Suisse
Médecine

Maux de dos: les médecins prescrivent des traitements inutiles

Ces traitements inutiles pèsent 20% du coût de la santé en Suisse.
En Suisse, quatre adultes sur cinq souffrent au moins une fois dans leur vie de douleurs dorsales.Image: watson

Le mal de dos fait grimper les dépenses de santé inutiles en Suisse

Trop souvent encore, les médecins prescrivent des traitements inutiles, coûteux et parfois risqués contre les douleurs dorsales, en dépit de toutes les recommandations officielles. Pourquoi ce phénomène persiste-t-il, et que faudrait-il changer?
25.05.2025, 11:5625.05.2025, 11:56
Stephanie Schnydrig / ch media
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Une informaticienne de 54 ans consulte sa doctoresse: depuis trois semaines, elle souffre de douleurs lombaires. Très limitée dans ses activités quotidiennes, elle ne trouve qu’un soulagement temporaire avec les antidouleurs. L’examen clinique ne révèle aucun signe alarmant. Mais la patiente craint une aggravation de sa protrusion discale, diagnostiquée il y a quelques années. Elle demande à recevoir une injection pour soulager sa douleur.

Ce cas est fictif, mais il illustre une situation courante dans les cabinets médicaux suisses. C'est le scénario qu'a présenté une équipe de recherche dirigée par la médecin Maria Trachsel à plus de 1200 généralistes suisses. La question centrale: comment traiteriez-vous ces patients?

Et le constat est préoccupant: la majorité des médecins interrogés opterait pour des examens diagnostiques inutiles, prescrirait des médicaments risqués ou conseillerait du repos – autant de pratiques contraires aux directives internationales.

Dans la revue Swiss Medical Weekly, les chercheurs mettent en garde: ces interventions engendrent des coûts inutiles. Elles augmentent aussi les risques de chronicisation des douleurs et les durées d’arrêt de travail. Les résultats montrent que les recommandations sans réelles raisons médicales sont plus fréquentes en Suisse romande et au Tessin qu’en Suisse alémanique.

Risques pour la santé et le moral

Quatre adultes sur cinq souffrent de maux de dos au moins une fois dans leur vie en Suisse. Dans 85% des cas, la cause exacte reste inconnue, selon le Rapport sur le dos de la Ligue suisse contre le rhumatisme. Heureusement, dans neuf cas sur dix, les douleurs aiguës disparaissent d’elles-mêmes en moins de six semaines.

Les directives déconseillent donc tout examen d’imagerie en l’absence de signes d’alerte comme une paralysie ou un soupçon de tumeur. Le risque réel d’une pathologie grave de la colonne vertébrale est inférieur à 1%.

Des examens précoces comme la radiographie, l’IRM ou le scanner ne présentent aucun bénéfice prouvé. Pire: ils peuvent inquiéter les patients, notamment en révélant des anomalies sans lien avec les symptômes. Exemple: de nombreuses personnes présentent des disques intervertébraux endommagés sans jamais ressentir de douleurs. En outre, ces examens exposent inutilement le corps à des rayonnements.

Attention aux opioïdes

Les opioïdes aussi sont à proscrire: selon la Société suisse de rhumatologie, ils ne doivent pas être prescrits en cas de lombalgies non spécifiques. Leur efficacité n’est pas démontrée, ils peuvent entraîner une dépendance, voire des overdoses mortelles.

L’association Smarter Medicine milite pour que seuls les traitements réellement bénéfiques pour la santé soient pratiqués. En collaboration avec plusieurs sociétés médicales spécialisées, elle publie des brochures et des listes d'interventions superflues dans divers domaines. Son président, Nicolas Rodondi, professeur de médecine de famille à l’Université de Berne, fait état d’un constat encourageant: trois quarts des médecins interrogés déclarent connaître les recommandations de Smarter Medicine.

Mais pourquoi n'appliquent-ils pas ces recommandations? La recherche ne s’est pas penchée directement sur cette question, mais le professeur avance plusieurs pistes: les jeunes médecins y sont généralement plus réceptifs, car elles font partie de leur formation. Ce n’était pas le cas des générations précédentes. Il ajoute:

«Beaucoup de formations continues sont sponsorisées par des firmes pharmaceutiques. Elles se focalisent sur les nouveaux médicaments et équipements médicaux, et non sur les stratégies de non-intervention»
Nicolas Rodondi, professeur de médecine de famille à l’Université de Berne

Autre explication: la peur de passer à côté d’un diagnostic. Même si ce phénomène est moins marqué en Suisse qu’aux Etats-Unis, le risque juridique existe, selon Nicolas Rodondi:

«Aux Etats-Unis, un médecin peut vite se retrouver devant les tribunaux s’il a manqué quelque chose»
Nicolas Rodondi, professeur de médecine de famille à l’Université de Berne

Les traitements inutiles: 20% des coûts de santé

Enfin, la pression des patients joue aussi un rôle. Beaucoup réclament une IRM ou une injection, et les médecins cèdent souvent à ces demandes. Pour Nicolas Rodondi, le problème réside dans le manque de temps:

«Expliquer pendant dix minutes pourquoi un examen est inutile prend bien plus de temps que de simplement prescrire une IRM, ce qui ne prend qu’une minute.»

Et pourtant, l’effort en vaudrait la peine: une consultation explicative coûte environ 30 francs, contre 500 francs pour une IRM de la colonne vertébrale. Selon certaines estimations, jusqu’à 20% des coûts de santé proviendraient d’actes médicaux inutiles.

Trois pistes pour des améliorations

Pour améliorer la situation, Nicolas Rodondi préconise trois leviers:

  1. Une meilleure formation continue.
  2. Plus de sensibilisation des patients.
  3. Un système de feedback personnalisé pour les médecins.

Ce dernier point pourrait être très efficace. Dans une étude américaine, des médecins ont été informés du nombre de transfusions sanguines qu’ils pratiquaient par rapport à leurs collègues. Résultat: le nombre de transfusions inutiles a chuté de 30%, simplement grâce au retour d'information.

Mais en Suisse, ce système serait aujourd’hui impossible: les données individuelles ne sont pas collectées. Nicolas Rodondi place ses espoirs dans le programme «Digisanté», avec lequel la Confédération veut faire progresser la numérisationdu système de santé:

«Peut-être qu’un feedback personnalisé deviendra ainsi possible»

Cela permettrait non seulement de réduire les coûts, mais surtout d’améliorer la qualité des soins pour les patients.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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