Suisse
Politique

Réforme de la LPP: Lisa Mazzone et Samira Marti n'en veulent pas

Nous avons discuté des caisses de pension et de leur réforme avec la présidente des Verts Lisa Mazzone et la co-cheffe de groupe au Parlement socialiste Samira Marti.
Lisa Mazzone (à gauche) et Samira Marti.ch media

Pourquoi la gauche a un problème avec la réforme des caisses de pension

A la retraite, les femmes reçoivent des rentes inférieures à celles des hommes. La réforme des pensions, contestée par syndicats et partis de gauche, vise à réduire cet écart. Entretien.
20.07.2024, 19:00
Anna Wanner / ch media
Plus de «Suisse»

A la retraite, les femmes ont une rente inférieure à celle des hommes. La réforme des caisses de pension vise à réduire cet écart au sein du deuxième pilier. Elle est combattue par les syndicats, le PS et les Verts, qui ont lancé un référendum. Lisa Mazzone, présidente des Verts suisses et Samira Marti, co-présidente du Groupe socialiste aux Chambres fédérales, deux ténors des partis de gauche, estiment que les promesses de la réforme ne pourront pas être tenues.

Lisa Mazzone, votre collègue de parti et conseillère aux Etats Maya Graf affirme que la réforme des caisses de pension est une étape importante pour les femmes et leur prévoyance vieillesse. Pourquoi vous positionnez-vous contre ce projet?
Lisa Mazzone: Cette réforme ne tient pas ses promesses. Les femmes – et les hommes – devraient payer plus pour obtenir moins de rente vieillesse. Les plus de 50 ans, en particulier, recevraient moins d'argent. Ce n'est pas ce que nous souhaitons pour les femmes proches de la retraite. Les Verts ont donc décidé de soutenir le référendum.

En épargnant davantage durant leur vie active, les personnes à bas revenus peuvent améliorer leurs rentes. Les jeunes femmes, qui ne sont aujourd'hui que peu ou pas du tout assurées, en profitent tout particulièrement.
LM: Pour les jeunes aussi, la réforme n'est pas totalement intéressante. Au-delà de 4000 francs par mois, elles recevraient moins avec la réforme qu'avec le système actuel, compte tenu de l'évolution des salaires à la retraite. Ce n'est pas dans l'intérêt de ces femmes.

Pourquoi? Les femmes ont une rente de vieillesse nettement moins bonne que les hommes, mais pas à cause de l'AVS. Leurs avoirs du deuxième pilier sont faibles ou inexistants. Il est temps de combler cet écart.
Samira Marti: Ce n'est pas vrai. Il y a deux ans, l'âge de la retraite des femmes a été relevé. On avait alors promis aux femmes d'améliorer leurs deuxièmes piliers. Cette promesse n'a pas été tenue. La baisse du taux de conversion entraîne une réduction des rentes pouvant aller jusqu'à 3200 francs par an, alors que les assurés doivent payer davantage de cotisations salariales. Ce calcul ne tient pas la route si, parallèlement, la vie devient de plus en plus chère.

Nous avons discuté des caisses de pension et de leur réforme avec la présidente des Verts Lisa Mazzone et la co-cheffe de groupe au Parlement socialiste Samira Marti.
Samira Marti.ch media

La réforme a des effets très différents selon le salaire et l'âge. Grâce à la baisse de la déduction de coordination, le part du salaire assuré augmente. Les rentes du deuxième pilier peuvent augmenter jusqu'à 4300 francs par an.
SM: La déduction de coordination est trop rigide et doit être réformée, c'est indiscutable. Toutefois, 90% des caisses de pension proposent déjà des solutions à temps partiel. Les rentes des femmes sont malgré tout beaucoup trop basses. Car les femmes fournissent chaque année pour 200 milliards de francs de travail de soins non rémunéré, qui n'est pas assuré. Nous avons besoin de bonifications pour tâches d'assistance également dans la prévoyance professionnelle.

Ce sont deux choses différentes. Ne vaudrait-il pas d'abord assurer la retraite de centaines de milliers de femmes, et discuter de la question de la prise en compte du travail de care dans un deuxième temps?
LM: Les chiffres le montrent: les femmes à bas revenus n'obtiennent pas un revenu plus élevé à la retraite avec ce projet de réforme. Ce qu'elles épargnent en plus sera en revanche réduit dans les prestations complémentaires, à la différence près que cette épargne forcée les obligerait à prélever davantage sur leur salaire. Or, les femmes ont besoin de cet argent pour l'alimentation, les loyers ou la caisse maladie.
SM: Nous nous sommes battus pour une réforme équilibrée, qui assure mieux les travailleurs à temps partiel et garantit des prestations de retraite pour tous. Mais ce compromis a échoué. L'élément central du projet soumis à votation n'est pas la déduction de coordination, mais la baisse du taux de conversion, qui détermine le montant de la rente. Cela entraîne une baisse des rentes pour tous les assurés, femmes et hommes. Pour une jardinière de 50 ans avec un revenu de 4500 francs, par exemple, les coûts augmenteront de 147 francs par mois. Cela représente 20 000 francs supplémentaires jusqu'à la retraite. Son salaire sera peut-être mieux assuré, mais la rente sera réduite de 8 francs par mois. La faute à la baisse du taux de conversion.

Nous avons discuté des caisses de pension et de leur réforme avec la présidente des Verts Lisa Mazzone et la co-cheffe de groupe au Parlement socialiste Samira Marti.
Lisa Mazzone.ch media

La réforme a des défauts et c'est justement à ce seuil d'âge qu'il y a des perdantes et des perdants. Mais le taux de conversion plus bas serait compensé par des suppléments de rente allant jusqu'à 200 francs par mois, financés de manière solidaire. Selon les estimations du bureau d'études Bass Basel, pas loin de 360 000 personnes seraient ainsi mieux assurées. Qu'en pensez-vous?
Lisa Mazzone et Samira Marti (ensemble): Ces chiffres sont incorrects.
LM: D'une part, ils ne tiennent pas compte des prestations complémentaires, qui sont supprimées pour les personnes concernées. Et d'autre part, l'évolution des salaires et les cotisations salariales ne sont pas non plus prises en compte.
SM: Une personne qui devrait verser 200 francs supplémentaires mais recevrait 100 francs de rente en plus en contrepartie est considérée comme gagnante dans cette étude. Libre à chacun de juger si ce rapport qualité-prix lui convient.
LM: Le projet oblige les gens à épargner alors qu'ils n'ont pas les ressources financières pour le faire. De fait, encore plus d'argent ira dans les caisses de pension, les banques pourront l'utiliser pour spéculer.

«Au final, ce sera le secteur financier qui en profitera»

Des adaptations sont nécessaires parce que nous devenons de plus en plus âgés, ce qui pèse sur les rentes. Mais la coiffeuse ne finance pas seule sa prévoyance. Chaque franc qu'elle verse est doublé par l'employeur. Ces derniers verseront jusqu'à 1,5 milliard en plus pour la prévoyance de leurs employés.
SM: Même si on tient compte de cela, ce n'est pas rentable. C'est ce que montre la caisse de pension Proparis, qui assure 70 000 employés de l'artisanat comme les horticulteurs, les coiffeurs, les fleuristes et les bouchers. Chez les coiffeuses de plus de 50 ans, c'est particulièrement flagrant: 80% d'entre elles subissent des pertes allant jusqu'à un tiers de leur rente.
LM: Les seuls gagnants de cette réforme, ce seraient les jeunes avec un salaire de 3000 francs. Leur rente serait légèrement meilleure. Mais ce constat a ses limites, car ils ne vont pas gagner aussi peu d'argent toute leur vie.

Justement. Le problème, ce n'est pas la caisse de pension, mais les bas salaires, le manque de structures d'accueil ou encore l'absence d'incitations fiscales à travailler pour les femmes. La prévoyance professionnelle doit être neutre par rapport aux modèles familiaux.
SM: Vous occultez l'aspect le plus essentiel de ce projet: les conséquences de la baisse du taux de conversion. Cette réforme a vu le jour dans un contexte de taux d'intérêt historiquement bas, où certaines caisses de pension n'étaient plus en mesure de tenir leurs promesses de rentes. Cela a entraîné une redistribution des fonds des caisses de pension des jeunes vers les personnes âgées, que l'on a voulu stopper en abaissant le taux de conversion.

«Aujourd'hui, la situation est différente»

Les taux d'intérêt augmentent et le rendement est nettement supérieur à la moyenne sur dix ans. Le problème est désormais en grande partie résolu. Même le secteur lui-même affirme que les caisses de pension se portent très bien financièrement. Elles envisagent même d'élargir leurs prestations.
LM: Et la baisse du taux de conversion concerne toutes les rentes, même si l'on souligne toujours que cela concerne juste un tiers des actifs. Ceux qui sont assurés à un niveau proche du minimum obligatoire ne sont pas les seuls concernés. La réforme donne à toutes les caisses de pension une plus grande marge de manœuvre pour de nouvelles réductions. Nous voyons aujourd'hui à quoi cela a mené: ils ont massivement baissé le taux de conversion dans le régime surobligatoire.

Quelle serait l'alternative? Comment résoudre le problème de l'écart des pensions?
SM: Tout d'abord, les rentes doivent être adaptées au renchérissement. C'est ce qui a été promis à la population depuis les années 1970. Avec une inflation de 1,5%, la valeur de la rente a diminué d'un quart en vingt ans. Et pour les femmes, il faut des bonifications pour les soins et l'éducation.
LM: Ces bonifications sont la raison pour laquelle les rentes AVS sont tellement meilleures pour les femmes que la caisse de pension. Dans l'AVS, le travail non rémunéré des mères est assuré. En effet, l'écart de pension est en premier lieu un écart entre les parents. La différence de pension entre les mères et les pères est de 42%. C'est là que nous devons intervenir.

Nous avons discuté des caisses de pension et de leur réforme avec la présidente des Verts Lisa Mazzone et la co-cheffe de groupe au Parlement socialiste Samira Marti.
ch media

Il s'agit de la prévoyance professionnelle, qui est liée à l'employeur.
SM: Estimer que le monde du travail n'a rien à voir avec la sphère familiale est dépassé. Le travail de care est à la base de toute performance entrepreneuriale. Sans lui, l'économie s'effondrerait.

Pour que le travail de care soit reconnu à sa juste valeur, il faudrait que, dans les couples avec enfants, la partie qui exerce une activité professionnelle rémunère l'autre partie, non?
LM: Aujourd'hui, la répartition des rôles au sein de la famille n'est souvent pas une décision libre. Elle dépend très fortement des conditions-cadres fixées par la politique. Cela commence par l'absence de congé parental après la naissance, qui ancre la répartition des rôles. Il y a aussi les faibles taux d'occupation des femmes, le manque de places dans les crèches et écoles. En Suisse, les rôles sont bien ancrés.

Les conditions-cadres ne sont pas adaptées, très bien. Mais il faut bien avouer que la prévoyance professionnelle ne résout pas ces problèmes...
SM: C'est un fait: de nombreuses femmes de plus de 50 ans ont travaillé toute leur vie à temps partiel, ont durement travaillé à la maison et doivent s'attendre à une baisse massive de leur retraite avec cette réforme. L'augmentation du nombre de places dans les crèches ne leur apporte pas grand-chose, car leurs enfants ont grandi entre-temps. Mais nous n'allons pas abandonner cette génération, femmes et hommes confondus, dans le seul but d'obtenir, éventuellement dans un demi-siècle, des améliorations minimales des rentes pour les jeunes femmes aux revenus très bas. Cela serait tout sauf féministe.

A l'avenir, les personnes qui gagnent peu ne seraient pas seulement assurées pour la vieillesse. La prévoyance professionnelle assure également les actifs et leurs familles pour l'invalidité et le décès.
LM: Oui. Mais le projet est essentiellement une réduction des prestations, la plupart des personnes recevront moins de rentes suite à la réforme. C'est l'arbre qui cache la forêt. Quelques aspects positifs ne peuvent pas masquer les grands inconvénients.
SM: Ce qui nous ramène aux prestations complémentaires.
LM: Exactement. Ce qui est couvert en plus par la rente est ensuite supprimé dans les prestations complémentaires. C'est un jeu à somme nulle avec des coûts élevés pendant la vie active.

Ce n'est pas très juste. Pendant la votation sur l'AVS, les prestations complémentaires ont été présentées comme un fonds de secours. Il apparaissait indigne de devoir les toucher.
SM: La différence est que la 13ᵉ rente AVS n'entraîne pas de réduction des prestations complémentaires. C'est inscrit dans la Constitution.

La réforme vise à libérer les femmes de la dépendance aux prestations complémentaires afin qu'elles puissent voler de leurs propres ailes sur le plan économique.
LM: Mais elles n'y parviendront pas avec cette réforme. Beaucoup continueront à percevoir des prestations complémentaires, mais simplement moins.

Oui, mais il s'agit de leur argent, de leur propre capital. Aujourd'hui, beaucoup de femmes n'ont rien à la retraite. Il faut mettre fin à cette dépendance.
LM: C'est de l'argent qui manquera aux femmes chaque mois.

Traduit et adapté par Tanja Maeder

Les Barcelonais chassent les touristes avec des pistolets à eau
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
Trump pas fiable: la Suisse peut-elle casser le contrat des F-35?
Alors que l'Amérique de Trump n'apparaît plus comme un allié sûr et au moment où les Européens prévoient de dépenser 800 milliards d'euros pour leur armement, le F-35 reste-t-il un avion désirable pour la Suisse? Le conseiller national Fabien Fivaz va interpeller le Conseil fédéral.

Le conseiller national neuchâtelois Fabien Fivaz revient à la charge. Il déposera la semaine prochaine une interpellation lors de la présente session des Chambres fédérales, indique-t-il à watson, confirmant une information du Matin Dimanche. L’élu écologiste est membre de la commission de la politique de sécurité. A ce titre, il a tenté de faire voter un mandat destiné à l’administration fédérale, afin qu’elle «étudie les conséquences légales et financières d’une rupture du contrat d’achat des F-35 par la Suisse». Réunie le 25 février, la commission dans sa majorité s’est opposée à sa proposition. Il a donc décidé de passer par une autre voie, celle de l’interpellation parlementaire.

L’article