Mesdames et messieurs, Lausanne a gagné. Non, pas une coupe d’Europe, pas même un derby contre Yverdon, calmez-vous. On parle ici d’une distinction autrement plus prestigieuse: le «Paragraphe rouillé». Un prix suisse alémanique décerné chaque année «pour la loi la plus stupide, l'intervention la plus inutile ou le projet le plus bizarre et bureaucratique de l'année».
Cette année, c’est la capitale vaudoise qui a raflé le gros lot. Et franchement, vu le tollé provoqué par chez nous au moment où l'idée a fait la une, c'est mérité.
Le projet lauréat? Une idée lumineuse signée Ilias Panchard, élu vert au Conseil communal: désarmer la police lausannoise. Pas partiellement, non. Totalement. Sauf, bien sûr, quand il y a des fusillades; les agents auraient eu le droit de s’y rendre autrement qu’avec un arc et des flèches. Mais sinon, pour les contrôles de routine, les altercations, les interventions imprévues, on y serait allés les mains dans les poches.
C’est à Zurich que s’est déroulée la prestigieuse remise du prix, organisée par la très sérieuse et très libérale IG Freiheit, un petit club bien suisse mêlant UDC, PLR et Centre. Autrement dit, un groupe «de gens de droite sauf pour le Centre qui a l’impression d’être du centre alors qu’il est quand même plutôt à droite mais bon, bref». La mission de cette joyeuse bande, qui décernait ce trophée pour la 19e fois? Traquer chaque année la loi la plus ridicule, inutile, voire débile de nos institutions helvétiques.
Et les votes en ligne ont été sans appel: 44% des voix pour Lausanne, loin devant les autres absurdités concurrentes. En deuxième place, une idée zurichoise pas piquée des hannetons: des logements subventionnés uniquement pour les cyclistes fortunés qui jurent de ne jamais toucher un volant. Et en troisième, un fantasme lucernois de bannir les valises à roulettes en ville pour cause de bruit de trottoir – idée soufflée par un élu socialiste qui n’a visiblement jamais pris un vol easyJet à 5 heures du matin.
Mais revenons à notre couronne. Que voulait Ilias Panchard exactement? Que seuls les agents intervenant en cas de crimes violents ou de fusillades conservent leur pistolet. Les autres? Bah, qu’ils fassent appel à ceux-là en cas de pépin.
Le tout justifié par le fait que «beaucoup de policiers restent dans leur voiture» (qui voit le rapport, lève la main) et que l’arme à la ceinture tend à stresser les jeunes dans certains quartiers. Ce qui n’est pas faux non plus, mais… de là à confier le maintien de l’ordre à un régiment de scouts sans couteau suisse, la Municipalité ne l’a pas entendu de cette oreille. Elle a tout bonnement flingué dans l’œuf cette idée de l’élu vert, enterrant définitivement le projet en janvier dernier, rappelant que la ville «dispose [déjà] d’autres unités en uniformes en rue et non armées...».
Ce qui n’a pas empêché la troupe libérale de récompenser Lausanne. Vous imaginez la jubilation, outre-Sarine? Les Bernois se tapant sur les cuisses, les Bâlois sabrant la Feldschlösschen. «Schätzii, regarde-moi ces Romands, non seulement ils ont des trains en retard, mais en plus ils veulent désarmer leur police!» Ilias Panchard, pas démonté, a salué cette distinction avec le sarcasme qui sied à l’exercice:
Et pan, dans les dents. («Pan» étant ici une image, une façon de parler, une simple onomatopée; il n’est pas question de stresser qui que ce soit en évoquant le son que ferait un flingue, calmez-vous.) C'est Pierre Antoine Hildbrand, municipal lausannois en charge de la police, qui est allé récupérer le prix à Zurich.
Au moins, cette histoire aura permis à Lausanne de briller à l’international. Enfin, à Zurich. C’est déjà ça. On espère juste que personne à Hollywood ne lit 20 Minuten, sinon les scénaristes risquent d'être tentés de nous pondre un remake façon Les Experts: Lausanne-Ouchy où Horatio Caine patrouille en vélo électrique avec un sifflet et une gourde.
En attendant, nos politiciens auront réussi, le temps d'une soirée zurichoise de droite, à mettre la Lausanne de gauche au centre de la Suisse. WOOHOO, on a gagné. Un «Paragraphe rouillé», certes, mais un prix quand même.