Viola Amherd jette l’éponge. Comment expliquez-vous cette décision?
René Knüsel: L’UDC exigeait sa démission. Cette demande entre sûrement en ligne de compte dans sa décision de quitter le Conseil fédéral. Les appels à la démission font partie du jeu politique. Cela dit, je ne vois pas de raisons objectives, pour Mme Amherd, de quitter le Conseil fédéral et le Département de la défense (DDPS), aujourd’hui plus qu’hier. On lui reproche des dysfonctionnements, les drones achetés à Israël et toujours pas opérationnels, entre autres, mais des dysfonctionnements, il y a en toujours eu dans l'armée suisse. L'affaire des Mirage, dans les années 60, avait toutefois contraint le chef de ce qui s’appelait alors le Département militaire fédéral, Paul Chaudet, à démissionner.
Viola Amherd n’avait pas la partie facile...
Le DDPS est un département difficile à gérer. Depuis que le Conseil fédéral a décidé de rehausser le budget militaire suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, la cheffe du DDPS a fait face à la difficulté de repenser l’outil de défense.
Avait-elle toutes les cartes pour jouer son jeu?
C’est en effet plutôt de ce côté-là qu’il faut chercher les raisons de sa démission. Le Conseil fédéral et le Parlement souhaitent une défense armée différente. Soit, mais Mme Amherd disposait-elle des soutiens politiques nécessaires? Avait-elle les soutiens opérationnels, ceux de l’état-major de l’armée, appelé à mettre en œuvre la réorientation de l’outil de défense?
A propos de réorientation, le rapprochement accru de la Suisse avec l’Otan, préconisé dans un rapport expressément demandé par Viola Amherd, dont les grandes lignes avaient fuité dans la presse en août dernier, n’a-t-il pas été fatal à la ministre de la Défense? L’UDC, appuyée par les socialistes, a estimé qu’il s’agissait là d’une trahison de la neutralité.
Mme Amherd a pris à cette occasion une direction non conforme à la doxa de la neutralité, même si, de fait, la Suisse est déjà liée par certains aspects à l’Otan, à la satisfaction, semble-t-il, des militaires. Sauf que c’est le politique qui décide jusqu’où il est possible d’aller dans la coopération internationale. Pour l’UDC et pour le PS, chacun invoquant ses raisons, ce rapprochement accru n’était pas souhaitable.
L’UDC a sorti une carte en apparence imparable, celle qui veut que la Suisse a toujours réussi à être neutre depuis 1291, chose qui, par ailleurs, est totalement fausse. L’UDC a prétendu que Mme Amherd était en train de vendre la Suisse à l’Otan.
On peut aussi penser que la démission de Viola Amherd obéit, tactiquement, au souhait des partisans d'un rapprochement accru avec l’Otan, lesquels estiment peut-être que la ministre était trop usée pour mener ce combat.
Pourquoi pas. En même temps, les partisans d’une adhésion qui ne dit pas son nom à l’Otan savent qu’ils tenaient en Mme Amherd une alliée. Il n’y en a pas beaucoup, au Conseil fédéral, ni peut-être parmi les parlementaires, qui, comme elle, prendrait le risque politique d’ouvrir la voie à une collaboration renforcée avec l’Alliance atlantique. Elle s’est montrée volontaire sur ce dossier, ce qui m’a un peu surpris.
Pourquoi?
Parce que son parti, Le Centre, n’est pas le plus représenté au Parlement. Il faut quand même être capable de construire une majorité autour d’un projet de défense. La neutralité est un sujet éminemment délicat. La neutralité a été soumise à rude épreuve avec la reprise par la Suisse des sanctions de l’Union européenne contre la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine. Il faut, quoi qu'il en soit, pour diriger le DDPS, une personne qui ait la volonté de mener ce département dans une direction ou dans une autre. Et l’énergie pour le faire.
Le discours d'un rapprochement avec l’Otan est-il momentanément condamné?
Ce qui est sûr, c’est que la question du rapprochement avec l'Otan sera centrale et présente dans la tête de chaque électeur de l’Assemblée fédérale au moment d’élire l’homme ou la femme qui succédera à Viola Amherd.
Dans l’affaire de la démission de Viola Amherd, on se dit qu’on n’était pas loin d’un basculement de la Suisse dans l’Otan, mais que les orthodoxes l’ont finalement emporté, un peu comme dans les régimes dont on pense qu’ils sur le point de tomber et qui finalement se maintiennent.
Il y a sans doute de cela. Il apparaît que le poste de ministre de la Défense est finalement assez casse-gueule. C’est pour cette raison que la personne qui succédera à Viola Amherd au DDPS ne sera probablement pas l’un des membres actuels du Conseil fédéral. je ne vois pas Guy Parmelin rempiler ni Albert Rösti s'y coller.
Gerhard Pfister, qui préside le Centre jusqu’en juin encore, aurait-il des chances de succéder à Viola Amherd?
Dans la mesure où l’on voit mal le siège de Mme Amherd, elle-même centriste, échapper au Centre, Gerhard Pfister a bien sûr ses chances.