«Cette bouillie», comme Alexis Favre qualifie les gazouillis qui fusent sur X, il n'en peut plus. Le producteur n'a plus envie de rire et préfère quitter la plateforme.
L'occasion était belle de passer un petit coup de fil au présentateur de l'émission Infrarouge, épuisé par un réseau social qui nourrit la «console du je», les invectives faciles qui empoisonnent les discussions et les échanges sur le réseau social fondé par Jack Dorsey en 2006.
Comme tout le monde le sait, Elon Musk a repris les rênes du réseau contre la modique somme de 43 milliards de dollars. Une fois en place, il a ensuite procédé à un grand remue-ménage au sein de l'entreprise. Lui, l'oracle de la liberté d'expression compte la brandir tout en éradiquant le «virus woke», comme il se plaît à le marteler.
Il paraît lointain le temps où les personnalités politiques et les célébrités pouvaient réagir dans une sorte d'agora plus ou moins sérieuse. Aujourd'hui, Twitter/X ne fait plus rire Alexis Favre, qui fuit le navire virtuel d'Elon Musk: «Je vais quitter X entre 19h et 20h ce soir.»
C'est le résultat d'une fatigue, d'être spectateur de ce dépotoir où insultes et autres quolibets fleurissent. Un jour drolatique, un autre chaotique.
Selon le présentateur, X (ou Twitter) s’est imposé dans le paysage à partir du moment où les institutions et les politiques s'y sont installés. «A l'époque, les réseaux sociaux étaient employés pour diffuser une image sympathique. Il y avait une promesse avec Twitter, on pouvait interagir avec des politiciens», analyse Alexis Favre.
Mais l'arrivée d'Elon Musk a changé la donne. Le Genevois, qui n'avait rien contre Elon Musk (ni pour ni contre), a senti le vent tourner. Surtout, «l'idée de s'inféoder complètement, en payant 8 dollars pour obtenir cette fameuse pastille bleue» n'est pas passée.
La goutte d'eau qui a fait déborder le vase se niche dans la réponse d'Elon Musk à Thierry Breton, commissaire chargé du marché intérieur et numérique au sein de la Commission européenne. Pour Alexis Favre, c'est le coup fatal: «Consciemment ou inconsciemment, c'est probablement vrai. En tout cas, c'est concomitant. On a là, en lisant le tweet d'Elon Musk, le choc de deux mondes, ne serait-ce que sur la forme: on a la civilisation qui parle à la barbarie.»
Or, Twitter/X sonnait comme une obligation pour le présentateur de la RTS. Enfin ça, c'était avant: «En tant que journaliste, je pensais que Twitter faisait partie de ma panoplie obligatoire. C'était semblable à une grosse agence de dépêches.»
Il reste difficile pour un journaliste de quitter X, cette vitrine de tendances, de débats et de questions traitées au sein de notre société. «Je pensais qu’en tant que journaliste, c'était une faute professionnelle de ne pas être sur les réseaux sociaux. Précisément, parce qu'il fallait arpenter cette espèce de rue virtuelle. Mais c’est devenu une ruelle glauque, voire une impasse; c’est une fausse rue ou tout le monde vocifère et qui n’existe pas», déplore-t-il.
Des années et des tweets plus tard, le temps est à l'introspection personnelle:
Alexis Favre, comme de nombreuses personnalités avant lui, observe cette futilité de rester actif sur le nouveau jouet d'Elon Musk: «Qu'est-ce que j’en retire personnellement et professionnellement? Qu’as-tu appris avec ton passage Twitter? Rien. Tu t’es pris une dose d’insultes? Oui», affirme sans ambage Alexis Favre.
Cette liberté d'expression complètement dévoyée sur Twitter/X, comme l'analyse le présentateur, ne fait qu'encapsuler une communauté de haters dans leur petite galaxie de méchanceté.
Selon lui, tout est biaisé. «Je pensais que Twitter/X était un bon baromètre pour sentir où le vent soufflait. Il se trouve qu'Elon Musk a maintenant un agenda politique clair, avec une obédience politique claire. Quoiqu'on en pense. C'est un homme qui passe son temps à égratigner la presse mainstream, arguant qu'elle est à la botte du pouvoir. Alors que lui-même fait exactement la même chose avec sa plateforme.»
Le baromètre tangue quelque peu à force d'essuyer les vociférations des trolls anonymes. Le réseau met en exergue un effet de loupe de toutes les bassesses qui règnent dans le monde. «Regardez en France. Si je lis Twitter/X, c'est la guerre civile demain. On a vraiment l'impression que la France est en train de bouillir. Si on se rend chez notre voisin, on est loin de la guerre civile, alors qu’un baromètre comme Twitter devrait le montrer. Le thermomètre est trompeur et n’indique plus la bonne température», oppose le présentateur.»
Et d'analyser le réseau social un peu plus largement:
En 2024, X est devenu «un lieu malfamé», selon Alexis Favre, qui décrit la plateforme «en pleine crise d'adolescence». Mais le problème n'est pas uniquement sur Twitter/X: «Les gens ont à présent une pensée de hachoir et des réflexes de charcutier, pour reprendre Sylvain Tesson».
En résumé, mieux vaut laisser sa place et fuir ce ring de défenseurs d'une pseudo liberté d'expression? «Quitter Twitter/X ne veut pas dire quitter le débat public. Il y a des médias dans lesquels on débat, il y a aussi des chaînes Youtube pour débattre. Je quitte plutôt un réseau social où l'espace de débat n'est plus.»
Si le producteur d'Infrarouge n'est pas inquiet de quitter Twitter/X «pour faire exister l'émission sur le réseau social», il lorgne à présent sur Facebook et Instagram, deux plateformes qui lui font moins de mal. «C'est une place du village un peu foutraque, que j'aime bien. Et il faut quand même que mon pouce puisse scroller (rire).»
Alexis Favre préfère nous donner «rendez-vous dans le monde normal» et à la télévision tous les mercredis soirs.