Il y a la vaccination qui est en perte de vitesse et les cas Covid qui augmentent dangereusement. Il y a la pression sur les hôpitaux et le Conseil fédéral (entre autres) qui met la pression sur les non-vaccinés. Il y a aussi une rentrée parlementaire le 13 septembre et des votations importantes dans un mois, mais aussi le 28 novembre pour le deuxième référendum contre la loi Covid. Ce contexte pour le moins fragile va-t-il faire basculer la classe politique dans des tensions plus violentes encore? Les réponses du politologue et professeur honoraire de l'Université de Lausanne, René Knüsel.
La rentrée politique parait bien chargée. Qu’est-ce que ça nous dit des semaines à venir?
Probablement que tout ce qui touche de proche ou de loin à la pandémie va s’imposer dans le débat et notamment la question de la vaccination. Celle-ci n’a pas été résolue avant l’été: Le Conseil fédéral a maintenu sa politique incitative dans l’idée que la population suivrait. Cela a été une surprise que, dès juin, la vaccination stagne. Malgré de gros moyens mis à disposition, la Suisse est arrivée à une forme de saturation. Cela va faire partie d’un débat et ce dernier sera davantage tendu que ce que nous avons vécu jusqu’à aujourd’hui.
Mercredi déjà, le Conseil fédéral va devoir faire des choix…
Il devra probablement trouver une voie médiane entre les mesures de contrainte et les mesures incitatives. Le tout dans le contexte d’une quatrième vague qui risque de prendre une ampleur conséquente alors que les élèves et les étudiants reprennent le chemin des classes.
Peut-on dire que les annonces du Conseil fédéral vont donner le ton dans les débats à venir?
Probablement. Le problème est que nous allons sûrement continuer à louvoyer et le débat va devenir passionné, voire même accompagné de formes de violence.
Cet été, c’était pourtant plus calme en matière de manifestations. Ça pourrait donc revenir en force?
Les tensions vont remonter au fur et à mesure que va s’affirmer: Le nombre d’infections en forte hausse, ce qui est prévisible, et la poursuite des incitations à la vaccination. D’un côté, il y a ceux qui ont fait l’effort de la vaccination et qui veulent pouvoir vivre normalement. En face, il y a ceux qui sont «pro-liberté». Le conflit entre ces deux tendances va s’exacerber.
Comment cela peut se traduire politiquement? L’UDC, par exemple, s’est prononcée largement en faveur du référendum II contre la loi Covid, ce week-end.
A l’UDC, il y a un certain doute vis-à-vis de la vaccination. Le parti joue la délicate carte de rassembler les mécontents. C’est une forme de populisme: on n’a pas de solution mais on ne veut pas de contrainte. On veut faire comme si le virus n’existait pas alors que les élus ne peuvent pas souscrire à une telle thèse. La base de l’UDC va probablement faire pression sur ses élus, en particulier les signataires du référendum II pour empêcher toute forme d'obligation. Pourtant un certain degré de contrainte est inévitable, donc, il y aura des tensions.
La population est pourtant déjà divisée si l’on regarde les résultats de la votation du 13 juin.
Le vote sur référendum I contre la loi Covid a montré une majorité assez nette. Celle-ci va probablement s’atténuer un peu, ce qui va rendre le débat plus ardu, même au niveau politique. Il va falloir trouver des arguments pour convaincre les réticents et faire valoir la règle démocratique: une majorité, même à 50% + une voix, est une majorité. Ça risque d’être extrêmement difficile à admettre. Les courtes majorités laissent une forte minorité avec un goût amer.
Avec le Covid, il y a des avis extrêmement tranchés d’un bord ou de l’autre. Et ces avis ne sont parfois pas rationnellement fondés. Le débat n’est donc pas serein avec des égéries dans un camp comme dans l’autre. Il n’y a pas de certitudes et c’est autour des incertitudes que le débat devient très chaud car si on ne parvient pas à convaincre, le recours à d’autres moyens s'ouvre.
Pensez-vous que le Conseil fédéral est nerveux ?
Le Conseil fédéral fonctionne en gremium et travaille par delà les affiliations partisanes. Les tensions existent mais il y a un respect du collègue. Par contre, c’est vrai que ce sera difficile de dire qu’il y a eu des discussions, avec peut-être des avis minoritaires, tout en présentant une face unie.
Ce sont tous ces échos qui raisonnent dans la presse, dans les lettres de lecteur ou sur les réseaux sociaux qui génèrent des tensions. Par ailleurs, ce n’est pas le seul dossier brûlant, la situation des réfugiés afghans, la question climatique ou encore les élections cantonales puis fédérales vont s’ajouter à l’agenda politique
Donc deux années particulièrement intenses…
La Suisse est habituée à ce genre de débats. La complication réside dans le fait que notre démocratie demande du temps pour convaincre sans utiliser la force. Or, quand on fait face à des crises qui demandent des réponses politiques rapides, des contradictions se font jour, avec des périodes de flottement comme il y en a eu notamment au début de la pandémie, en mars 2020. Une certaine incertitude politique va demeurer et le défi sera de la maîtriser. A tout moment, les débats pourront devenir chauds car le temps que nécessite les procédures démocratiques suisses manque. On peut donc s’attendre à des soubresauts politiques jusqu’aux fédérales de 2023.
Vous aviez dit en début d’année que les dirigeants ne peuvent dire qu’une seule fois: «Je me suis trompé». Selon l’évolution de la situation, ça pourrait arriver à nouveau?
Les excuses seront nécessaires au moment où l’on donne un message clairement contredit par la suite. On sent aujourd’hui que le pouvoir politique a fait son apprentissage: ceux qui prennent la parole sont prudents et ne prennent pas le risque de faire des promesses. Une façon très helvétique de pacifier le débat.
Avec les nouvelles rentrées (scolaire, académique, politique) en mode Covid, il y a cette impression d’un recommencement perpétuel, d’un jour sans fin. Comment cela peut-il se traduire sous la coupole fédérale?
Tout le monde a été très prudent. On sent la réserve, par exemple des épidémiologistes, qui avertissent d’un possible mécanisme récurrent. Ce qui peut devenir compliqué, c’est lorsque face à des épisodes à répétition, la population remarque qu’il n’y a pas eu d’apprentissage. Dans ce cas, il pourrait y avoir un peu d’agacement voire de la révolte.
Que ce soit du côté politique ou académique, il faut une certaine maitrise et la population attend cela du pouvoir politique. Ce qu’il faut éviter à tout prix, ce sont des retours en arrière comme il y a eu en Israël avec la généralisation du port du masque dans les transports publics et les magasins après son abandon pour une partie de la population.