6h45: Gallus Baumgartner quitte le port d'Altenrhein, dans le canton de Saint-Gall, à bord de son bateau de pêche. Il se rend sur le lac de Constance. Avec lui, il emporte une glacière remplie à un cinquième de glace. Il n'a pas besoin d'autres récipients.
Il n'y a plus autant de poissons qu'il y a 34 ans, lorsque notre interlocuteur est devenu pêcheur professionnel. A l'époque, il sortait sur le lac avec plusieurs caisses. Parfois même deux fois par jour. Les filets étaient pleins, ils ne demandaient qu'à être vidés. Le commerce était florissant contrairement à aujourd'hui. On en prend conscience en accompagnant Gallus Baumgartner dans sa tournée quotidienne.
L'épopée commence, aujourd'hui, par la pêche aux perches. Des blocs de polystyrène flottant à la surface de l'eau indiquent où se trouvent les filets de Baumgartner, qu'il a posés la veille. Il saisit le premier bloc, pose le filet sur un treuil électrique et commence à tirer.
Pendant longtemps, il ne se passe rien. Puis apparaissent les premières perches. Les gestes bien rodés du pêcheur libèrent les poissons des fils de nylon. Il les jette dans la glacière, une perche après l'autre.
Une nuée de mouettes escorte le bateau de pêche. Les oiseaux connaissent bien le pêcheur et l'itinéraire de sa tournée. Ils espèrent attraper au vol un poisson que Gallus Baumgartner remettrait à l'eau, en raison de sa taille trop petite.
Une fois tous les filets vidés de leurs perches, Gallus Baumgartner les jette pour le lendemain. Puis, il regarde dans sa glacière. Elle est déjà presque pleine. «Nous avons de la chance aujourd'hui», sourit-il. Mais il ne se fait pas d'illusion. Aucun pêcheur du lac de Constance ne peut vivre de cette quantité de perches.
La principale source de revenus des pêcheurs professionnels sur le lac de Constance a toujours été le corégone. C'est pourquoi on l'appelait aussi «Brotfisch» (réd: «poisson-pain» en français). Mais le corégone risque bientôt de disparaître du lac de Constance. Et avec lui, peut-être aussi le métier de pêcheur.
Les raisons de la raréfaction des corégones sont multiples. Gallus Baumgartner les expérimente au quotidien. Il se rend à son prochain filet: un filet à corégones. Ses mailles sont plus grandes que pour la perche et il est installé davantage en profondeur de l'eau. Il commence à tirer. C'est là qu'apparaissent des amas de coquillages.
D'un coup sec, le professionnel vide son filet. Au fond de son bateau, les coquilles crissent sous ses bottes en caoutchouc: des moules quagga.
C'est en 2016 que cette espèce a été découverte pour la première fois dans le lac de Constance. Originaire de la mer d'Aral, on ignore comment elle s'est retrouvée sur le territoire helvétique. Gallus Baumgartner suppose que c'est par le biais de bateaux ou d'équipements de sports nautiques. Mais impossible d'en avoir la certitude.
La moule quagga envahit le sol, les bateaux, les pontons et les tuyaux. Elle ne détruit pas seulement l'habitat des espèces indigènes, mais filtre également les derniers nutriments du lac. Moins de nutriments signifie aussi moins de plancton, dont se nourrissent les corégones.
La Conférence internationale des plénipotentiaires pour la pêche dans le lac de Constance (IBFK) cite également la moule quagga comme l'une des trois principales causes de la raréfaction des corégones. En outre, le changement climatique mettrait à mal les poissons pacifiques. En conséquence, l'eau circule moins bien dans le lac. Ainsi, à certains endroits, les nutriments transportés dans le lac par le Rhin et les stations d'épuration ne sont plus acheminés.
La troisième raison de la raréfaction des corégones: l'épinoche, qui se nourrit de plancton et de larves et d'œufs d'autres espèces de poissons, notamment de corégones. Selon l'IBKF, il pullule dans le lac de Constance.
Pas étonnant que Gallus Baumgartner n'ait pas beaucoup d'affection pour le spécimen capturé. Il tue l'épinoche et rejette le poisson à l'eau. Aucune mouette ne s'en empare. La plupart des oiseaux ne peuvent pas le manger à cause de ses épines.
De toute façon, les mouettes ont déserté l'horizon. Comme si elles savaient qu'il n'y avait plus rien à prendre. Le pêcheur n'a pas pêché un seul corégone aujourd'hui. En revanche, deux ombles chevaliers et une truite. De bien maigres consolations.
Gallus Baumgartner n'est pas surpris par cette récolte. Il n'a pêché que trois corégones cette semaine. Il lance:
Ce que confirme un rapport de l'IBKF: en 2022, les 64 pêcheurs qui subsistent sur le lac de Constance ont pêché 80% de corégones en moins que l'année précédente. Seulement 107 tonnes. A titre de comparaison, il y a 20 ans, on en comptait encore 800 tonnes.
L'IBKF a donc décidé qu'à partir de 2024 et pendant trois ans, plus personne ne pourra pêcher le corégone. Ni les pêcheurs sportifs, ni les pêcheurs professionnels. Le but? Permettre à la population de se reconstituer. En attendant, on veut essayer de lutter contre l'épinoche en la pêchant de manière ciblée.
Gallus Baumgartner doute que l'interdiction de la pêche aux corégones ait un quelconque effet. «Comment puis-je, en tant que pêcheur professionnel, mettre en danger la population si je ne pêche pratiquement pas de corégones?» Avec les filets à grosses mailles, les pêcheurs professionnels s'assureraient déjà de ne prendre que des corégones qui ont déjà frayé deux fois.
Mais si l'habitat des corégones n'est plus adapté, un moratoire ne peut plus rien changer. Gallus Baumgartner demande donc d'autres mesures. Il faudrait, par exemple:
Le cormoran capture nettement plus de poissons dans le lac de Constance que tous les pêcheurs professionnels réunis. Selon la station ornithologique de Sempach (LU), 5500 à 6500 cormorans vivent aujourd'hui en Suisse. Un cormoran mange entre 300 et 500 grammes de poisson par jour.
«En plus, le lac de Constance est beaucoup trop pauvre en nutriments», renchérit-il. Il pointe vers l'est en direction de l'Autriche. Selon lui, le prolongement artificiel de la digue du Rhin à Bregenz a eu pour conséquence que les nutriments transportés par le Rhin dans le lac de Constance disparaissent directement dans les profondeurs. Altenrhein, en particulier, est coupé de l'apport en nutriments par ce courant.
A cela s'ajoute le fait que les stations d'épuration filtrent beaucoup plus qu'auparavant l'eau qu'elles renvoient dans le lac. Il explique:
Et c'est justement de ce phosphate que dépend le plancton dont se nourrissent les corégones.
Qu'en est-il de la moule quagga? «Nous avons déjà perdu ce combat», dit le pêcheur en regardant à ses pieds. Il doit balayer à la pelle les coquilles qui sont passées du filet à son bateau et les jeter par-dessus bord. Gallus Baumgartner en est convaincu, elle seront difficiles à déloger.
Pendant le moratoire, les pêcheurs professionnels du lac de Constance devront utiliser d'autres filets, avec des mailles plus grandes et de nature différente, de sorte qu'aucun corégone ne devrait s'y prendre. Selon Gallus Baumgartner, les prises accessoires, qui permettent à de nombreux pêcheurs professionnels de se maintenir à flot, disparaîtront également.
Les cantons de Thurgovie et de Saint-Gall veulent tout de même financer quatre à cinq filets de ce type pour leurs pêcheurs professionnels au cours des trois prochaines années. Qu'en pense Gallus Baumgartner, l'un des principaux concernés? Il se contente de hausser les épaules: «C'est une goutte d'eau dans l'océan». Il consomme à lui seul vingt filets par an. De plus, ces filets spéciaux ne sont pas encore sur le marché. Le professionnel ne peut pas s'imaginer comment tout cela va fonctionner.
Cela fait longtemps qu'il ne peut plus vivre de la pêche. Bien qu'il se rende six fois par semaine sur le lac de Constance. Après deux heures de pêche et une autre heure de filetage, sa prise du jour ne lui rapporte même pas 200 francs.
Gallus Baumgartner doit encore tenir un an, jusqu'à la retraite. «Heureusement, lorsque les affaires marchaient bien, j'ai investi dans l'immobilier et je peux vivre des revenus locatifs», dit-il. Une fois rentier, il entend continuer son activité, mais plutôt comme un hobby.
En ce qui concerne l'avenir des pêcheurs professionnels du lac de Constance, Gallus Baumgartner est plutôt direct:
Le sexagénaire n'imagine pas une totale disparition du corégone mais il suppose que les populations se stabiliseront à un niveau bas.
Traduit et adapté de l'allemand par Anaïs Rey.