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Covid: des milliers de bistrots suisses risquent la faillite

Lange her, aber nicht ausgestanden: die Coronazeit mit Masken.
C'était il y a longtemps, mais ce n'est pas fini: l'époque du Covid-19 avec des masques.Image: Keystone

Des milliers de bistrots risquent la faillite à cause de Berne

La Confédération réclame à de plus en plus d'établissements le remboursement intégral, sous 30 jours, des crédits versés pour les cas de rigueur. La raison? Un flou dans la loi votée par le Parlement durant la pandémie. Gastrosuisse s'oppose à la situation et présente un avis de droit.
15.09.2023, 06:0215.09.2023, 10:19
Niklaus Vontobel / ch media
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Des centaines, voire des milliers de restaurateurs pourraient être rattrapés, des années plus tard, par les mesures de restriction imposées en 2020 lors de la pandémie de Covid-19. De nombreux restaurants pourraient bientôt recevoir un courrier du canton leur demandant de rembourser des indemnités de rigueur pour plusieurs dizaines de milliers de francs. Et avec la missive, l'ombre de la faillite qui pointe le bout de son nez.

C'est en tout cas ce que craint Casimir Platzer, président de Gastrosuisse. Son association a constaté une interprétation qu'elle juge «inadéquate» de la loi dans cinq cantons.

«Une majorité des établissements qui ont reçu des indemnités pour cas de rigueur pourraient avoir à les rembourser»
Casimir Platzer, président de Gastrosuisse
Gibt sich siegessicher: Gastrosuisse-Präsident Casimir Platzer.
Casimir Platzer, président de Gastrosuisse.Keystone

Car les montants sont d'importance, de l'ordre de 100 000 francs en moyenne. De quoi mettre en danger la survie de ces établissements. C'est pourquoi Gastrosuisse a demandé à une spécialiste renommée du droit public, Isabelle Häner, de réaliser un avis de droit, publié cette semaine. Et le document porte un jugement sévère sur certains cantons, l'administration fédérale et le Parlement.

100 000 francs à rembourser en 30 jours

Prenons l'exemple de ce restaurateur suisse, que nous nommerons Jean-Paul Favre*. Forcé de fermer son auberge lors du deuxième confinement, il s'est résolu à gagner un peu d'argent en vendant des plats à l'emporter. Mais face à ses dépenses d'électricité, de chauffage ou pour payer ses primes d'assurances, la marge ne s'est révélée bénéficiaire que de quelques centimes. Juste de quoi rester à flots.

Ce n'est qu'un peu plus d'un an plus tard, à l'automne 2021, que l'allocation pour cas de rigueur est arrivée. Mais Jean-Paul Favre ne s'est pas enrichi pour autant. L'argent correspondait à un quart de ce qu'il devait dépenser en frais fixes, alors qu'il n'avait presque pas de revenus.

«J'ai considéré cette allocation comme une compensation face à l'interdiction de travailler qui m'a été imposée par l'Etat»
Jean-Paul Favre*

Au printemps dernier, il a reçu une lettre des autorités cantonales. «Par la présente, nous ordonnons le remboursement de l'argent des cas de rigueur que vous avez perçu». Il trouve en annexe une facture pour le remboursement. «Veuillez la régler dans les 30 jours à l'aide du bulletin de versement ci-joint». En face de lui: un montant de plus de 100 000 francs.

«Si je dois rembourser cet argent, je vais devoir envisager la faillite»
Jean-Paul Favre*

Deux solutions s'offrent à Jean-Paul Favre: puiser dans les fonds de sa caisse de pension, ou faire faillite.

D'innombrables cas potentiels

Selon le canton, le restaurateur a enfreint les règles liées à ce prêt. Il n'était en effet censé conserver l'argent que s'il avait continué à gérer l'auberge durant trois ans. Mais, à plus de 60 ans et après deux opérations à cause d'un cancer, il a préféré passer la main à un successeur. Il doit donc tout rembourser maintenant.

«Cet argent, je l'ai utilisé. Il m'a permis de récupérer une partie de ce que j'avais perdu durant la fermeture»
Jean-Paul Favre*

L'aubergiste est perdu. L'argent des cas de rigueur a en effet permis à son l'entreprise de survivre, la raison pour laquelle il l'a reçu. «L'auberge existe encore, la SA avec laquelle je l'ai gérée existe encore, et elle crée du travail», commente Jean-Paul Favre.

Sa cessation d'activité a été considérée comme une infraction. Pour illustrer ces cas compliqués, Gastrosuisse a soumis à l'administration fédérale plusieurs exemples d'établissements. Et il s'est avéré que même des processus quotidiens et banals ont été considérés comme des infractions. Le service juridique de la fédération a même conclu que, «avec une application aussi stricte décidée par les autorités, les cas similaires seront innombrables».

Des exemples surréalistes

Prenons un autre exemple: ce couple de bistrotiers qui a dû abandonner son café après 30 ans de service et qui a décidé de vendre les meubles pour se faire un peu d'argent, a réalisé un maigre bénéfice de 9000 francs. Ceux-là ont, eux aussi, commis une infraction. Recevoir l'allocation pour cas de rigueur et faire un bénéfice n'est pas possible, expliquent les autorités.

Ou encore cette épouse qui, après le décès de son mari, n'a pas pu continuer à gérer le restaurant seule. Les locaux qui lui appartiennent sont enregistrés en tant que patrimoine privé au regard du droit fiscal, avec une valeur de location potentielle. Il en résulte ainsi un bénéfice comptable: encore une infraction.

Et enfin, l'entrepreneur individuel qui retire 30 000 francs de son entreprise pour financer la formation universitaire de son fils. Sa fortune commerciale diminue en conséquence, ce qui est considéré comme un acte injustifié et abusif. Le remboursement de l'ensemble de l'indemnité pour cas de rigueur doit alors être exigé.

De bonnes intentions, mais...

Mais Gastrosuisse n'a pas l'intention de lâcher ses bistrotiers. La fédération s'est adressée au Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco). Car la Confédération finance l'argent des cas de rigueur aux cantons, pour autant que ceux-ci respectent les conditions légales. Le Seco joue un rôle important dans l'interprétation de ces conditions.

Gastrosuisse s'est adressée à l'organe fédéral à deux reprises, mais sans succès. Auparavant, l'affaire avait déjà été examinée par Isabelle Häner. Cette sommité du droit public devait aller à la source du problème et a découvert des négligences législatives. Elle a passé en revue toute la législation, analysé des milliers de pages de débats parlementaires et les dispositions légales qui en ont découlé.

Elle a découvert l'intention initiale du législateur: que l'argent des cas de rigueur ne puisse pas être retiré de l'entreprise et dilapidé par son propriétaire pour une voiture de sport ou pour des vacances de luxe dans les Caraïbes. Les parlementaires avaient encore en tête la crise financière de 2008, lorsque les banques avaient reçu une aide de l'Etat et continuaient à se verser des bonus de plusieurs millions.

Si cette intention était plutôt louable, sa mise en œuvre est un échec. Selon l'avis de droit, «la volonté du législateur visait certes à empêcher les abus, mais elle n'a pas réussi à formuler les restrictions d'utilisation en conséquence». Ainsi, la loi ne dit guère plus que les dividendes ne peuvent pas être versés ou les placements remboursés. Les dispositions semblent donc claires au premier abord. Mais à la longue, elles deviennent de plus en plus floues.

Le législateur a sans doute trop pensé aux banques en édictant des dispositions qui ne sont en fait adaptées qu'aux entreprises organisées en tant que personnes morales, comme les banques. Ce n'est que parce que les banques sont des sociétés anonymes que les actionnaires ou les collaborateurs peuvent en retirer de l'argent. En revanche, les entreprises de restauration sont souvent constituées en sociétés individuelles ou en sociétés de personnes. Dans ce cas, il n'y a pas de séparation entre le patrimoine privé et le patrimoine professionnel: tout appartient au propriétaire.

Un bénéfice de liquidation n'est pas un abus

Selon l'avis de droit, il n'est pas clair si le législateur a pensé à ces entreprises individuelles lorsqu'il a édicté les restrictions d'utilisation. Le Parlement n'a pas abordé cette question. Il n'est donc «pas clair» non plus si les restrictions peuvent être appliquées aux entreprises individuelles et leur causer des surprises aussi désagréables que celles du restaurateur de Jean-Paul Favre. Et cela ne s'arrête pas là. L'interprétation du droit faite par l'administration fédérale est à peu près réduite à néant.

Même si les restrictions d'utilisation doivent s'appliquer aux entreprises individuelles, il faut qu'un abus soit constaté pour demander un remboursement de l'argent. Ce n'est donc pas le cas si, par exemple, un café doit fermer ses portes et tire encore un bénéfice de liquidation de la vente de meubles ou si des opérations comparables peuvent être justifiées sur le plan commercial ou matériel.

Et si l'argent a effectivement été dépensé de manière abusive, c'est la somme seule concernée qui doit être restituée. En revanche, même en cas d'abus, un remboursement de la totalité de l'argent des cas de rigueur ne serait pas proportionnel et donc «pratiquement jamais nécessaire».

Le Seco contre-attaque

Interrogé, le Seco explique son point de vue sur l'un des points les plus controversés. Il se réfère à l'ordonnance sur les cas de rigueur et à la loi sur les subventions. Une cessation d'activité n'est certes pas exclue. Il n'est toutefois pas admissible qu'un bénéfice ou un dividende de liquidation soit réalisé, explique-t-il.

Il estime qu'une telle action est assimilable à une distribution de bénéfices et est utilisée contrairement à son objectif initial. S'il ne s'agit pas d'un abus à proprement parler, reconnaît l'organe, les conditions ne sont pas pour autant respectées. Il en résulte un remboursement à hauteur de l'aide reçue. La question a été examinée en détail, en collaboration avec l'Administration fédérale des finances et l'Office fédéral de la justice. Du côté de Gastrosuisse, Casimir Platzer se dit sûr de sa victoire:

«Si nécessaire, nous irons jusqu'au Tribunal fédéral»
Casimir Platzer, président de Gastrosuisse

Il explique que Gastrosuisse a récemment gagné contre le Seco, lorsque l'Office a nié que les vacances devaient également être couvertes par l'indemnité de chômage partiel.

«Nous aller gagner à nouveau. Le Seco devrait faire preuve de discernement s'il ne veut pas se retrouver à nouveau éconduit»
Casimir Platzer, président de Gastrosuisse

*prénom d'emprunt

Traduit et adapté par Nicolas Varin

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Video: watson
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