Dans les semaines et les mois qui ont suivi l'attaque-surprise du Hamas en Israël, les villes de Zurich, Bâle et Berne ont interdit toute manifestation en lien avec le Proche-Orient. Un choix vivement contesté par de nombreuses organisations qui, à l'image d'Amnesty, ont dénoncé «une atteinte disproportionnée au droit de manifester».
Cette situation pourrait devenir la norme à Zurich, où la population va bientôt se prononcer sur une initiative lancée par les Jeunes UDC au printemps dernier, bien avant donc la reprise de la guerre en Palestine. Le texte prévoit deux choses, également reprises par le contre-projet élaboré par le canton: l'obligation d'une autorisation préalable à toute manifestation, et le report des coûts occasionnés par les interventions de police sur les personnes participant à des défilés non autorisés.
Un mois avant le vote, Amnesty a décidé de monter au créneau. S'associant à «des voix de la société civile», l'ONG a pris position ce mardi en «recommandant fermement un double non lors de la votation». Une démarche plutôt rare. «Nous n'intervenons pas souvent au niveau de la politique cantonale ou municipale», confirme Nadia Boehlen, porte-parole d'Amnesty Suisse. Et d'ajouter:
L'ONG a commandé une analyse juridique de l'initiative et du contre-projet. Verdict? «Les deux textes enfreignent les libertés d'expression et de réunion pacifique garanties par la Constitution suisse et le droit international», déclare Nadia Boehlen. «Il est important de le signaler et de prendre position pour éviter une multiplication de ce type de mesures dans le reste du pays».
Cela est tout sauf improbable. Surtout parce qu'Amnesty estime que «l'initiative a de fortes chances d'être acceptée». «Cela risque de faciliter l'adoption de mesures similaires ailleurs», poursuit la porte-parole de l'organisation. Une initiative allant dans le même sens a été lancée à Bâle-Ville, toujours par l’UDC. Elle cible «les casseurs qui doivent répondre des coûts et dommages».
L'initiative zurichoise emploie un langage similaire. «La ville de Zurich, en particulier, est devenue un paradis pour les casseurs violents», estime l'UDC, qui a baptisé son texte «initiative anti-chaos». Le parti affirme que, ces dernières années, les manifestations sont «devenues un immense fardeau pour la population zurichoise». En 2021, «un tiers» des rassemblements ayant eu lieu dans le chef-lieu cantonal «n'étaient pas autorisés».
«Lors de manifestations illégales, les émeutes et les dommages matériels sont monnaie courante», poursuit la formation politique.
Amnesty ne voit pas les choses de la même manière. Les deux objets soumis au vote «véhiculent un discours qui diabolise les manifestants en les réduisant à des fauteurs de trouble», déplore Nadia Boehlen.
S'il est «tout à fait légitime» que les autorités garantissent l’ordre et la sécurité publique, développe la porte-parole d'Amnesty, «cela ne doit pas se faire au détriment de notre droit de manifester».
Le report des coûts engendrés par les activités de maintien de l'ordre sur les participants préoccupe tout particulièrement les opposants à l'initiative, qui dénoncent l'effet «intimidant» et «dissuasif» d'une telle mesure. Cette dernière crée «des conditions-cadres qui font de la liberté d'expression un projet risqué et fastidieux», fustige Markus Husmann, avocat et membre de l'association Juristes démocrates Suisse. Matthias Mahlmann, professeur de droit public à l'Université de Zurich, ajoute:
De plus, les manifestants pacifiques et même les passants non impliqués pourraient se voir facturer des sommes élevées, indique Amnesty.
Pour l'UDC, «les manifestations non autorisées entraînent rapidement des frais de police de plusieurs centaines de milliers de francs». «Il n'est pas normal que les contribuables doivent payer pour les débordements et le vandalisme», argumente le parti.
L'ONG remarque finalement que les manifestations permettent aux populations dépourvues de droit de vote, les mineurs et les étrangers notamment, de «participer au débat politique». «C'est grâce aux militants de la cause climatique que ce thème figure à l'agenda mondial», souligne Iris Menn, directrice de Greenpeace Suisse.
«Les deux textes s’attaquent à nos droits garantis», résume Nadia Boehlen. Et l'ONG de conclure: