Allumage imminent du premier étage de la fusée (en attendant la deuxième phase à l’automne). C’est ce mois-ci que commence la formation du personnel de la RTS au langage inclusif, a appris watson. Les 15 et 25 juin, Pascal Gygax, professeur à l’Université de Fribourg, lancera les opérations. En visioconférence. Le psycholinguiste expliquera en quoi consiste ce langage, qu’il défend mordicus. Il s’agit de «démasculiniser» la langue française. L’inscription à cette double présentation est facultative. Pas d’obligation. Et pour cause: le sujet est une bombe à polémiques. Et ne tombe pas forcément au meilleur moment: le personnel de la RTS a été averti lundi de mesures d'économies dures à avaler.
Le 4 juin, un e-mail interne, rédigé par le service Métiers et Formation, a été envoyé aux salariés de l’entreprise publique (watson en a obtenu copie). Tous les mots semblent avoir été savamment choisis. «Ces rencontres sont ouvertes à toutes les collaboratrices et tous les collaborateurs, qui désirent avoir un aperçu des enjeux liés au langage inclusif. Elles constituent la première phase du dispositif de formation proposée sur cette thématique. S’en suivra dès l’automne, des ateliers en mode interactif, dans l’optique d’une intégration des pratiques», dit l'e-mail.
Question: cette formation est présentée comme facultative, mais l’est-elle vraiment? N’est-il pas prévu, en fin de processus, une «intégration des pratiques»? En résumé: si l’enseignement repose sur une base volontaire, la matière apprise, elle, devrait s’appliquer à tout le monde. C’est bien ça?
Jointe à ce propos, la responsable Relations médias de la RTS, Emmanuelle Jaquet, répond: «La RTS est avant tout un média de l’oral, et à l’oral, on n’entend pas les points médians (réd: par exemple «Chèr.e.s lecteurs.rices») qui font polémique à l’écrit. En ligne, c’est-à-dire à l’écrit, nous recommandons d’utiliser des mots pluriels ou épicènes, c’est-à-dire génériques (réd: par exemple, "le corps estudiantin", à la place de "les étudiants et les étudiantes").»
L’une des personnes travaillant au service Métiers et Formation, pense, elle, que l’écriture inclusive, celle avec le point médian si décrié, fera à son tour son entrée dans les écrits de la RTS destinés au public, mais «petit à petit, progressivement». Elle apprécie Pascal Gygax: «Il est intéressant et présente les choses avec beaucoup d'humour».
On ne pourra pas dire que la RTS ne prépare pas l’opinion à son virage inclusif. A deux reprises, en deux jours, dimanche et lundi, Pascal Gygax était l’invité d’une émission de radio de la chaîne publique, respectivement «A voix haute» et «Tribu». Il venait y présenter son livre, «Le cerveau pense-t-il au masculin?» (éditions Le Robert), coécrit avec Sandrine Zufferey et Ute Gabriel.
L’introduction du langage inclusif à la télé et à la radio est à replacer dans la crise qui a secoué et secoue encore la RTS après la parution, fin octobre, de l’enquête du Temps sur des cas de harcèlement au sein de l’entreprise publique. Si une telle démarche, de nature féministe, était envisagée avant l’éclatement du scandale, celui-ci aura sans doute permis d'accélérer sa concrétisation. Pourtant, une vidéo promouvant le langage inclusif à la RTS, publiée le 10 février sur les réseaux sociaux de la chaîne, avait déplu à une partie du public et du personnel de l'entreprise.
Culture d'entreprise très sympa à la @RadioTeleSuisse qui affiche ses collaborateurs en leur distribuant bons et mauvais points sur Twitter. Le tout sous le regard approbateur de Valérie Vuille, nouvelle autorité autoproclamée de la presse #Bonsoâràtousse #JournalismFirst https://t.co/yww1PGb7s5
— Jérémy Seydoux (@jeremyseydoux) February 10, 2021
Alors, toutes et tous devant leur ordi les 15 et 25 juin pour écouter Pascal Gygax affirmer que le langage est politique et fondé sur des rapports de domination? Partant, que l’ordre des choses peut être changé? «Je pense que j’aurai piscine ces jours-là», confie une collaboratrice de la RTS. D’autres suivront au contraire avec attention la présentation faite par l’universitaire.
La RTS devra la jouer finaude dans les prochains mois. Son initiative en faveur du langage inclusif pourrait donner du grain à moudre à l’UDC. Le parti libéral-conservateur entend lancer deux initiatives populaires contre la SSR, l’entreprise suisse de radiodiffusion. Il lui reproche des partis-pris «gauchisants».
La très confidentielle section suisse de Défense de la langue française (DLF), qui dit préparer le lancement d’une initiative populaire contre l’écriture inclusive dans les administrations publiques, ne devrait pas rester silencieuse non plus. Preuve, en effet, que la langue est politique.