même été procureur. Il a écrit des livres sur ces domaines juridiques et n'est en aucun cas un adverseraire des forces de police.

C'est pourquoi il ne comprend pas ce verdict. Mohler affirme:

«Cette procédure, ce jugement porte atteinte à la crédibilité de la justice et de la police»
Markus Mohler, ancien procureur et ancien commandant de la police de Bâle.
Markus Mohler, ancien procureur et ancien commandant de la police de Bâle.Image: DR

Il est évident, d'après la couverture médiatique variée, que la justice vaudoise a bafoué des règles juridiques fondamentales. Mohler énumère six «anomalies» lors de ce procès qui soutiennent ses déclarations.

Les enquêteurs

«Ce qui est déjà frappant, c'est que l'enquête soit menée par le procureur supérieur et par des membres de la police», dit Mohler. Le Ministère public vaudois a mené lui-même la procédure pénale, bien que celle-ci ait été dirigée contre des policiers avec lesquels il travaille au quotidien. Il constate même:

«Cela n’est pas autorisé selon la pratique actuelle de la Cour européenne des droits de l'homme»

L'impartialité n'est pas garantie. Au plus tard à Strasbourg, ce jugement serait renversé. Mais il espère ne pas en arriver là: que les instances judiciaires suisses supérieures corrigent les erreurs de Lausanne avant cela.

Le placage sur le ventre

Mohler constate que, selon les rapports, Mike Ben Peter a été détenu pendant une longue période en position ventrale. Pour l'expert en police et en droit pénal, c'est un point tout à fait décisif:

«Depuis les années 1980, on sait que cette position ventrale est très dangereuse, car elle peut entraîner un arrêt cardiaque, ce qu'on appelle l'asphyxie ventrale»

Tous les membres de la police devraient le savoir. Le maintien en position ventrale n'est pas autorisé par les instructions. «Il est interdit d'immobiliser quelqu'un sur le ventre plus longtemps que nécessaire», explique Mohler:

«Mettre une personne suspecte en position ventrale pour lui passer les menottes: c’est acceptable, si nécessaire. Mais ensuite, elle doit être immédiatement retournée ou relevée. Au bout d'une minute environ au maximum, on devrait mettre fin à la position ventrale.»

La décision d'acquittement

Pour Mohler, l'acquittement total en soi est également un «fait marquant» dans cette procédure. Car pour l'expert, il est clair que les policiers, par leur comportement décrit, ont «commis une infraction de lésions corporelles graves par négligence». D'un point de vue juridique, il s'agit à cet égard d'un délit d'omission. Il commente:

«Le fait de mettre le suspect sur le ventre pour lui passer les menottes était probablement légalement justifié. Cependant, ne pas le remettre immédiatement dans une autre position après cela était une omission. La question de savoir si la position sur le ventre a causé ou contribué à la mort n'a aucune importance juridique.»

Mais le fait qu'il n'ait pas été immédiatement replacé dans une autre position constitue une omission. Que la position sur le ventre ait été ou non la cause du décès ne joue aucun rôle juridique». Les policiers ont fait preuve de négligence en provoquant par omission une altération des fonctions cardiaques et respiratoires mettant en danger la vie du patient. Selon les rapports, l'un des policiers impliqués aurait également attiré l'attention sur ce danger.

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La salle d'audience a fait le plein pendant le procès de Mike Ben Peter.Keystone

L'égalité de traitement

Mohler remarque également que, selon les informations rapportées, «tous les six policiers ont été mis dans le même sac». «Cependant, l'un d'entre eux était probablement le plus gradé et portait donc une responsabilité accrue», déclare l'ancien chef de police:

«Les comportements et les niveaux de responsabilité pertinents n'étaient certainement pas les mêmes pour tous»
Les soutiens de Mike Ben Peter avec des banderoles lors du verdict du proces des six policiers accuses de l'homicide de Mike Ben Peter devant le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de ...
Des manifestants lors du procès de Mike Ben Peter.Keystone

Les coups de genou

L'incident tragique s'est produit après qu'un policier, qui patrouillait seul, a vu Mike Ben Peter manipuler un petit sac sous une voiture. Le policier a interpellé le suspect et lui a donné deux coups de genou entre les jambes pour le mettre à terre. Selon les médias, la personne contrôlée n'avait pas été violente. Mohler commente:

«Un policier ne doit pas être le premier à faire usage de la force, sa manière d'agir était donc, à mon avis, disproportionnée et constituait un abus de pouvoir»

Ce point n'aurait apparemment même pas été examiné et évalué.

Volte-face

Le procureur lui-même avait soudainement demandé l'acquittement au cours du procès, car le lien de causalité entre les actes des policiers et la mort du Nigérian ne pouvait pas être prouvé selon l'expertise médicale. «Il est possible que le procureur s'écarte de l'accusation initiale au cours du procès», rappelle Mohler. En matière pénale, le principe de l'immediatio s'applique devant le tribunal, ce qui signifie qu'une nouvelle preuve qui change tout peut être présentée pendant l'audience. Mais là, il semble que ce n'était pas le cas:

«Ce qui est frappant, c'est que le procureur dit avoir changé d'avis sur la base d'expertises qui étaient déjà disponibles avant la mise en accusation. C'est plutôt étrange, car cette situation de preuve décisive n'a justement pas changé.»
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Un cortège sous la pluie lors d'une manifestation en hommage à Mike Ben Peter, samedi 3 juin 2023, à LausanneKeystone

Pour Mohler, il est clair qu'«avec cet acquittement, la justice vaudoise ne s'est pas rendu un bon service, ni à sa police, ni à sa réputation, ni à son travail».

(Traduit et adapté par Pauline Langel)

Un homme flashé à 100 km/h sur une trottinette électrique
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